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    Pensées pour nous-mêmes:

    (PRENDS LE TEMPS
    D'AIMER LE TEMPS)

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    LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/6)
    pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste

       Dans ses carnets secrets, Soeur Camille de l'Incarnation évoque le pouvoir d'Angélus, son petit frère, pouvoir qui lui vaudra, hélas, le mépris puis la haine de ses congénères...

    ANGÉLUS 
    ou 
    LES SECRETS DE L’IMPALPABLE 


    Delacroix

    CHAPITRE 2 

       Le départ de ma soeur au Carmel avait été une grande déchirure que j’avais comblée en m’isolant dans un monde peuplé de délices, de rêveries et de découvertes. 

       Bien que le curé se soit méfié de moi, (il lui arrivait souvent de se signer lorsqu’il me voyait), j’avais voulu aider au service de la messe et j’y avais mis tant d’onctuosité qu’on finit par m’accepter et que je fis bientôt partie du décor. Cela ne plaisait évidemment pas aux femmes du bourg qui voyaient en moi, onzième enfant et surtout septième garçon de la fratrie, un avatar du Diable. Elles pensaient d’ailleurs que j’avais été cause de la mort de ma mère. Mais elles taisaient leur fiel, se contentant, à mon égard, d’un mutisme méprisant que j’avais fini, en regard, par ne plus remarquer. 

       Je servais donc la messe tous les dimanches, non pas par un quelconque sentiment religieux mais plutôt pour avoir accès à un monde de douceur et de raffinement où, pendant quelques heures, j’avais le droit de revêtir des vêtements immaculés, pleins de senteurs de myrrhe et d’encens. Là, j’étais dans mon élément. Je pouvais parfaire mon ressenti, expérimenter de nouvelles sensations, comparer les textures faites de la main de l’homme et de celles de la nature environnante. 

       Je devais alors avoir l’air si angélique, si rayonnant de pureté sous mon aube de dentelle, que le père Grangeais, presque malgré lui, m’avait pris peu à peu en affection. Les apparences trompent toujours les hommes. Il est vrai que mon attitude n’était somme toute guère répréhensible. J’étais délicat et j’aimais les choses raffinées. Je n’étais pas tombé là où il le fallait, voilà tout. Pourtant, grâce à Camille et à ma curiosité galopante, je trouvai toujours de quoi satisfaire mon toucher. 

       Au début, j’appréciais tous les contrastes existant dans la nature, le brut renforçant le doux, décuplant même sa finesse. Ensuite, je me mis à fuir le contact de ce qui piquait, égratignait, heurtait les sens, aussi bien chez les plantes, les minéraux ou les éléments. Cela m’arriva imperceptiblement. 

       Une telle aversion pour le rugueux, l’excoriant n’était pourtant pas dans mon caractère. Toute sensation était alors pour moi la bienvenue. Je sais que la dualité me vint avec la haine que tous ces êtres monstrueux avaient pour moi. Très vite, j’ai associé leur laideur, leur peau horrible, squameuse, suintante, à la méchanceté gratuite, à l’absence d’intelligence, à l’insensibilité. Ils étaient le contraire de mon âme. 

       Bien entendu, à partir du moment où je n’ai plus vu en eux que des monstres, ma condition m’a pesé. Oui, ces êtres trop rustres m’étouffaient, et comme ne manquait pas de le reconnaître l’instituteur, il aurait été préférable que je fréquente un pensionnat afin d’être un peu séparé de la famille Galin et du bourg… 

    ***

       Par bonheur, cette idée lancée par le maître d’Angélus, fit son chemin dans la tête du Père Grangeais et un jour, après avoir consulté l’évêché, il se rendit chez les religieuses et demanda à voir Soeur Camille. 

       - Que diriez-vous si votre plus jeune frère poursuivait ses études chez les Frères d’Aubenac ? Je le sais fragile pour tous les travaux de nos campagnes et votre famille aura bien du mal à le placer comme apprenti ; aussi il sera une charge pour vous tous… à moins qu’il ne fasse des études afin d’accéder à un métier plus adapté à sa personne. Alors il gagnera bien sa vie et pourra aider les siens. Qu’en dites-vous ? 

       Camille mesura soudain combien elle aurait aimé offrir tout cela à son frère. Sa condition ne le lui permettait pas, aussi en conçut-elle de l’amertume. Elle répondit au curé que ce serait pour Angélus une grande bénédiction mais, qu’hélas, sa famille ne pourrait pas payer le prix de l’internat. Ne voyait-il pas, ce bon Père Grangeais, qu’ils étaient dans la misère ; que les études coûtaient cher ; que Michel, l’aîné, était revenu diminué de la guerre et qu’il ne ramenait que des payes dérisoires, quand il ne dilapidait pas le tout en beuveries à la taverne ; qu’il ne fallait plus compter sur le père, pas plus que sur Joseph marié et déjà nanti de deux enfants ? Il ne restait plus que Pierre et Germaine, mais ce n’était pas ces quelques sous qui allaient permettre de telles dépenses… 

       Alors le Père Grangeais expliqua à Camille que ses études lui seraient offertes par le diocèse et par le docteur Gagey. La jeune novice fut tellement surprise et touchée qu’elle se jeta aux pieds du prêtre, les larmes aux yeux et le coeur plein de reconnaissance. Camille, après cet élan incontrôlé, s’était bien sûr excusée de ce débordement. Le Père Grangeais, ému et troublé, chercha le ton juste. 

       - Mon enfant, relevez-vous. Je vous ai connue toute petite ; je sais combien vous êtes intelligente, dévouée et pieuse. 

       Il lui rappela qu’il la considérait depuis longtemps comme sa fille spirituelle et qu’il avait même appuyé son entrée au couvent, car il la trouvait très méritante. Ce qu’il omit de lui dire, c’est qu’en deux ans, bien malgré lui et dans le secret de son âme, torturée et palpitante, il était devenu sensible au charme troublant de sa protégée. 

       Soeur Camille accepta cette offre miraculeuse avec joie, d’autant plus que la misère chez les Galin était, comme elle l’avait avoué au prêtre, à son comble. Le père continuait à boire, suivi par le frère aîné. Thérèse, elle, avait trouvé à se marier et de leur union venait de naître une fille dont la laideur promettait de rivaliser avec celle de ses parents. 

       Angélus, depuis que sa soeur était rentrée au couvent, et bien qu’elle vienne passer tous les dimanches avec eux, avait bien du mal à supporter l’ambiance lourde et sale de la maisonnée. 

       Aussi, c’est avec soulagement qu’il apprit la nouvelle et qu’il accepta d’entrer, en octobre, comme pensionnaire chez les Frères de Saint François, ce qui ne manqua pas de rendre furieux ses anciens camarades d’infortune qui, eux, n’auraient pas le privilège d’aller paresser sur les bancs de l’école plus longtemps. 

       Le collège des Frères, depuis quelques années, passait pour un des meilleurs de la région, non seulement pour l’enseignement qui y était dispensé, mais aussi pour la droiture et le sérieux de ses Pères qui, chose rare à l’époque, avaient décidé de faire fi des différences sociales, mettant sur un pied d’égalité tous leurs élèves. Les châtiments corporels n’étaient employés qu’en cas de force majeure et envers les plus récalcitrants. 

       Cette éducation où la justice semblait avoir sa place, faisait des adeptes parmi ceux pour qui le savoir seul importait, sans distinction de classe apparente. Bien sûr, il arrivait souvent que des parents nantis aient à se plaindre que leurs enfants ne bénéficient pas de régime de faveur, comme c’était le cas dans tous les autres collèges. Ils menaçaient alors les Frères de ne plus verser d’aides à l’institution mais, fort heureusement, la congrégation était riche et pouvait se passer de leurs deniers. 

       Quant à l’évêque, il avait le Père supérieur en très grande estime et ne souhaitait pas intervenir dans cette lutte entre les bien et les mal-chaussés, trouvant, en son âme et conscience, que ces derniers valaient souvent mieux que les premiers.

    ***

    (A suivre)


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    "Ils causent tous la même langue de p... tes potes!
    - T'exagère, y'en a qui parlent, quand même..."

    "La traversée de Paris"


    Les ancêtres des peuples d'Europe 
    et d'Asie parlaient la même langue

       (...) Bien avant la naissance du mythe biblique de la Tour de Babel dans lequel Dieu condamne les peuples de la terre à ne plus se comprendre et à parler des langues différentes, il y a 15 000 ans, les ancêtres de la plupart des peuples européens et asiatiques parlaient bien la même langue.

       C'est ce que montre une étude scientifique publiée cette semaine dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences qui bouleverse nos connaissances de la linguistique et de la préhistoire. «Nous pouvons retrouver des échos d'une langue existant il y à 15 000 ans ce qui correspond à la fin du dernier âge glaciaire» explique Mark Pagel, biologiste spécialiste de l'évolution de l'Université de Reading au Royaume-Uni qui est l'un des auteurs de l'étude publiée par la revue de la National Academy of Sciences américaine. Selon cette étude, des mots phonétiquement proches de l'anglais mother (mère), father (père) et man (homme) étaient prononcés par des populations se trouvant il y a 15 000 ans dans le Caucase. (de l'anglais, évidemment...)

       Jusqu'à la publication de cette étude, d'autres chercheurs avaient réussi à trouver en Anatolie une langue qui remontait entre 8000 et 9500 ans et semblait être l'origine de la plupart des langues indo-européennes modernes.

       Pour Mark Pagel, l'évolution des langages s'apparente à celle de l'évolution biologique avec un certain nombre de constantes. Ainsi, les mots les plus utilisés évoluent bien plus lentement que les autres ce qui signifie qu'on peut trouver des racines communes et les dater. Par exemple, le français et l'anglais ont 50% de leurs mots qui dérivent d'un ancêtre commun (comme mère et mother), mais l'anglais et l'allemand ont 70% de leurs mots qui ont un ancêtre commun ce qui montre que si ces trois langues sont liées, l'anglais et l'allemand ont un ancêtre commun plus récent.

       Les chercheurs ont identifié les mots les plus importants, qui définissent les relations sociales, ceux qui changent le plus lentement dans les langages modernes et les liens entre les différentes langues actuelles. Ils ont ainsi pu remonter dans le temps et reconstituer des mots très anciens, des mots fossiles, en s'appuyant sur la fréquence de changements de certains sons entre différentes langues. Ainsi, le pater (père) en latin est clairement apparenté au father en anglais.

       L'ancêtre de pater est selon cette théorie, l'un des 23 mots issus de cette fameuse langue ancestrale d'il y a 15 000 ans. On peut y ajouter I (je), fire (feu), hand (main), to hear (entendre)… Mais il est difficile avec cette technique de remonter au-delà de 15 000 ans. «Même ces mots qui évoluent très lentement ne permettent pas de remonter plus loin» explique Mark Pagel.

       Cette étude ouvre en tout cas de nouvelles possibilités de compréhension et de connaissance de la préhistoire. En utilisant la linguistique aux côtés de l'archéologie et de l'anthropologie, on pourra par exemple mieux comprendre les mouvements de population.




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    (Ce monde tournait dans la même direction...
    Éternellement...)


    NIGHTVISION
    MONDAY: TAIYO YAMAMOTO
    (SOURCE: MOTIONADAY, VIATIMTIMTIM)

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    "Moi, j'voudrais bien travailler...
    Mais j'peux plus!
    Ben merdre alors..."


    liberation.fr

    Les belles légendes du capitalisme : 
    Pour être compétitifs, travailler plus, 
    gagner et se reposer moins

       (...) Ce qu'il y a de formidable dans le capitalisme auto régulé, c'est que lorsqu'il provoque des crises économiques monumentales, il peut compter sur un certain nombre de ses séides pour trouver des solutions qui permettront au système de gagner encore quelques années avant ... la prochaine crise.

       Néanmoins, diriez-vous il serait fort de café que des banques ou leurs représentants, dont tout le monde connaît la responsabilité dans la crise née en 2008, viennent nous expliquer ce qui est bon pour relancer la machine économique.

       Hé bien vous auriez tort, puisque c'est l'un d'eux, en l'occurrence Michel Pébereau, qui s'y colle dans le Magazine Les Enjeux Les Echos du mois de mai 2013 où il nous parle de compétitivité. 

       Mais diront certains, qui est Michel Pébereau ? Son parcours professionnel est retracé sur le site de EADS. Outre le fait qu'il est administrateur d'un bon nombre de grandes entreprises telles que : Compagnie de Saint-Gobain - Total - EADS - AXA. Il faut ajouter, entre autres : Membre du Comité exécutif de l’Institut de l’entreprise et membre du Conseil exécutif du MEDEF.

       Sinon Monsieur Pébereau est essentiellement connu pour son passage remarqué dans le monde bancaire, puisqu'il fut : Président du Conseil d'administration de BNP Paribas entre 2003 et 2011. Ce qui lui vaut aujourd'hui, entre autres, d'être : Président honoraire de BNP Paribas - Président de la fondation BNP Paribas - Membre du Conseil d’administration de BNP Paribas S.A. Suisse et membre du Conseil de surveillance de la Banque marocaine (!) pour le commerce et l’industrie.

       Il va s'en dire que Monsieur Pébereau ne peut ignorer que BNP Paribas possédait, en juillet dernier, 360 filiales dans les paradis fiscaux . Ce qui en fait sans nul doute un champion de la compétitivité et de ... l'optimisation fiscale.

       Mais ce n'est pas de cela que le Président honoraire de BNP Paribas a souhaité parler dans sa tribune. Extrait de la page 36 : « (...) Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi doit en effet réduire de 20 milliards d'€ le coût du travail. Mais dans les activités où celui-ci resterait encore trop élevé par rapport à nos voisins, ne pourrait-on pas travailler plus longtemps au même salaire, afin de préserver l'emploi et l'investissement ? Par exemple en réduisant le nombre de jours de congés ou en augmentant celui des heures travaillées (...) »

       En voilà une idée qu'elle est bonne ! Surtout lorsqu'on sait que cette logique est sans fin. En effet, au jeu de la compétitivité entre pays européens, il se trouvera toujours des endroits où on baissera les salaires, ce qui aura pour effet de faire baisser la compétitivité des autres qui du coup appliqueront le remède du docteur Pébereau.

       La seule limite dans l'immédiat étant fixée par une directive européenne qui définit un temps de travail hebdomadaire ne pouvant pas dépasser 48 heures (en moyenne, heures supplémentaires incluses). Néanmoins, sachez que, nous dit Eurogersinformation : « (...)les travailleurs peuvent, par un accord individuel avec leur employeur, renoncer à la limite des 48 heures (...) dans ce cas, la durée maximale d'heures de travail ne peut dépasser 65 heures (...) (jusqu'à la prochaine loi...)»

       Si la majorité d'entre nous trouvera particulièrement choquantes les propositions de M. Pébereau, sachez que celui-ci a pourtant de forts arguments à faire valoir : « (...) Il n'en coûterait rien aux finances publiques et celà n'affecterait pas le pouvoir d'achat des intéressés (...)»

       D'autant aurait pu ajouter M.Pébereau que la profusion de produits low cost fabriqués dans des pays où les salaires sont encore plus bas pourront satisfaire l'appétit de consommation des salariés qui travailleront plus ... pour le même prix. (...)
    Lire sur:


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    Benoît Barvin

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (MANGE A TA FAIM
    MAIS PAS A CELLE DE TES VOISINS)

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    LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/5)
    pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste

       Soeur Camille de l'Incarnation est la soeur d'Angélus qui rapporte la manière dont elle s'est occupée de son frère, aussi beau que l'enfant Jésus mais possédant, semble-t-il, un don venu on ne sait d'où...

    ANGÉLUS 
    ou 
    LES SECRETS DE L’IMPALPABLE 

    Laennec_-_Théobald_Chartran



    CARNET DE SŒUR CAMILLE DE L’INCARNATION 

    (novembre 1879) 

       Notre bon docteur Gagey vient de mourir suite à une mauvaise chute de cheval dans un de ces chemins embourbés de l’automne. Paix à son âme ! Lui qui aimait tant mon Angélus, au point de lui avoir financé une partie de ses études… 

       Mais de tous ceux qui ont connu de façon la plus intime qui soit mon frère Angélus, je pense être la plus proche. Pour dire vrai, je l’ai suivi pas à pas, seconde après seconde. Angélus avait la beauté et la délicatesse dont j’étais, par je ne sais quel atavisme, dépourvue. 

       Tout jeune il sut se faire choyer par moi, alors que tout, compte tenu du contexte, aurait dû l’exposer au sein de notre famille aux pires des traitements. Il fut élevé dans la soie, le satin et les étoffes les plus moelleuses, quand nos frères et soeurs se contentaient de cotonnades grossières, de serge et de chanvre épais. 

       Je faisais preuve de mille ingéniosités pour combler les désirs de mon protégé, et celui-ci put développer à l’extrême son sens du toucher. Devinant ses besoins en la matière, je sus lui procurer des velours à caresser, des peaux de lapereaux à palper, bref, toutes sortes de textures plus douces les unes que les autres, sur lesquelles le bambin faisait courir ses doigts et ses mains tout au long des journées passées au berceau. Dans cette occupation, un léger babil s’échappait de ses lèvres et c’était comme une musique céleste qui, chaque fois que je l’entendais, calmait et cautérisait mes tourments. 

       Dès qu’Angélus sut courir, il s’échappa dans la campagne où il rencontra des kyrielles de sensations tactiles dont il sut rapidement user. Je me souviens d’une journée de printemps où, saoulé par toutes les odeurs que la Nature lui apportait et par les innombrables textures qu’il ne cessait de découvrir sur les plantes, les pétales et les duvets d’oiseaux, il s’écroula dans un champ, en pleurs, remerciant avec des mots enfantins une quelconque Déité pour tant de beautés. 

       En effet, mon frère était extrêmement sensible. Chaque fois qu’il effleurait du doigt une étoffe ou toute autre matière, il entrait en extase et son visage, transfiguré, devenait celui d’un découvreur d’infinis. Ce sens tactile prit rapidement le pas sur tous les autres et Angélus ne vécut que pour son affinement. 

       Pour commencer, il ne sélectionna que les sensations les plus agréables. Son expression de plaisir lui valant de nombreuses réprimandes, mon frère essaya d’autres sensations, se fixant sur le rugueux, le piquant ou le granuleux. Toujours ces nuances lui aiguisaient plus avant sa perception des choses, la qualité des unes naissant de la propriété des autres. 

       Voyant qu’il avait de si grandes dispositions tactiles et pour aider à l’ordinaire, je lui enseignai en cachette l’art de la dentelle. Les leçons furent brèves car à me regarder faire pendant nos longues soirées d’hiver, il avait déjà tout engrangé dans sa tête. Des petits fuseaux de buis ne tardèrent pas à courir sous ses doigts, en cliquetant joyeusement. Je le regardais émerveillée. 

       « Comme tu es adroit, mon Angélus ! Jamais personne, à ma connaissance, n’a réalisé de si beaux ouvrages, et si vite. Quelle finesse ! » 

       Quand il avait achevé sa pièce de dentelle, je l’admirais toujours, non pour en chercher les défauts, il n’y en avait pas, mais pour découvrir au travers de tout cet entrelacs de points compliqués des figures d’oiseaux et de fleurs des champs, composées avec des soies si fines qu’on eût cru voir là une oeuvre divine. Qui aurait pu penser qu’une telle perfection ait été conçue par un garçonnet de dix ans ? 

       «Monsieur le curé sera content de cette livraison. La dame du notaire en donnera bien 1 franc. Si tu voyais comme il me congratule, comme il me croit adroite ! C’est tout de même dommage de devoir mentir. J’aimerais tellement que ce soit toi que l’on félicite ! » 

       Angélus souriait. Il aurait fallu un miracle pour que ces gens reconnaissent enfin ses qualités et cessent de voir en lui une expression du Diable... Au lieu de cela, pour échapper à leur méchanceté il devait se cacher, feindre d’être ailleurs, ce qui le faisait passer bien des fois pour un simple d’esprit. 

       S’il pouvait se rendre à l’école, il ne pouvait se joindre aux jeux de ses camarades car ceux-ci le rouaient de coups. D’ailleurs il ne recherchait pas leur compagnie. Il regrettait simplement que les filles soient séparées des garçons. Alors, il les regardait évoluer dans la cour mitoyenne et il s’imaginait que si on les mettait ainsi à part, c’était pour protéger la grâce et la fraîcheur que la vie rude et le sceau de la prédestination n’avaient pas encore altérées. Il avait remarqué que les affections de peau tardaient plus à s’installer chez les unes que chez les autres. Et il guettait ces territoires préservés dans l’espoir de pouvoir en goûter la texture. Car mon Angélus, je l’ai déjà dit, ne pouvait pas résister au désir d’expérimenter, de palper la matière quelle qu’elle soit. 

       Aussi, dès que l’occasion s’en présentait, et bien qu’il ait essayé de surmonter ses envies, il s’arrangeait pour approcher l’heureuse épargnée et là, d’un geste toujours discret, furtif, mais qui ne pouvait échapper aux yeux malveillants qui partout le surveillaient, il effleurait la portion de chair diaphane, un cou de cygne, une joue duveteuse ou un mollet élastique. Tout ceci l’attirait irrésistiblement ; d’autant plus que ces parcelles de beauté et de fraîcheur étaient rares dans le bourg. Il osait s’abandonner à ce désir d’autant mieux que sa propriétaire était comme attirée par ses yeux d’un bleu limpide et son sourire un peu distrait qui s’apparentait à celui des angelots sculptés au-dessus du portail de la vieille église du bourg. 

       Bien sûr, lui ne voyait aucun mal à ces attouchements et s’il eût été aveugle, on lui eût volontiers pardonné. Mais dans son cas, on ne lui concédait aucune excuse et il passait de longues heures au piquet, car il se trouvait toujours quelqu’un pour aller se plaindre de ses caresses, ne fut-ce que pour la joie de le voir puni. 

       En classe, il était le meilleur au niveau de l’écriture où il surpassa très vite le maître tant il était habile, précis et inventif pour tout ce qui concernait la calligraphie. On le citait en exemple. Ses pages d’écriture firent le tour des écoles du canton, ce qui lui valut la jalousie féroce de ses camarades et l’intérêt inquiet du maître face à ce petit prodige qui ne semblait pas plus doué qu’un autre pour le reste des matières ou qui, du moins, ne le montrait pas, car il devint rapidement expert en dissimulation, ayant compris qu’être le meilleur lui attirait des ennuis auxquels il ne pouvait se mesurer n’étant pas physiquement aussi fort que les autres. 

    ***

       Il se fit bientôt autour de lui un grand cercle de médisances, de méchancetés et de haine, celle-là même qui enfanta chez certains garnements, quelques années plus tard, l’idée diabolique de métamorphoser cet être féerique en un repoussant crapaud. 

       Oh Mon Angélus ! Tu étais alors la joie et l’innocence même, ainsi que je le sondais, moi qui avais la possibilité de me nicher au plus profond de ton coeur. Cependant, à chacune des brimades qu’on t’infligeait, à chaque nouvel affront qu’on te faisait, je sentais que ton coeur durcissait, s’opacifiait telle une pâte de glaise qui, à l’air libre, devient dense, incompressible, se fige en une masse à la dureté métallique. 

       Peu à peu, le regard qu’on te porta passa de la curiosité à la méfiance et de cette dernière à la colère. Tu déclenchais, à chaque passage, une ire d’autant plus surprenante qu’elle naissait de gens à qui tu ne t’adressais jamais, vers lesquels tu n’esquissais aucun geste pouvant être mal interprété 

       «C’est l’enfant du Diable » chuchotaient les commères, « C’est le septième garçon, je vous dis qu’il est marqué, pour sûr » et elles se signaient d’importance, alors que leurs maris crachaient à terre pour conjurer le mauvais sort. Même le curé du bourg, le père Grangeais, homme intègre et de grande noblesse en temps ordinaire, et dont j’apprécie toujours la compagnie, devenait soupçonneux lorsqu’il t’apercevait. 

       Moi qui eus toujours la faculté de deviner les pensées d’autrui, aux mimiques ou aux voix que j’entendais, je pouvais sentir les effluves de rage qui sourdaient de ces gens, transformés à présent en foyers de violence. Celle-ci, jusqu’à l’année de tes quatorze ans où elle explosa dans ce terrible crime dont tu fus l’innocente victime, ne fit qu’augmenter, grossir et palpiter dans chacun de ces coeurs grossiers, jaloux et destructeurs. C’était le cratère d’un volcan qui s’emplissait de toutes les rancoeurs qu’on éprouve devant l’être différent et « magique » que tu étais alors... 

    ***

       Depuis qu’Angélus fréquentait l’école, je travaillais selon les saisons, soit à la filature d’Aubenac, soit chez des particuliers. Ma soeur Thérèse ne s’occupait jamais de Jean. Par contre, je pouvais compter sur Mariette pour veiller un peu sur le petit. Sous ses airs durs, elle avait tout de même un coeur d’or, quoique très influençable. 

       Un soir, tandis que j’étais penchée sur mon ouvrage, le père me dit : 

       - Hé bien Camille, tu vas avoir dix-huit ans, il faudrait songer à se marier ! 

       Sa réflexion, dans laquelle se lisait tout l’intérêt qu’il aurait aimé tirer de mon mariage, ne m’encouragea pas à me mettre à la recherche d’un futur époux. Mes soeurs, déjà, avaient eu bien du mal à trouver un conjoint et les élus n’avaient pour moi aucun attrait, aussi rustres l’uns que l’autre ; tous les deux aussi laids et dépourvus de toute intelligence et, ce qui était pour moi impardonnable, incapables de la moindre sensibilité. 

       J’avais gardé de très bonnes relations avec les religieuses qui m’avaient éduquée et, chaque fois que j’allais leur rendre visite, je trouvais au monastère la paix qui ne régnait plus chez moi. 

       Et ainsi, au fil de ces visites, ai-je fini par désirer entrer en religion, à la fois par calcul et par attirance envers Notre Seigneur Jésus-Christ, dont le corps à demi-nu, sur la croix, provoquait en moi une douce émotion, faisant souvent monter des larmes sous mes cils et battre très fort mon pauvre petit coeur. 

       De plus en plus souvent on me surprit, plongée dans un état méditatif, alors que la besogne ne manquait pas. Je restais prostrée en l’absence d’Angélus, incapable d’entamer un quelconque travail ; attirée par le son des cloches qui rythmaient mes mornes journées ; lisant et relisant les confessions de Nos Saintes ; rêvant d’entrer, comme elles, au service de Notre Seigneur. 

       Je supportai encore l’ambiance familiale une paire d’années, mon Angélus n’ayant que six ans, mais je me promis de faire mon postulat lorsqu’il aurait dix ans. Entre-temps, à l’insu de tous, je parvins à économiser assez d’argent pour que mon angelot ne manque de rien et qu’il aille à l’école normalement et ce, malgré la guerre et les malheurs qui s’ensuivirent. 

    ***
    (A Suivre)


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    "Exception culturelle, exception culturelle...
    Tu vas voir ce que j'en fais, moi,
    de ton exception culturelle...
    - Mais, cette nuit, tu n'avais rien contre!"

    Marlene Dietrich, Arthur Kennedy,
     Rancho Notorious de Fritz Lang, 1952


    UE-ETATS-UNIS :


    Les cinéastes défendent 

    l’exception culturelle européenne
    PresseuropLes Echos

       Dans une pétition adressée à la Commission européenne le 22 avril, 80 réalisateurs européens exigent que Bruxelles exclue l’audiovisuel et le cinéma des négociations sur un accord de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis, qui débuteront cet été.

       Ils entendent ainsi – Belges et Français en tête – défendre “l’exception culturelle”, qui permet de limiter le libre-échange de la culture sur le marché et de permettre aux pays de promouvoir leurs propres oeuvres.

       La Commission “est accusée par le monde du cinéma de n’avoir qu’une ‘vision libérale’ de la culture”, note le quotidien Les Echos, qui ajoute que pour les cinéastes, “la culture doit être la source de l’Union à l’heure où l’Europe politique ‘peine’”.

       La charge a poussé Bruxelles à réagir : le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, a assuré dans un communiqué que “l’exception culturelle ne sera pas négociée”. Mais son porte-parole a précisé que cela n’exclut pas l’audiovisuel des négociations.

       Le quotidien économique rappelle que ce n’est pas la première fois que le monde du cinéma s’insurge : "En 1993, à l’occasion de la renégociation des accords du GATT, l’ancêtre de l’OMC, les cinéastes n’avaient pas hésité à affréter un avion pour Bruxelles pour faire valoir leurs vues devant l’offensive américaine, qui voulait notamment que la culture soit assimilée à une marchandise comme les autres. Vingt ans après, ils sont prêts à renouveler l’opération."(...)



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    (Le plus court chemin c'est... heu... 
    la ligne zigzagante, peut-être, non?)


    Atlantic ocean road in Norway, 

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    "Bar... Humpf... De volupté?
    Vous... Humpf... avez l'adresse?"


    RUSSIE 
    L’anticafé, une oasis de volupté
    Anders Mård 

       (...) La place Vosstaniia est le carrefour le plus fréquenté de Saint-Pétersbourg, métropole de 5 millions d’habitants. Mais, au coin de la place, au troisième étage d’un vieux palais donnant sur la perspective Nevski, le stress s’évapore comme par magie.

       Une inscription sur la porte : "Tsiferblat – Bienvenue". Le mot "Tsiferblat" désigne le "cadran de la montre". Si vous ne connaissez pas l’adresse, vous n’avez aucune chance d’arriver jusqu’ici. En bas, dans la rue, pas la moindre trace de panneau ni de publicité, juste une sonnette rudimentaire.

       "Le plus important pour nous, c’est que les gens se sentent bien ici. L’endroit vise à donner l’impression de rendre visite à un ami proche", explique Inga Belingua, qui est à l’origine du projet.

       Ce concept a été baptisé "anticafé". Les Tsiferblat proposent du café, du thé et des gâteaux. Vous pouvez y siroter autant de cafés que vous le voulez. Et l’on ne parle pas de café en poudre, mais de café en grains de qualité supérieure. Qui plus est, vous pouvez y apporter votre nourriture et la réchauffer au micro-ondes. La seule chose payante ici, c’est le temps passé sur place. Et le prix est à la portée de toutes les bourses. La première heure coûte l’équivalent de 3 €, moitié moins ensuite.

       "Nous ne perdons pas d’argent, mais l’argent n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est de proposer un espace de liberté et un échange décontracté avec nos visiteurs", confie Inga Belingua.

       Je commande un cappuccino et m’installe à une table de bois sommaire. La déco est authentique et sans prétention, tout en bois, avec quelques vieux placards dans les coins. Un air de jazz s’échappe des baffles.

       Ceux qui le souhaitent peuvent retirer leurs chaussures et laisser leur manteau au vestiaire. Sur le rebord de la fenêtre, quelqu’un s’est assoupi, allongé sur un matelas. Les autres tables sont occupées par quelques étudiants.

       Le premier Tsiferblat a ouvert ses portes à Moscou il y a quelques années. Aujourd’hui, l’enseigne a essaimé dans plusieurs villes : Rostov-sur-le-Don, Kazan et Nijni Novgorod en Russie, Odessa et Kiev en Ukraine. A Saint-Pétersbourg on en compte déjà deux – et plusieurs autres cafés se sont inspirés directement du concept.

       "La recette de notre succès, c’est l’ambiance détendue que nous proposons et les gens intéressants qui fréquentent l’établissement, analyse Inga Belingua. Ici on échappe au stress et au tohu-bohu de la ville. C’est un lieu accueillant où l’on se sent bien. Les gens ne doivent pas se sentir ici comme des clients, mais comme des hôtes."(...)


    @@@
    Benoît Barvin

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (SI TES LAURIERS SONT FANÉS
    CHANGES-EN)

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    LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/4)
    pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste

       On suit les efforts de Camille pour s'occuper du petit Angélus, alors que le père, le rendant responsable de la mort de son épouse, lui bat froid...

    ANGÉLUS 
    ou 
    LES SECRETS DE L’IMPALPABLE 

    "VIERGE" PEINTURE A L HUILE 18e SUR ...

    CARNET DE SOEUR CAMILLE DE L’INCARNATION 

    (juin 1879) 

       « Dieu m’a-t-il abandonnée ? Suis-je à tout jamais (jusqu’à la fin des temps ?) condamnée à errer dans cet enfer sordide qu’est la vie ? Angélus, mon frère si tendrement aimé, es-tu la cause de ma perte ou celui qui me sauvera d’une mort dont je ne sais si elle est méritée, mais que je pressens tragique ? Je ne le sais pas encore… 

       Je ne suis qu’une pauvre pécheresse, une ancienne élue d’un Dieu qui, sur mon chemin, a dressé de nombreux obstacles que je n’ai, hélas, pas su escalader comme Il l’exigeait. 

       On dit de moi que je suis un être dans lequel la sainteté, l’humilité et le don de soi s’imbriquent étroitement... S’ils savaient... Que penseraient mes chères moniales si un extrait de ce cahier venait à tomber entre leurs mains ? 

       J’ai souvent demandé à Notre Guide Suprême de m’éclairer, mais les réponses que j’ai obtenues étaient si difficiles à décrypter que j’ai dû m’en remettre à ma clarté intérieure, si tant est qu’elle existe encore. 

    Je jure pourtant devant Notre Seigneur que les feuilles que j’ai écrites l’ont été avec foi et que j’ai retracé, le plus fidèlement possible, la vie de mon cher frère Angélus, cet ange descendu du Ciel pour m’aider à entrevoir un peu du mystère de la Création... 

       J’ai aimé notre mère avec passion. Mes deux petits frères et ma petite soeur étaient l’objet de tous mes soins. Jamais je n’aurais cru que l’annonce d’une nouvelle naissance soit l’occasion d’un tel bouleversement dans ma vie. Et pourtant, lorsque notre père nous a parlé de ce dixième enfant à venir, j’eus une brève seconde un pincement au coeur. J’étais en train de laver à grande eau notre pauvre cuisine et je m’arrêtai, interdite, une soudaine sueur perlant à mes tempes. Ce bref malaise me laissa inquiète et je l’étais, terriblement, ce jour fatal où Mère mourut en couches. 

       Elle ne m’avait jamais vraiment aimée, préférant Thérèse qui, robuste, ne se plaignant jamais, abattait une masse considérable de travail. Moi, j’étais plus portée à l’étude et, jusqu’à sa mort, personne n’osa trouver à redire à ce penchant, car en arrivant à la maison je faisais ma part de la besogne sans rechigner. Il m’arrivait même de manquer la classe, mais je n’avais aucun mal à rattraper mes camarades qui étaient assez lentes et paresseuses. 

       Mes parents étaient somme toute très fiers de pouvoir envoyer au moins un de leurs enfants dans une institution privée et, bien que cela fût pour eux un grand sacrifice, ils avaient tenu, vu mes dispositions, à ce que j’aille chez les Religieuses. Mes frères et soeurs, eux, n’avaient connu ou ne connaissaient que la classe communale tenue par Mademoiselle Pons. 

       Je souffrais à cette époque d’un impétigo chronique, ce qui n’empêchait pas mon père de me considérer comme la plus jolie de ses filles. Il me passait souvent la main dans les cheveux ou, brièvement, me serrait contre lui, marque d’affection qui rendait ma mère jalouse. 

       Après sa disparition, notre père se rembrunit. Plus jamais il ne s’intéressa à moi, pas plus d’ailleurs qu’au reste de la famille. Il se mit à boire mais, heureusement, jamais au point de devenir violent. 

       Chaque fois qu’il voyait Angélus, son visage s’empourprait et il se détournait, prêt à cracher à ses pieds, comme le faisaient les autres gars du bourg. Mais il se retenait toujours. Il semblait haïr mon frère, son propre fils, et en même temps paraissait en avoir très peur. 

       Je me souviens qu’une nuit, alors qu’il rentrait très tard de la taverne, il me trouva dans la cuisine en train de bercer Angélus qui avait fait un cauchemar. La lueur de la lune tombait en oblique sur le visage de mon petit frère. Quand la porte s’ouvrit brutalement, mon père apparut, titubant et Angélus poussa un cri très bref. Père s’avança vers nous avec un air si terrible que j’eus peur, une seconde, qu’il veuille mettre à mal celui qui m’avait été confié. 

       - Non, Papa ! lançai-je d’une voix tremblante, en tentant de soustraire à la fureur paternelle le pauvre chérubin. 

       Mon père s’arrêta à deux mètres de nous. Le visage si lisse d’Angélus, nimbé par la clarté lunaire, parut se transformer sous mes yeux. Son regard se mit à briller d’étrange façon. Mon père, le bras levé dans un geste menaçant, s’arrêta net. Son bras retomba avec lourdeur, comme celui d’une marionnette dont le fil vient de casser. 

       Il resta quelques secondes figé, une expression de terreur peinte sur ses traits, les déformant tout entier. Puis il tourna subitement les talons et, en gémissant, s’enfuit dans la nuit et ne revint que le lendemain. 

       Après son départ, je regardai attentivement la face ronde d’Angélus. Ses yeux avaient perdu leur étrange clarté, sa bouche s’étira en un petit sourire satisfait, un souffle tranquille s’échappa de sa douce poitrine et il s’endormit. 

       Cet épisode reste à jamais gravé dans ma mémoire car, durant toute la nuit, je ne pus fermer l’oeil. On fêtait, ce soir-là, la résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ. J’eus longtemps la pensée qu’Angélus était un des envoyés de Celui que nous chérissons tous et, parfois, car j’étais encore jeune et impressionnable, j’en venais à penser qu’il s’agissait tout simplement de son envoyé particulier. 

       Lorsque j’étais par trop exaltée, je me prenais en sus à rêver d’une nouvelle incarnation de ce Seigneur pour lequel, aujourd’hui, je n’épargne ni ma peine ni mes prières. Pourra-t-il jamais me pardonner d’avoir eu de telles pensées impies, pensées qui m’ont, hélas, entraînée sur une route sulfureuse que je n’aurais jamais dû emprunter ? Saura-t-il comprendre combien la présence d’Angélus, dans cette vie tissée de malignités constantes, me devenait peu à peu nécessaire ? Oui, je le crois, car Lui seul sait lire dans les coeurs et le mien, bien qu’imparfait, lui est totalement dévoué... 

    ***
    (A Suivre)

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    (Sous le voile, il y avait belle et bien une femme...)


    Une fatwa contre une déclaration 
    de l’ONU trop favorable aux femmes
    Pierre Haski

       Une fatwa contre une déclaration des Nations unies ? C’est sans doute une première et on a la doit au Grand Mufti de Libye, cheikh Sadek Al-Ghariani. L’objet de la colère du plus haut dignitaire musulman libyen : les femmes, évidemment.

       Le Grand Mufti s’insurge contre un projet de déclaration en discussion à une réunion de la commission de la Condition de la femme qui se tient actuellement au siège de l’ONU, à New York, et à l’issue de laquelle les représentants de 190 gouvernements doivent en principe adopter vendredi une déclaration sur « l’élimination et la prévention de toutes les formes de violence faites aux femmes et aux filles ».

       Cheikh Sadek appelle les musulmans du monde entier à protester vendredi  (3 mai 2013) contre cette déclaration qui prône, selon lui, « l’immoralité et l’indécence », et serait contradictoire avec certaines dispositions de la charia.

       Le Mufti libyen a été rejoint dans ses critiques par les Frères Musulmans, le parti au pouvoir en Egypte, qui a lui aussi dénoncé les aspects de cette Déclaration onusienne contraires selon lui à la Charia.(...)

       Il n’est pas le seul à s’opposer à l’adoption de ce texte. Le New York Times a dénoncé mercredi, dans un éditorial, l’« unholy alliance », l’alliance « peu sainte » et même carrément contre nature entre l’Iran, la Russie et... le Vatican (oui, le Vatican est un Etat non-membre observateur à l’ONU et à ce titre participe aux débats), pour bloquer ou atténuer cette déclaration vendredi.

       On assiste donc à une nouvelle offensive des forces les plus conservatrices (la Russie de Poutine et de l’Eglise orthodoxe est à ranger dans cette catégorie) pour bloquer une déclaration dont on sait le peu de cas qu’en feront de toutes les manières les Etats hostiles.
    Qu’y a-t-il d’hérétique dans ce texte ?

       Ces conservateurs, religieux et étatiques, s’opposent au langage contenu et aux idées défendues dans cette déclaration, de crainte qu’elle ne serve de référence et d’encouragement aux groupes de la société civile qui se battent sous toutes les latitudes.

       VOIR LE DOCUMENT (Fichier PDF)

       Qu’y a-t-il d’hérétique dans ce texte (disponible en téléchargement ci-contre dans sa version originale en anglais) ? Les objections portent sur plusieurs points :

       /la négation de la primauté de la religion sur le droit (sur des questions comme le divorce, l’héritage, le mariage) ;
       /la dénonciation de la structure patriarcale des sociétés et des inégalités qu’elle génère dans le statut des femmes ;
       /la reconnaissance en creux du droit des femmes à choisir leur sexualité (l’homosexualité, donc) et les questions liées à la procréation (contraception et avortement).

       L’une des phrases contestées, qui fait bondir imams et cardinaux (quand ils ne sont pas en conclave) car elle fait de la religion un alibi des violences faites aux femmes :

       « La commission appelle les Etats à condamner avec fermeté toutes les formes de violence envers les femmes et les filles, en se gardant d’invoquer toute habitude, tradition ou considération religieuse pour échapper à leurs obligations telles qu’elles sont définies dans la déclaration sur l’élimination de la violence envers les femmes. » (...)

    Lire la suite sur:

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    (Cette femme espagnole n'avait plus rien à se mettre)


    Mariano Fortuny y Marsal (1838-1874) - Nu sur la plage

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    (Quand?)


    Pourquoi les Espagnols ne se révoltent pas
    Ignacio Sánchez-Cuenca

       (...) Nous sommes aujourd'hui dans la cinquième année de crise. Le chômage augmente, tout comme la pauvreté et l'exclusion sociale ; des cas de malnutrition infantile commencent à apparaître ; des dizaines de milliers de familles ont été expulsées de leur domicile. Et les salaires continuent de baisser, ce qui n'est en revanche pas le cas du prix des biens et des services.

       La population a, par ailleurs, compris qu'il ne s'agit pas d'une situation temporaire, et qu'elle peut perdurer encore de longues années. Dans ces conditions, comment se fait-il qu'il n'y ait pas d'explosion sociale ? Pourquoi le système ne vole-t-il pas en éclats ? Jusqu'où peut aller la tolérance de la société espagnole sans qu'un soulèvement n'éclate ?(...) 

       Difficile, en effet, d'imaginer conjonction de conditions plus favorables à une explosion. Primo, les effets de la crise sont terribles. Comment une population comptant six millions de chômeurs parvient-elle à survivre ? Le pire étant que le chômage va continuer d'augmenter, puisque la demande intérieure est atone. Les économies et les aides qui, jusqu'à présent, permettaient à beaucoup de s'en tirer tant que bien que mal, arrivent aujourd'hui à épuisement. Ceux qui travaillent le font souvent dans l'économie souterraine, et en échange d'un salaire de survie.

       Secundo, les politiques barbares d'austérité que mènent l'Espagne et l'Union européenne ne font que démolir le pays et repousser un peu plus l'heure de la reprise. Au lieu de faire en sorte que la consommation et les investissements publics viennent pallier la chute de la consommation des ménages, le gouvernement coupe dans tous les postes de dépenses de l'Etat.

       Ainsi, non seulement la crise s'aggrave, mais la couverture sociale offerte à la population touchée par le chômage et la pauvreté diminue. Cela peut paraître brutal, mais l'UE et le gouvernement espagnol ont estimé que la sortie de crise passait par l'appauvrissement général de la majorité des Espagnols – car c'est cela, et rien d'autre, que veulent dire les mots “dévaluation interne” [dévaluation, non de la monnaie, mais des salaires et des prix dans un seul pays de la zone euro].

       Tertio, les Espagnols sont de plus en plus nombreux à penser que la répartition des sacrifices est d'une injustice flagrante. Le cas le plus sanglant, mais loin d'être isolé, est celui des expulsions. L'Etat débourse des aides généreuses et s'endette dangereusement pour assainir les banques, mais il n'offre aucune solution à la situation de tous ceux que la crise a étouffés sous les hypothèques. L'insensibilité des pouvoirs publics et des deux grands partis face à cette détresse a contribué à aiguiser l'indignation d'une bonne partie de la société.

       Quatrième point : en de pareils moments, il n'y a pas d'espoir. Le gouvernement a beau diffuser sa propagande sur l'imminence de la reprise, les Espagnols ont compris que nous sommes dans un processus de stagnation à long terme et que des années très dures nous attendent.

       Enfin, nous souffrons par-dessus le marché d'un parti au gouvernement corrompu et d'une inefficacité époustouflante. On a peine à croire que dans un moment aussi grave qu'aujourd'hui, le chef du gouvernement fasse l'objet d'un chantage en raison du financement illégal du parti qu'il dirige. (...)

    Suite sur:
    $$$
    Luc Desle

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (SUR LE FLEUVE DES JOURS
    LES PENSÉES SE NOIENT)


    µµµ

    LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/3)
    pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste

       La naissance d'Angélus Galin s'est mal passée. La mère est morte en couche. Mais une des soeurs, Camille, sauve l'enfant qui est d'une beauté singulière, lui le miséreux, né dans une famille où les tares sont nombreuses...

    ANGÉLUS 
    ou 
    LES SECRETS DE L’IMPALPABLE 

    Murillo, Saint Jean-Baptiste enfant.


       Au bout de quelques jours, la vie reprit son cours. Chaque matin, le père et le frère aîné s’en allaient à l’usine et ils baignaient là dans la vapeur étouffante des cuves de teintures, brassant et essorant des kilomètres de tissus. Ils en ressortaient le soir, éreintés, la peau cuite et tâchée. 

       Thérèse se rendait au lavoir et ne manquait pas d’ouvrage car elle avait récupéré les clientes de sa mère. Elle travaillait deux fois plus, abattant son battoir sur le linge avec la régularité d’un métronome, le visage fermé, les yeux vides. Mariette, de sept ans sa cadette, l’accompagnait et faisait sa part de travail. 

       Camille quant à elle, depuis le mois de juin, n’allait plus en classe. La mère avait eu besoin d’elle pour garder Pierre, le plus petit. Toutes ces absences étaient bien dommage car, aux dires de la Mère Supérieure du couvent voisin, cette petite avait toujours été très vive et intelligente pour son âge. Elle aurait bien aimé poursuivre ses études d’autant que les Soeurs l’y exhortaient, mais il n’en était plus question maintenant que la mère les avait quittés. Il y avait toute la maison à tenir avec les trois petits, Joseph, Germaine et Pierre qui n’avait que cinq ans, sans compter Angélus, son protégé. 

       Ce dernier lui donnait bien des joies mais aussi de nombreux soucis, tant il était délicat. Elle savait d’instinct que ce petit ne survivrait pas s’il était entouré des rudesses qui faisaient le lot quotidien des autres. Elle avait d’ailleurs consulté en cachette le docteur Gagey qui avait été fort impressionné par la délicatesse de cet enfant et qui, contrairement aux autres habitants du bourg, avait immédiatement vu que cette créature était pleine de grâces dans tous les sens du terme. 

       Il avait dit à Camille de lui donner tout ce qu’il y avait de plus fin, de plus aérien. Elle avait dû lui confectionner des langes dans les précieux draps de soie récupérés par sa mère chez le comte et la comtesse d’Argelliers lorsque ces derniers l’avaient congédiée, après un an de service au château d’Aubenac, le bourg voisin. 

       A cette occasion, les langues, au lavoir, étaient allées bon train et l’on disait que le comte, qui usait encore volontiers de l’ancestral droit de cuissage, avait dû s’acoquiner avec Marthe puis, une fois sa toquade passée, avait dû faire pression sur sa femme pour renvoyer la domestique pourtant fort appréciée pour son travail soigné et les bons soins qu’elle avait prodigués à Raphaël, leur fils. 

       Il ne s’agissait que de médisances qui, cependant, portèrent tort à Marthe et qui fit naître un sourd antagonisme entre la pauvre femme et son mari. 

    ***
    (A suivre)


    µµµ

    "Hé... Pssiiittt... Tourne-toi, tourne-toi!"


    Ballet West

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    "Hihihi... J'adore tous ces petits poissons coquins..."


    Vladimir Fedotko - a fish spa

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    "En Mai, je fais ce qui me plaît et si ça déplaît
    aux opposants au mariage pour tous,
    je m'en bats les c..."



    Peter Kolchin

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    (L'Homme Invisible était un voleur de femmes...)


    Leonid Bourtsev


    µµµ
    Jacques Damboise

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  • °°°
    Pensées pour nous-mêmes:

    (LE CHEMIN QUI MÈNE A LA SAGESSE
    N'A PAS DE NOM)

    °°°
    LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/2)
    pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste

       La naissance d'Angélus Galin et son existence même sont mystérieuses, aussi ce récit commence-t-il par des impressions, celle du personnage principal, au moment de sa naissance, qu'il a pu "ressentir" grâce à des pouvoirs sensoriels hors du commun...

    ANGÉLUS 
    ou 
    LES SECRETS DE L’IMPALPABLE 


    Murillo "ENFANTS AUX RAISINS"

       C’est donc en plein mois d’août que Marthe Galin accoucha. Les hommes revenaient des champs et de la manufacture. Les lavandières allaient plier leur dernière lessive, lorsque les douleurs clouèrent Marthe au bord du grand lavoir. On n’eut pas le temps de la conduire chez elle que déjà elle était accroupie, mettant au monde un nourrisson à la peau toute fripée, mal positionné, à la ressemblance d’un crapaud. 

       L’être qu’elle tira à elle ne bougeait pas. Une des voisines s’en empara, coupa le cordon avec un couteau sur lequel s’écoulèrent quelques gouttes de sang noir. L’enfant était mort-né. 

       Personne n’eut l’opportunité de plaindre la malheureuse mère que, déjà, elle poussait un étrange gémissement et, d’entre ses cuisses ouvertes, un petit être rose glissa avec une suavité inaccoutumée. Ses compagnes avaient tiré des corbeilles du linge pour le recevoir et il se retrouva dans un écrin de draps et d’étoffes souples et fraîches. Elles s’extasièrent aussitôt de la bonne mine du nouveau-né, ainsi que de son teint délicat de pétale de fleur. 

       A cet instant, l’angélus sonna. 

       La mère Galin qui n’avait pas pour habitude d’admirer sa progéniture, demeurait là, en arrêt devant une telle merveille. Cet enfant venait en un instant d’effacer le premier nourrisson à l’apparence crapoteuse. 

       Dans sa cervelle enfiévrée, un grand souffle de joie la submergea. Ce pourrait-il que cet enfant ne devienne pas d’aspect malingre, vieillot avant l’heure, ainsi que ses frères et soeurs qu’elle comparait, dans le secret de son coeur, à des avortons palots ou des créatures difformes, aussi laids qu’ils se révéleraient robustes en grandissant ? 

       - C’est un petit ange, dit-elle. Je veux qu’on l’appelle Angélus. 

       Sur ce, elle fut prise de tremblements et de fortes contractions. Elle se souleva à demi et jeta un dernier regard à ce onzième enfant qui parut lui sourire. Camille, alors âgée de douze ans, recueillit les dernières paroles de sa mère qui lui demanda de s’occuper de lui, juste avant de se renverser en arrière en exhalant son dernier souffle. La jeune enfant se jura de toujours veiller sur Angélus, quoi qu’il puisse arriver. 

       Alors le petit ange se mit à pleurer. 

       Une de ses soeurs, Thérèse, l’aînée de la famille, restait les bras ballants, le battoir comme accroché au bout de la main, dégoulinant encore d’eau savonneuse. 

       « Ce sera une bouche de plus à nourrir » songea-t-elle avec amertume et soudain elle eut envie de battre cet enfant, de le battre à mort pour qu’il se taise par respect envers la mère qui gisait là, le visage d’une blancheur de craie. Heureusement c’était un garçon, mais celui-là, avec sa peau de fille, ne lui disait rien qui vaille. Au bourg, il fallait des hommes robustes, pas des donzelles. Qu’allait dire le père ? 

       Ce dernier, alerté, arrivait justement, encore sous le coup de la nouvelle. 

       - Mon Dieu qu’allons-nous devenir ? Ce n’est pas possible ! Allons à la maison. Marthe ne doit pas rester là. Et toi, Thérèse, occupe-toi du petit... 

       Mais Thérèse s’était contentée de faire signe à Camille et c’est cette dernière qui avait pris l’enfant. Elle s’était saisie du corps emmailloté avec beaucoup de précautions, le collant contre son corps prépubère où les seins commençaient à peine à pointer. 

       Alors elle avait pu constater combien il était beau. Cette sensation de grâce engloutit toute autre sensation. Elle eut une folle envie de l’avaler, d’ingérer ce petit corps rond et rose, au regard d’un bleu de ciel sans nuage. L’odeur de ce nourrisson était celle d’un bonbon au miel. A peine l’avait-elle saisi, que Camille se sentit plus tendre, plus belle aussi, comme si cet enfant effaçait son visage malgracieux et la mer houleuse de sa chair abîmée. 

       « Maman m’a demandé de m’occuper de toi. Je le ferai, mon amour et nous serons tous deux unis jusqu’à ce que la mort nous sépare », psalmodia-t-elle en trouvant immédiatement les gestes ancestraux que font toutes les mères, sous le regard ému mais circonspect du Père Grangeais qui achevait d’ondoyer le corps du frère défunt. 

       La nuit qui suivit fut des plus terribles. Des voisines étaient venues veiller la morte, et elles durent à plusieurs reprises calmer le père Galin qui menaçait d’abandonner ce fils, coupable d’avoir tué sa propre mère. « Une créature du Diable ! » ne cessait-il de crier, jetant vers le corps du bébé des regards pleins de haine. Au petit matin, rendu à la raison par le prêtre, il partit accomplir les formalités à la mairie, où il déclara l’enfant ainsi que son frère jumeau mort-né. 

       C’est ainsi que ce dernier reçut comme prénom Gabriel et que le premier fut appelé Jean. 

       Camille, elle, pour respecter les dernières volontés de sa mère, volontés qu’elle était seule à connaître, prit l’habitude, en secret, de le nommer Angélus, en souvenir de l’heure où il naquit et où, par une aberration du destin, il causa, bien malgré lui, la mort de sa génitrice. 

    ***
    (A Suivre)

    °°°
    (La langue de Molière coulait irrémédiablement
    dans le puits sans fond européen)


    LONELINESS

    Prisonniers de l’Eurobabel
    Philip Oltermann
    THE GUARDIAN 

       Si l’argent fait tourner le monde, à jongler avec les euros, Bruxelles a de quoi tourner en bourrique. Un billion anglais devient mil milhoes en portugais, soit, comme en espagnol, 1 000 millions ; mais il correspond au milijarde croate, au miljard néerlandais ou au milliard français ; lebillón espagnol, en revanche, désigne un million de millions, mais quand les Français parlent d’un “billion”, les Anglo-Saxons doivent comprendre qu’il s’agit de leur trillion. Et comme chacun le sait, la Billiarde allemande n’est autre que le “quatrillon” français. Vous suivez ?

       Dans les instances européennes, la traduction est une affaire bien compliquée et souvent coûteuse. La Commission européenne a trois “langues de travail” officielles : l’allemand, le français et l’anglais. Mais avec l’élargissement de l’Union et pas moins de 23 idiomes parlés dans les Etats-membres, le nombre de traducteurs a explosé, passant de 200 ou 300 à 2 000 ou 3 000. On estime que l’UE produit annuellement près de 1 776 000 pages de traduction – qui lui reviennent à 300 millions d’euros. Au 1er juillet prochain, quand la Croatie entrera à son tour dans l’Europe, il y aura une langue de plus à ajouter à la pile.(...)

       (...) En ces temps d’austérité (la faute à qui?), les gouvernements nationaux cherchent à tailler dans le budget de l’UE, et c’est l’une des raisons du franc succès qu’a remporté l’un des discours récents du président allemand. Le 22 février dernier, s’exprimant sur l’avenir de l’intégration européenne, Joachim Gauck proposait de faire de l’anglais la langue officielle de l’Union : “Il est vrai que les jeunes apprennent très tôt l’anglais, qui est déjà leur lingua franca [langue véhiculaire]. Je pense néanmoins que pour ce qui est de l’intégration linguistique il ne faudrait pas laisser les choses au hasard.” Voilà qui n’aurait pu ravir davantage les fédéralistes et les partisans de la rigueur budgétaire : si l’on ne parlait plus qu’anglais dans les couloirs de Bruxelles, la gestion de l’UE en deviendrait plus rationnelle et plus efficace.

       Mais est-ce vraiment réaliste ? En un certain sens, une telle option ne ferait que confirmer une tendance qui est déjà à l’œuvre. Depuis le “big bang” de l’élargissement de l’Europe aux pays de l’Est, en 2004, l’usage du français a décliné dans les conférences – et l’allemand n’est déjà plus une “langue officielle” que sur papier.

       Les documents du Parlement européen ne sont traduits que dans les langues concernées par les débats : on ne trouvera par exemple aucune retranscription en tchèque de la politique commune sur la pêche.

       Les pays du Nord et de l’Est seraient prêts à adopter l’anglais comme seule langue officielle, mais l’initiative ne manquerait pas de faire grincer des dents dans les pays du Sud. Pour certains diplomates français, l’anglais serait le cheval de Troie des Anglo-Saxons, qui leur permettrait d’introduire leurs conceptions politiques et économiques au cœur des décisions européennes. En décembre dernier, un journaliste de Libération a boycotté une conférence de presse sur la présidence de l’UE à Dublin parce qu’elle se tenait exclusivement en anglais. Si vraiment il n’y a pas assez d’argent pour embaucher des traducteurs, pestait-il sur son blog, il aurait fallu se contenter d’une conférence en gaélique.

       La solution d’une langue unique se heurterait également à des obstacles juridiques. “Il serait profondément antidémocratique d’imposer l’anglais comme langue officielle de l’Europe”, a déclaré Diego Marani, écrivain et chargé de mission à la direction générale de l’interprétation à la Commission européenne. Loin de favoriser une intégration au sein de l’Europe, cela risquerait à son sens de rendre le projet encore plus élitiste. Le coût total du travail linguistique de l’Europe revient à peu près à deux cafés annuels par citoyen de l’Union, précise-t-il : ce n’est pas cher payé pour une petite dose de démocratie. (...)

    Lire la suite sur:
    °°°
    (L'homme aux idées fumeuses en pleine action)



    ANOSOGNOSIA

    °°°
    (Ce vestiaire neutre était également zen...)



    Un vestiaire "neutre" au lycée

       Le Lycée Södra Latin de Stockholm sera le premier en Suède à offrir aux élèves un vestiaire neutre, rapporte le Dagens Nyheter. C'est l'association HBQT (homosexuels, bisexuels, queer, transgenre) de l'école qui a soulevé la question, et le conseil des élèves a voté pour. "C'est pour les élèves qui ne souhaitent s'identifier ni comme hommes, ni comme femmes", explique au quotidien Camille Trombetti, 18 ans, présidente du conseil des élèves. 

       Comme plusieurs élèves à Södra Latin ne se sentaient pas à l'aise avec l'idée de se changer dans les vestiaires des filles ou des garçons, la direction du lycée a décidé d'approuver la proposition d'aménager un troisième vestiaire, neutre celui-ci. Il sera disponible pour tout élève qui souhaite se changer seul. 

       Le vestiaire sera inauguré le 6 mai et les réactions des lycéens sont positives. "Notre lycée est connu pour être tolérant en ce qui concerne ce genre de questions", assure Camille Trombetti. (...)



    °°°
    Benoît Barvin

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (L'ENFANT QUI EST EN TOI
    NE LE FAIS PAS DORMIR)


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    LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/1)
    pcc Benoît Barvin
    et Blanche Baptiste


    ANGÉLUS 
    ou 
    LES SECRETS DE L’IMPALPABLE 


    PREMIÈRE PARTIE 

       « Est-ce pour son aspect extérieur que l’on aime quelqu’un ou est-on attiré par lui pour la générosité de son âme ? » 


       Rares sont ceux qui entendirent parler de ce personnage qui passa sa vie à courir après un rêve fou, et qui finit sa vie terrestre dans le lieu de son enfance, tantôt adulé par ses congénères qui voyaient en lui un être aux pouvoirs quasi divins, tantôt honni et détruit par eux, sans qu’on sache quelle était la part de vérité ou de jalousie qui s’attachait à ces sentiments et sans que, d’ailleurs, ceux qui le haïssaient avancent une quelconque explication rationnelle à cette étrange haine. 

       Les quelques personnes qui avaient eu commerce avec le personnage dont nous allons retracer l’histoire furent donc contraintes de mettre cette connaissance sous le boisseau, sous peine de reconnaître qu’elles avaient été induites en erreur, trahies mais aussi qu’elles étaient finalement responsables de cet aveuglement dans lequel entrait une bonne part d’orgueil, de fatuité et de blasphème... 


    CHAPITRE 1 

       Ma mémoire tactile remonte à mes tout premiers instants, et je me souviens que je me trouvais à mon aise sur ce tas de linge élimé qui avait au moins l’avantage de m’épargner, pour l’heure, le rêche des langes dont ces femmes allaient m’emmailloter, une fois accomplis les gestes d’usage auprès de l’accouchée. 

       La transition entre le liquide utérin et l’air ambiant m’avait fait l’effet d’un manège de foire qui vous précipite, à votre plus grand effroi mais aussi plus grande jubilation, d’un milieu à un autre. J’avais baigné pendant neuf mois dans une ambiance océane et ouatée dont j’avais pu sentir les contours, d’autant mieux que je partageais le site avec un congénère, ce qui multipliait les contacts, les glissements, les enchevêtrements de membres, en un ballet aquatique tiède et sécurisant. 

       Là, par contre, sur cette corbeille, l’air était vif, la gifle de la lumière vigoureuse. La réalité vous assaillait par tous les pores de la peau et ma petite cervelle avait bien du mal à sélectionner tous ces messages. Elle avait cependant eu le temps de noter les longues et étreignantes vagues utérines, puis le passage enveloppant des muqueuses vaginales, si douces que j’en jubilais encore. 

       Des mains fraîches m’avaient ensuite saisi, des mains dont la texture était bien différente des textures amniotiques que j’avais connues jusqu’à alors. C’étaient des mains rugueuses de lavandière, fripées par les séjours prolongés dans l’eau des lavoirs et durcies de cals provenant des travaux des champs. 

       Et juste avant tout cela, j’allais oublier de le mentionner, si désireux de le gommer à jamais, il y avait eu un contact piquant, râpeux, autour de mon crâne, de mes épaules, de mon corps : c’était celui de la frontière entre les deux mondes, le sexe pileux de ma mère dont je ne goûterais jamais plus rien d’autre que cet étau d’émeri. Je serais également privé à jamais de la sensation du sein maternel contre ma joue, du sein sous mes petites mains si affamées de palper de la douceur. 

    ***

       De la naissance de son dernier enfant, la mère Galin se serait souvenue toute sa vie si elle avait survécu à ses couches, tant le bébé lui parut d’une beauté inattendue et inouïe par sa délicatesse, au milieu d’une telle rudesse de vie. 

       Chez les Galin, en effet, depuis des générations, l’existence était non seulement misérable mais encore alourdie par diverses tares dont ne manquaient pas d’hériter les rejetons. Les affections dont ils souffraient touchaient essentiellement leur épiderme et parfois aussi leur ossature. 

       C’est ainsi qu’on avait vu naître dans cette famille des bossus, des pieds bots et des tordus de toutes sortes. Mais le pire ne résidait pas dans ces malformations du squelette. Le pire, c’était cette malédiction qui semblait les poursuivre depuis la fameuse épidémie de gale qui avait infesté les contrées les plus reculées, il y avait de cela plus de cinq siècles. 

       Cette épidémie leur avait d’ailleurs valu leur patronyme, chose qu’ils ignoraient, persuadés que leur nom faisait référence au fier coq gaulois, ainsi que l’avait dit le Père Grangeais à la jeune Camille Galin, qui avait eu le privilège de suivre quelques classes chez les Soeurs Bénédictines de la Charité. 

       Pour les Galin donc, il était clair et incontestable que leur apparence n’avait rien à voir avec une quelconque tare héréditaire, rien à voir avec une prédisposition congénitale à contracter tel ou tel microbe, parasite ou champignon. Elle était pour eux la conséquence d’une dure vie de labeurs, exposée aux intempéries les plus variées : sécheresse estivale, vents glacés, neige mordante, humidité des mortes saisons et vapeurs corrosives de la manufacture de textiles où travaillait presque toute la famille. 

       C’était en somme le lot de tous les habitants du bourg que d’être ainsi soumis à la morsure cisaillante de l’eau gelée, aux gifles cinglantes des giboulées ou à la cuisson anesthésiante du soleil. 

       Les Galin étaient simplement un peu plus marqués que les autres par le sceau des saisons et venaient au monde déjà abîmés, mâchés par on ne sait quel coup du sort, car au fléau qu’avait connu leurs ancêtres était venue s’ajouter une ribambelle de nouvelles épidémies et d’affections de peau toutes plus horribles les unes que les autres, comme le pityriasis, le lupus, la pellagre, l’érysipèle, la teigne, la plupart du temps fort contagieuses. 

       Là encore, pouvaient-ils se dire, qui alentour aurait pu se vanter de n’avoir pas sur le corps, le visage ou les mains, soit la cicatrice laissée par un anthrax, soit la peau grêlée par des restes de varicelle ou de variole très fréquentes à l’époque? 

       Leur apparence ne choquait donc pas grand monde car ils vivaient au milieu de physiques âpres, rugueux qui, au fil des ans, n’échappaient pas à la dégénérescence en raison d’une consanguinité de mauvais aloi. La famille Galin avait l’avantage d’être préparée à cette décrépitude contre laquelle les gens de leur condition ne pouvaient pas de toute façon se prémunir. Ainsi chacun d’entre eux parvenait à se consoler de cette infortune, puisqu’en fin de compte c’était le lot de tous. 

       Cela gênait cependant les filles qui avaient bien du mal à trouver à se marier, mais qui finissaient tout de même par rencontrer, lors des foires aux bestiaux ou des fêtes votives, plus laid et plus repoussant qu’elles. 

       Mis à part ces eczémas, ces impétigos et autres papules, elles avaient un visage régulier, un corps bien fait et ne souffraient pas comme les garçons de la famille de difformités osseuses. 

       Ainsi l’époux qui avait, en raison de son travail, lui aussi les mains calleuses, ne sentait-il pas, en touchant de ses doigts anesthésiés par les cals et par l’épaisseur de la couche cornée, les chairs granuleuses de sa compagne. 

       Il en allait de même pour les corps burinés par les éléments, de sorte que les attouchements, les caresses, les lentes et sensuelles approches n’avaient pas lieu d’être, et l’on allait droit au but, sûrs de trouver là des parties tendres, si tant est que celles-ci aient été épargnées par les chancres et les bubons. 

       De cela, évidemment, les habitants du bourg ne parlaient pas car les choses sexuelles étaient toujours tues, enfouies sous des tombereaux de secrets dus à une rigueur toute puritaine, les grandes guerres religieuses étant encore dans toutes les mémoires... Le seul à connaître leur véritable infortune était le médecin et encore lui cachait-on bien des choses car ces bougres ne se laissaient pas ausculter comme il l’aurait fallu. Et les Galin plus que tout autre.

    (A Suivre)

    %%%


    (Cette image de propagande assurant 
    que le travail dans les mines d'or
    était un vrai paradis ne convainquit personne)


    Des enfants travaillent encore 
    dans les mines d’or
    Mali 

       (...) L’organisation Human Rights Watch a publié un rapport très complet sur le sujet en décembre 2011 en réclamant des actions concrètes. Mais les autorités maliennes ont attaqué cette enquête à une conférence de presse en avril 2013, et ont rejeté les preuves, pourtant accablantes, rendant compte que des enfants travaillaient dans les mines du pays.

       « Le gouvernement du Mali devrait immédiatement prendre des mesures de lutte contre le travail des enfants dans les mines d’or, au lieu de nier son existence. Les déclarations du gouvernement font douter de sa volonté de faire cesser le travail des enfants », affirme Babatunde Olugboji, vice-directeur de programmes à Human Rights Watch. Il continue : « Les autorités du Mali devraient clairement exprimer leur engagement à aider les enfants à abandonner le travail de mineur et à avoir une éducation à la place. »

       Human Rights Watch a mené une recherche sur le terrain dans des mines d’or artisanales à Kéniéba et Kolondiéba en 2011, et a interviewé plus de 150 personnes pour son rapport. Des enfants entre 6 et 17 ans ont expliqué comment ils creusaient des puits, comment ils travaillaient sous terre dans des mines instables, comment ils portaient et écrasaient des minerais lourds, et comment ils utilisaient du mercure pour extraire l’or. C’est un travail dangereux qui est interdit selon la loi internationale et malienne.(...)

       (...) Pourtant lors d’une conférence de presse donnée le 10 avril, les cadres des ministères des mines, de l’intérieur, et de la justice ont exprimé leurs doutes quant à la réalité de cette situation. Le Colonel Allaye Diakité a aussi questionné la méthodologie de Human Rights Watch, émettant certains doutes quant à la source des photos de l’ONG qui montre ces enfants au travail. HRW se défend en affirmant qu’elle a utilisé ses propres photos, ainsi que d’autres provenant de photographes indépendants et qui appuient leur rapport. A noter que la National Broadcasting Corporation (NBC), une chaine de télévision américaine, a récemment montré des images illustrant le même fait de société dans un reportage à la tonalité accablante. Le gouvernement malien avait dans le passé reconnu l’existence de ces pratiques problématiques et avait conçu un plan pour lutter contre cette pratique. (...)


    %%%

    "Mais comment se fait-ce?
    - La Main de Dieu est très pénétrable...
    - Attention au blasphème!
    - P... Si on peut plus rigoler 
    sur la Religion, maintenant..."



    ILLUSTRATION BYHARRY ZELINSKIFOR THE SERIAL TOO MANY GHOSTS. 
    WRITTEN BY PAUL GALLICO. FROM JOHN BULL MAGAZINE, 
    WEEK ENDING 30TH JANUARY, 1960.

    %%%

    (Cette batterie solaire servait à...

    Heu... Servait à quoi, déjà?)


    La plus grande batterie au monde 
    de stockage des ENR en préparation
    Japon 

       (...) Depuis Fukushima, le Japon cherche sans relâche à réduire sa dépendance à l’énergie nucléaire. La bonne nouvelle, c’est que ce pays conduit cette démarche tout en refusant le retour aux énergies fossiles les plus polluantes. Le développement des ENR est donc la conséquence de cette politique avisée.

       Dernière initiative en date, la construction d’une immense centrale de batteries à Hokkaido. Avec 60 000 kW.h de capacité de stockage, cet ouvrage gigantesque qui devrait être mis en service à la fin de l’année prochaine, aura la tâche de réguler la distribution d’ENR. Hokkaido, la plus septentrionale des provinces japonaises, connaît un boom dans le solaire et l’éolien depuis l’introduction en juillet 2012 d’un tarif préférentiel garanti pour l’électricité générée de manière responsable. La batterie permettra de stabiliser la fourniture électrique affectée par les conditions climatiques variables.

       La démarche japonaise de développement des ENR s’accélère sur tous les plans. Chaque semaine apporte sont lot d’annonces. Reprise de l’investissement dans le géothermique, lois sur les tarifs préférentiels garantis, nouvelles technologies pour la régulation de la distribution d’électricité ‘propre’ : les bonnes nouvelles se succèdent et redonnent espoir aux défenseurs de l’environnement. (et la France?) (...)


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    Benoît Barvin

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (POUR DEVENIR LE SAGE,

    SOIS D'ABORD TOI-MÊME)


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    COURTS RÉCITS AU LONG COURS (88/8)
    pcc Benoît Barvin

       Tom Drake, agent du FBI, enquête, dans les années 30, sur l'explosion criminelle qui a détruit le "Blue Circle", une boîte de nuit où les seuls victimes sont les danseuses elles-mêmes. Parmi elles une certaine Doris, avec laquelle sortait son collègue, Peter Duncan. Doris... qui n'était autre que sa demi-soeur. Lorsque les deux tourtereaux l'ont su, l'une s'est suicidée, l'autre a tenté d'étouffer le scandale en donnant de l'argent à un mystérieux corbeau... Mais, d'après Eliot Ness, patron de Drake, les choses sont plus complexes...



       L’homme nous avait reçus en affichant une certaine surprise. Comme Ness et moi, il vivait seul. Mais là s’arrêtait la ressemblance. Car il résidait dans un ancien hôtel particulier et c’est un majordome à l’ancienne qui nous avait ouvert. 

       - Vous prendrez bien un verre ? proposa le procureur Davidson en nous priant de nous asseoir. 

       Nous acceptâmes. J’étais nerveux. Je sentais que les choses, là aussi, allaient se précipiter et je tâtai, discrètement, la bosse que faisait mon arme, dans son holster. 

       - Que me vaut le plaisir de votre visite ? s’enquit le procureur. 

       Il arborait un costume trois-pièces, comme s’il s’apprêtait à présider une quelconque réunion électorale. 

       - Je venais vous parler de la mort de mon agent, Peter Duncan. 

       - Triste histoire, fit Davidson en examinant le contenu de son verre comme s’il le voyait pour la première fois. Un rien sordide… Même si ce n’est pas la faute de votre agent, cette relation contre nature, tout de même… 

       Je percevais une indubitable ironie dans ces propos. Je ne connaissais le procureur que par ouï-dire. Ses décisions étaient toujours sévères et l’on disait qu’il n’attendait qu’un faux pas de Capone pour, enfin, couper définitivement la tête de l’hydre mafieuse. A part ça, il n’attirait guère la sympathie en raison de jugements à l’emporte-pièce venus d’une rigueur morale qui le faisait surnommer « le père la pudeur ». Une animosité sous-jacente régnait dans la pièce. Indubitablement, le procureur et le patron ne s’aimaient pas. 

       - Cette relation… contre-nature, comme vous dites Monsieur le procureur, Duncan et Doris n’en auraient jamais eu connaissance, si quelqu’un ne leur avait pas envoyé une lettre anonyme qui vendait le morceau. 

       Davidson haussa les sourcils et posa précautionneusement son verre sur la petite table en verre autour de laquelle nous nous trouvions. 

       - Tiens, donc ! Première nouvelle. 

       - Tom Drake, ici présent, a suivi Duncan qui se rendait à un rendez-vous avec son informateur. Ou plutôt, avec son maître-chanteur… Puisque Tom a constaté que son malheureux collègue trimbalait avec lui une valise pleine de beaux billets. Certainement pour acheter le silence de l’individu. 

       Le procureur sursauta à peine mais le sourire qui lui servait de passeport se figea. Il ne regarda pourtant pas dans ma direction en demandant. 

       - Des billets ? Tiens donc ? Et où les avait-il pris ? Car je suppose que ce n’est pas avec sa maigre solde que votre agent a pu faire taire… l’autre homme. 

       - C’est tout à fait exact, approuva Ness. 

       Il se pencha en avant et fixa son interlocuteur droit dans les yeux. Quand il faisait ça, il était difficile de résister à son regard hypnotique. Cependant Davidson ne se démonta pas. Seul un tic nerveux fit tressaillir sa pommette droite. 

       - L’argent a été prélevé dans le coffre-fort du « Blue Circle », susurra Ness Une belle somme provenant à la fois des recettes « normales » et d’autres, un peu moins avouables. 

       - Issues du trafic avec la Mafia, c’est ça ? 

       - Exactement Monsieur le procureur, approuva le patron. Car le «Blue Circle», comme beaucoup d’autres boîtes, trempe dans différents trafics. Pour cet établissement, il s’agit de traite des blanches. On fait transiter des filles par la piste de danse avant de les envoyer un peu partout dans les grandes villes du pays. Des filles qui n’ont généralement aucun parent… 

       Le procureur reprit son verre et se leva. Il fit quelques pas dans la pièce, suivi par notre double regard. Près de la grande fenêtre aux lourds rideaux donnant sur le parc, il s’arrêta et, sans se retourner, demanda. 

       - Et vous avez une idée de l’identité du maître-chanteur ? 

       - Plus qu’une idée, Monsieur le Procureur. Tom a distingué les traits de l’homme alors qu’il s’emparait de la valise tendue par Duncan. Il vous a reconnu… 

       Davidson et moi nous sursautâmes en même temps. Le procureur pivota et foudroya Ness du regard. 

       - Pardon ? Ai-je bien entendu ? 

       - Je dis que vous êtes le mystérieux corbeau qui a poussé la pauvre Doris au suicide et qui est responsable de la mort de mon agent. C’est vous qui lui avez écrit, exigeant qu’il s’empare de l’argent que contenait le coffre-fort du « Blue Circle ». Autrement vous le dénonceriez... Duncan n’a pas poussé la réflexion très loin. Sur les suppliques de sa demi-sœur, il a fait ce que vous demandiez. C’est lorsqu’il a eu connaissance de l’attentat qui a fait un si beau carnage qu’il a pris peur. Il savait à présent que sa vie, mais surtout celle de Doris, était en jeu. Bien qu’ayant accepté de vous rencontrer, il a laissé derrière lui une confession que j’ai reçue au courrier, ce matin. Il y explique tous les tenants et les aboutissants de l’affaire. Ses aveux, joints à un calepin trouvé chez lui, écrit de la main de sa demi-sœur, sont largement suffisants pour vous impliquer, Monsieur le Procureur. 

       L’homme réagit dans la seconde qui suivit. Il fit un geste rapide en direction de sa poche intérieure. De concert je sortis mon arme et, sans viser, tirai deux fois dans sa direction. L’homme s’effondra aussitôt, telle une poupée de chiffons. Ness se précipita, fouilla dans le costume du procureur, en sortit une arme qu’il plaça dans la main droite de Davidson. 

       - Pourquoi faites-vous ça, patron ? demandai-je en m’approchant, encore éberlué par la soudaineté des évènements. 

       Je ne réalisai pas vraiment ce qui s’était passé. Puis, en regardant les yeux aussi fixes que des billes du procureur, je compris qu’il avait cessé de vivre. 

       - Je fais ça pour appuyer la thèse selon laquelle vous avez tiré en légitime défense. 

       Je m’accroupis près du mort. Ness l’observait, le visage impassible. 

       - Je n’ai jamais vu le visage du maître-chanteur, vous le savez, n’est-ce pas ? glissai-je, alors qu’on entendait des bruits de pas précipités dans l’escalier. Certainement ceux du majordome. 

       - Je ne l’ignore pas. Mais il fallait forcer un peu le trait pour obtenir une réaction... satisfaisante. 

       Eliot Ness leva son visage. Ses yeux brillaient d’une lueur féroce. Quand il me parla, sa voix était froide et déterminée. Elle me fit froid dans le dos. C’est à cet instant que je réalisai combien les années à venir allaient être plombées. 

       - Je fais mon boulot le mieux possible, Tom. Face à des salauds de cette espèce, tous les coups sont permis. Ce type-là, sous couvert de lutter contre le crime, a soudain perdu les pédales. Il a utilisé une histoire somme toute banale pour son profit personnel. Tout cela me débecte. Maintenant, le procureur Davidson ne polluera plus la société. 

       Je ruminai quelques instants sur ce qui venait d’être dit, pas certain d’approuver le fond de la pensée de Ness. 

       - Ce n’est quand même pas lui qui a fomenté cet attentat contre le « Blue Circle » ? 

       - Bien sûr que non. Ce sont des gens à Capone qui, se rendant compte que le coffre-fort avait été pillé, se sont affolés. On le sait par Dogson, le patron de la boîte, qui a fini par manger le morceau. En l’absence de leur chef, lui et quelques complices ont échafaudé un plan catastrophique… et stupide. En fait, leur bombe ne devait détruire le bâtiment qu’une fois tout le personnel parti se coucher… C’est un travail d’amateur. De peigne-cul ! 

       Ness n’ajouta plus rien ce jour-là. Il avait bien trop à faire avec le commissaire divisionnaire, la presse et le Ministère de la justice. Il m’envoya me reposer, ce que je fis avec empressement. La manière dont les choses s’étaient déroulées me dépassait. « La fin justifie les moyens », dit le dicton populaire. Un dicton que Ness semblait avoir fait sien. Il m’avait manipulé lors de cette confrontation. Je lui en voulais confusément. « C’était pour la bonne cause », m’expliquerait-il plus tard, sans pour autant me convaincre. 

       Lors de mon retour chez moi, dans un froid polaire, je me dis que cette première enquête m’avait révélé bien des choses sur la nature humaine. 

       La plus évidente étant qu’on ne fait jamais d’omelette sans casser des œufs. La seconde, c’est que j’étais embringué, bien malgré moi, dans un sac de nœuds peu ragoûtant. La seule chose à faire, c’était d’oublier cette histoire. Ou bien de tenter de le faire. Pas sûr que j’y arrive un jour… 

       Au lieu d’aller me pieuter, j’entrai dans le premier troquet ouvert et, malgré l’interdiction, je commandai un verre de schnaps. On me le servit sans difficulté. 

       Ce fut le premier d’une longue série, ce matin-là, alors qu’une neige sale et collante noyait peu à peu la ville…



    FIN<o:p></o:p>


    Pour ceux qui voudraient connaître d'autres aventures, en BD, cette fois, de Tom Drake (3 parues), vous pouvez vous adresser à la boutique stores.befr.ebay.be › Boutiques eBay › BEDEFONCE.

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    "Tu crois qu'on va plaire?
    - Moi, oui. Toi, c'est moins sûr..."


    Sid Kaplan, a master black-and-white printer and photographer

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    (Avant de faire exploser ses poupées,
    Astrid les photographiait soigneusement)


    Dorothy prepares to squeeze a bulb shutter while photographing her dolly


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    (Air chanté:

    - Aaahhhh... As-tu vuuuu mon beau chapeauauauauau?
    - Tu eeeeeeessss Ridicuuuule, tu saiiiiiissss...")


    Sid Kaplan, a master black-and-white printer and photographer

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    (Le tueur de chapeaux exposant sa macabre collection)


    Hat weaver in Tunis, 1920s
    Lehnert & Landrock

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    Jacques Damboise

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (SAVOIR QU'ON SAIT EST BIEN,
    MAIS SAVOIR QUOI EST MIEUX)

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    COURTS RÉCITS AU LONG COURS (88/7)
    pcc Benoît Barvin

       Tom Drake, qui enquête sur une tuerie de danseuses au "Blue Circle", soupçonne son collègue, Peter Duncan, d'être dans le coup. Il le suit lors d'une mystérieuse expédition nocturne mais ne peut empêcher son meurtre. Va-t-il enfin comprendre les agissements de son collègue du FBI?



       Peter Duncan fut enterré deux jours plus tard, alors qu’une mini tempête de neige s’abattait sur Chicago. A part Ness, le divisionnaire, le procureur, moi et deux autres collègues, personne ne s’était déplacé. La cérémonie fut de courte durée, bien qu’au moment où nous le mîmes en terre, comme par miracle, la tourmente cessa un moment. 

       Ness eut le temps de faire un bref discours avant qu’une nouvelle bourrasque d’énormes flocons ne vienne nous cingler le visage. Nous nous précipitâmes vers nos voitures respectives, îlots perdus au-milieu des bourrasques. Au début de la cérémonie, Ness m’avait dit de le suivre, ce que je fis, tant bien que mal. Nous nous retrouvâmes, une demi-heure plus tard. Pour nous réchauffer, il me tendit un verre, je bus longuement en songeant à Duncan et à son secret. 

       - Cette affaire est sordide, Tom, je vous l’avais dit. Toutefois nous aurions pu la résoudre en prenant un peu de temps, mais Duncan a préféré nous devancer. Vous saviez, vous, que votre collègue avait une sœur ? 

       - Première nouvelle… Elle n’était pas là au cimetière. A-t-elle été prévenue au moins ? 

       La bouche du patron se tordit bizarrement. Il s’octroya une cigarette avant de répondre. 

       - Elle n’est hélas plus de ce monde… 

       Peut-être fût-ce la manière dont Ness me répondit, mais cela résonna en moi comme un coup de gong. 

       - Vous… Vous ne voulez pas dire que… ? 

       - Que quoi, Drake ? 

       - Que la sœur de Duncan était… 

       - Etait ? 

       Je finis mon verre et lançai, le souffle court. 

       - Sa sœur était Doris, n’est-ce pas ? 

       - Effectivement. 

       - Alors je comprends tout. Duncan a cherché à la protéger… Il devait savoir que quelqu’un en avait après elle, ainsi que les autres girls. C’est la raison pour laquelle il est allé voir ce type… celui qui nous a échappé. 

       Je pensais tout haut. Cette habitude de célibataire m’était venue depuis que je travaillais avec Ness. Et cette pensée me faisait entrevoir, enfin, une lueur dans ce brouillard. Mais le patron mit un terme à mon délire. 

       - Vous n’y êtes pas, Tom. Doris était en fait la demi-sœur de Duncan. Manque de chance, celui-ci n’était pas au courant. Il est tombé amoureux d’elle et, au final, les choses se sont déroulées comme d’habitude entre un homme et une femme ! Jusqu’à ce qu’une bonne âme leur apprenne leur lien de famille. Avec les conséquences tragiques que vous connaissez. Incapable de surmonter cette idée, la fille s’est tirée une balle dans la tête. Duncan, plus pragmatique, a tenté de faire taire le maître chanteur, en lui remettant de l’argent… Mais vous êtes intervenu et les choses ont mal tourné. 

       Je regimbai, ne voulant pas endosser le rôle du type qui porte la poisse. 

       - Bon, patron, si je suis OK pour cette histoire de… heu, d’inceste, je ne vois pas ce que vient faire le massacre des autres filles. Quel est le lien entre Duncan, Doris et les danseuses du « Blue Circle » ? 

       Ness ouvrit le tiroir de son bureau, en sortit un calepin de cuir noir et le brandit. 

       - Tout est inscrit là, Tom. Tout. C’est le calepin de Doris. Nos hommes l’ont trouvé, dissimulé sous une latte du parquet de l’appartement de Duncan. 

       - Et que dit ce bloc-notes ? 

       Le patron glissa le carnet dans la poche intérieure de son costume et, se levant, il alla chercher son pardessus accroché à la patère en me disant. 

       - Il dit que vous allez m’accompagner chez quelqu’un de notre connaissance. Vous allez me servir de garde du corps. Si les choses tournent mal, n’hésitez pas à tirer. D’accord ? 

       Je hochai la tête, le cœur battant et les mains moites.

    (A Suivre)

    +++

    (Mode progressiste provenant de pays aux idées démocratiques)


    Le hijab, les " frères musulmans" militent pour. 

    Le chador, il est indiqué qu 'il n' est pas obligatoire dans les pays islamiques. 

    Le niqab, utilisation répandue par l' influence du wahhabisme. 

    La burka, imposée par les talibans.


    +++
    Le Qatar, champion du mensonge 
    et de la dissimulation
    Majed Nehmé

       (...) Sans sponsors et en toute indépendance, à contre-courant des livres de commande publiés récemment en France sur le Qatar, Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget* ont enquêté sur ce minuscule État tribal, obscurantiste et richissime qui, à coup de millions de dollars et de fausses promesses de démocratie, veut jouer dans la cour des grands en imposant partout dans le monde sa lecture intégriste du Coran. Un travail rigoureux et passionnant sur cette dictature molle, dont nous parle Jacques-Marie Bourget. (...)

       (...) / Qu’est-ce qui vous a amenés à consacrer un livre au Qatar ?

       - Le hasard puis la nécessité. J’ai plusieurs fois visité ce pays et en suis revenu frappé par la vacuité qui se dégage à Doha. L’on y a l’impression de séjourner dans un pays virtuel, une sorte de console vidéo planétaire. Il devenait intéressant de comprendre comment un État aussi minuscule et artificiel pouvait prendre, grâce aux dollars et à la religion, une telle place dans l’histoire que nous vivons. D’autre part, à l’autre bout de la chaîne, l’enquête dans les banlieues françaises faite par mon coauteur Nicolas Beau nous a immédiatement convaincus qu’il y avait une stratégie de la part du Qatar enfin de maîtriser l’islam aussi bien en France que dans tout le Moyen-Orient et en Afrique. D’imposer sa lecture du Coran qui est le wahhabisme, donc d’essence salafiste, une interprétation intégriste des écrits du Prophète. 

       Cette sous-traitance de l’enseignement religieux des musulmans de France à des imams adoubés par le Qatar nous a semblé incompatible avec l’idée et les principes de la République. Imaginez que le Vatican, devenant soudain producteur de gaz, profite de ses milliards pour figer le monde catholique dans les idées intégristes de Monseigneur Lefebvre, celles des groupuscules intégristes qui manifestent violemment en France contre le « mariage pour tous ». Notre société deviendrait invivable, l’obscurantisme et l’intégrisme sont les meilleurs ennemis de la liberté.

       Sur ce petit pays, nous sommes d’abord partis pour publier un dossier dans un magazine. Mais nous avons vite changé de format pour passer à celui du livre. Le paradoxe du Qatar, qui prêche la démocratie sans en appliquer une seule once pour son propre compte, nous a crevé les yeux. Notre livre sera certainement qualifié de pamphlet animé par la mauvaise foi, de Qatar bashing… C’est faux. Dans cette entreprise nous n’avons, nous, ni commande, ni amis ou sponsors à satisfaire. Pour mener à bien ce travail, il suffisait de savoir lire et observer. Pour voir le Qatar tel qu’il est : un micro-empire tenu par un potentat, une dictature avec le sourire aux lèvres.

       / Depuis quelques années, ce petit émirat gazier et pétrolier insignifiant géopolitiquement est devenu, du moins médiatiquement, un acteur politique voulant jouer dans la cour des grands et influer sur le cours de l’Histoire dans le monde musulman. Est-ce la folie des grandeurs ? Où le Qatar sert-il un projet qui le dépasse ?

       - Il existe une folie des grandeurs. Elle est encouragée par des conseillers et flagorneurs qui ont réussi à convaincre l’émir qu’il est à la fois un tsar et un commandeur des croyants. Mais c’est marginal. L’autre vérité est qu’il faut, par peur de son puissant voisin et ennemi saoudien, que la grenouille se gonfle. Faute d’occuper des centaines de milliers de kilomètres carrés dans le Golfe, le Qatar occupe ailleurs une surface politico-médiatique, un empire en papier. Doha estime que cette expansion est un moyen de protection et de survie.

        Enfin il y a la religion. Un profond rêve messianique pousse Doha vers la conquête des âmes et des territoires. Ici, on peut reprendre la comparaison avec le minuscule Vatican, celui du xixe siècle qui envoyait ses missionnaires sur tous les continents. L’émir est convaincu qu’il peut nourrir et faire fructifier une renaissance de la oumma, la communauté des croyants. Cette stratégie a son revers, celui d’un possible crash, l’ambition emportant les rêves du Qatar bien trop loin de la réalité. N’oublions pas aussi que Doha occupe une place vide, celle libérée un temps par l’Arabie Saoudite impliquée dans les attentats du 11-Septembre et contrainte de se faire plus discrète en matière de djihad et de wahhabisme. Le scandaleux passe-droit dont a bénéficié le Qatar pour adhérer à la Francophonie participe à cet objectif de «wahhabisation» : en Afrique, sponsoriser les institutions qui enseignent la langue française permet de les transformer en écoles islamiques, Voltaire et Hugo étant remplacés par le Coran.

       / Cette mégalomanie peut-elle se retourner contre l’émir actuel ? Surtout si l’on regarde la brève histoire de cet émirat, créé en 1970 par les Britanniques, rythmée par des coups d’État et des révolutions de palais.

       - La mégalomanie et l’ambition de l’émir Al-Thani sont, c’est vrai, discrètement critiquées par de « vieux amis » du Qatar. Certains, avançant que le souverain est un roi malade, poussent la montée vers le trône de son fils désigné comme héritier, le prince Tamim. Une fois au pouvoir, le nouveau maître réduirait la voilure, notamment dans le soutien accordé par Doha aux djihadistes, comme c’est le cas en Libye, au Mali et en Syrie. Cette option est même bien vue par des diplomates américains inquiets de cette nouvelle radicalité islamiste dans le monde. Alors, faut-il le rappeler, le Qatar est d’abord un instrument de la politique de Washington avec lequel il est lié par un pacte d’acier.

       Cela dit, promouvoir Tamim n’est pas simple puisque l’émir, qui a débarqué son propre père par un coup d’État en 1995, n’a pas annoncé sa retraite. Par ailleurs le premier ministre Jassim, cousin de l’émir, le tout-puissant et richissime « HBJ », n’a pas l’intention de laisser un pouce de son pouvoir. Mieux : en cas de nécessité, les États-Unis sont prêts à sacrifier et l’émir et son fils pour mettre en place un « HBJ » dévoué corps et âme à Washington et à Israël. En dépit de l’opulence affichée, l’émirat n’est pas si stable qu’il y paraît. Sur le plan économique, le Qatar est endetté à des taux « européens » et l’exploitation de gaz de schiste est en rude concurrence, à commencer aux États-Unis.

       / La présence de la plus grande base américaine en dehors des États-Unis sur le sol qatari peut-elle être considérée comme un contrat d’assurance pour la survie du régime ou au contraire comme une épée de Damoclès fatale à plus ou moins brève échéance ?

       - La présence de l’immense base Al-Udaï est, dans l’immédiat, une assurance vie pour Doha. L’Amérique a ici un lieu idéal pour surveiller, protéger ou attaquer à son gré dans la région. Protéger l’Arabie Saoudite et Israël, attaquer l’Iran. La Mecque a connu ses révoltes, la dernière réprimée par le capitaine Barril et la logistique française. Mais Doha pourrait connaître à son tour une révolte conduite par des fous d’Allah mécontents de la présence du « grand Satan » en terre wahhabite.

       / Ce régime, moderne d’apparence, est en réalité fondamentalement tribal et obscurantiste. Pourquoi si peu d’informations sur sa vraie nature ?

       Au risque de radoter, il faut que le public sache enfin que le Qatar est le champion du monde du double standard : celui du mensonge et de la dissimulation comme philosophie politique. Par exemple, des avions partent de Doha pour bombarder les taliban en Afghanistan alors que ces mêmes guerriers religieux ont un bureau de coordination installé à Doha, à quelques kilomètres de la base d’où décollent les chasseurs partis pour les tuer. Il en va ainsi dans tous les domaines, et c’est le cas de la politique intérieure de ce petit pays.

       Regardons ce qui se passe dans ce coin de désert. Les libertés y sont absentes, on y pratique les châtiments corporels, la lettre de cachet, c’est-à-dire l’incarcération sans motif, est une pratique courante. Le vote n’existe que pour nommer une partie des conseillers municipaux, à ceci près que les associations et partis politiques sont interdits, tout comme la presse indépendante… Une Constitution qui a été élaborée par l’émir et son clan n’est même pas appliquée dans tous ses articles. 

       Le million et demi de travailleurs étrangers engagés au Qatar s’échinent sous le régime de ce que des associations des droits de l’homme qualifient « d’esclavage ». Ces malheureux, privés de leurs passeports et payés une misère, survivent dans les camps détestables sans avoir le droit de quitter le pays. Nombre d’entre eux, accrochés au béton des tours qu’ils construisent, meurent d’accidents cardiaques ou de chutes (plusieurs centaines de victimes par an).

       La « justice », à Doha, est directement rendue au palais de l’émir, par l’intermédiaire de juges qui le plus souvent sont des magistrats mercenaires venus du Soudan. Ce sont eux qui ont condamné le poète Al-Ajami à la prison à perpétuité parce qu’il a publié sur Internet une plaisanterie sur Al-Thani ! Observons une indignation à deux vitesses : parce que cet homme de plume n’est pas Soljenitsyne, personne n’a songé à défiler dans Paris pour défendre ce martyr de la liberté. Une anecdote : cette année, parce que son enseignement n’était pas «islamique», un lycée français de Doha a tout simplement été retiré de la liste des institutions gérées par Paris. (...)

    Suite à lire sur:

    Le Vilain Petit Qatar – Cet ami qui nous veut du mal, Jacques-Marie Bourget et Nicolas Beau, Éd. Fayard, 300 p., 19 euros
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    "L'Europe qui rame... Nous, on ne connaît que ça"


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    "Che de regrette, du zais...
    - Moi non plus.
    Mais, dis, tu viendras quand même
    à mes conférences, hein? J'te fais un prix!"


    Où est passé le rêve européen ?
    Ivan Krastev

       (...) L’Union européenne (UE) n’est plus, du moins telle que nous la connaissions. Et la question n’est pas de savoir ce que deviendra la nouvelle union, mais pourquoi cette Europe qui nous a tant fait rêver n’existe plus.

       La réponse est simple : aujourd’hui, tous les piliers qui ont servi à bâtir et à justifier l’existence de l’Union européenne se sont effondrés.(...)

       (...) Premièrement, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale. Il y a un an ont été rendues publiques les conclusions d’une enquête effectuée auprès des 14-16 ans dans les lycées allemands. Un tiers de ces jeunes ne savait pas qui était Hitler et 40 % d’entre eux étaient persuadés que les droits de l’homme étaient respectés de la même façon sous tous les gouvernements allemands depuis 1933. Cela ne veut absolument pas dire qu’il existe une nostalgie pour le fascisme en Allemagne. Non, cela veut tout simplement dire que nous sommes face à une génération qui n’a rien à fiche de cette Histoire. C’est une illusion de continuer à penser aujourd’hui que la légitimité de l’UE prend ses racines dans la guerre.

       Le deuxième élément qui a permis l’avènement géopolitique de l’Union est la guerre froide. Mais elle non plus n’existe plus. Aujourd’hui, l’UE n’a pas – et ne peut pas avoir – un ennemi tel que l’URSS après 1949 qui aurait pu justifier son existence. Bref, l’évocation de la guerre froide ne peut en aucun cas aider à résoudre les problèmes de légitimité de l’UE.

       Le troisième pilier est la prospérité. L’UE reste un espace riche, très riche – même si cela ne vaut pas pour des pays comme la Bulgarie. En revanche, 60 % des Européens pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux. De ce point de vue, le problème n’est pas comment on vit aujourd’hui, mais quelle vie on aura dans le futur. Donc la perspective positive, la foi dans un avenir meilleur, puissante source de légitimité, a également disparu.(...)

       (...) Une autre source de légitimité était la convergence – ce processus qui fait que les pays pauvres qui adhèrent à l’UE ont la certitude qu’ils rejoindront progressivement le club des riches. Cela était encore fondé il y a quelques années, mais, aujourd’hui, si les prévisions économiques pour les dix prochaines années se confirment, un pays comme la Grèce en comparaison de l’Allemagne sera toujours aussi pauvre que le jour de son adhésion à l’Union. (...)

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    Benoît Barvin

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (LE CHAT A UN POIL SOYEUX

    ET DES GRIFFES REDOUTABLES)

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    COURTS RÉCITS AU LONG COURS (88/6)
    pcc Benoît Barvin

       Tom Drake se perd en conjectures concernant la mort des girls du "Blue Circle". D'autant qu'aucun de ces décès ne semble dû à la Mafia.  Comme il s'agit de sa première enquête,  et que son collègue Duncan est mouillé dans l'affaire jusqu'au cou, l'agent spécial du FBI veut aller jusqu'au bout...

    G-MenDetective1945-Fall


       Fouiller dans les papiers des victimes m’avait pris du temps. J’allai casser la croûte dans un troquet, passai chez moi pour me changer avant de retourner à l’appartement de Duncan. Il était environ dix-huit heures. 

       Comme je me garais en face de l’immeuble, je vis mon collègue qui sortait, une valise à la main. Il s’engouffra dans une Ford qui avait connu des jours meilleurs. Il démarra sur les chapeaux de roues, juste devant un taxi – une admirable Auburn convertible Sedan - qui dut freiner à mort pour ne pas lui rentrer dedans. Sans réfléchir, je démarrai et me mis à suivre Duncan. Sa précipitation s’apparentait beaucoup à une fuite. Mais quelles en étaient les raisons ? Je n’eus pas le loisir d’y réfléchir, mon esprit tout entier concentré sur la filature. 

       Une semaine plus tôt, Ness – toujours lui – m’avait appris les différentes techniques à mettre en œuvre quand on joue les suiveurs. Je les appliquai toutes, m’efforçant de dissimuler ma Ford, heureusement pas trop reconnaissable, derrière d’autres véhicules. Le temps sur Chicago était exécrable, je m’en rendais compte maintenant. Le ciel était couleur de cendre, signe qu’il n’allait pas tarder à neiger. Le froid était de plus en plus vif. Pourtant, tendu, les muscles noués, arc-bouté sur le volant, je suais à grosses gouttes, anxieux à l’idée de perdre Duncan qui, à présent, sortait de la ville. 

       Nous roulâmes ainsi une bonne heure. Chicago avait disparu. Les faubourgs n’étaient plus qu’un lointain souvenir. Les lourds nuages de neige s’appesantissaient au-dessus de nous, bouchant l’horizon, transformant la campagne alentour en un amalgame d’ombres menaçantes. Contraint, pour ne pas me dévoiler, de rouler tous feux éteints, je n’en menais pas large. Devant moi, la Ford de Duncan s’évanouit soudain et, durant quelques secondes, je crus l’avoir définitivement perdu. De rage, je crachai un chapelet d’injures. 

       Je repérai cependant le chemin de terre que mon collègue avait certainement emprunté et m’y engageai à mon tour. Trois cent mètres plus loin je stoppai brusquement, reconnaissant devant moi la silhouette de son véhicule. Je sortis et, l’arme au poing, courbé en deux, je franchis les quelques mètres qui me séparaient de la voiture que je suivais. 

       Duncan n’y était pas. Je fronçai les yeux afin d’acclimater mon regard à la vague lumière qui baignait le paysage. Je me trouvais dans une campagne désolée. A côté de moi, quelques bosquets. Devant, une étendue plane. Une silhouette se détacha alors sur fond de ciel fuligineux. C’était certainement celle de Duncan. Un autre véhicule était garé à quelques mètres et un second individu s’approchait de mon collègue. 

       « Le contact de Duncan », pensai-je en me dissimulant derrière un arbre. 

       Je ne savais pas ce que faisait là Duncan, mais ce qui était sûr, c’est que sa présence avait quelque chose à voir avec le massacre. J’en aurais mis ma main à couper. Les choses allèrent d’ailleurs très vite. A peine son vis-à-vis se fut-il approché que mon collègue lui tendit la valise. L’autre la prit et l’ouvrit, alors qu’un peu de neige fondue commençait à tomber mollement. 

       « Un échange de documents ? D’argent ? ». Je ne savais que penser et j’aurais donné quelques années de ma vie pour pouvoir m’approcher du couple sans être vu. 

       Là-bas, les deux discutaient. Le second avait refermé la valise et la tenait solidement d’une main. Dans l’autre, il y avait quelque chose, et je compris qu’il s’agissait d’une arme. Duncan recula. Son contact leva la main. 

       Alors qu’il allait tirer, je tentai de le devancer, hélas trop tard. Nos deux coups de feu se succédèrent. Mon collègue glissa à terre en poussant un gémissement, alors que le tireur tournait les talons et se mettait à détaler comme si le diable était à ses trousses. Le diable, il l’avait bel et bien : c’était moi. En quelques enjambées, j’étais arrivé près de Duncan. Ce dernier était allongé à terre et se tenait la poitrine en grimaçant. 

       Je grondai de colère et m’élançai à la poursuite du tueur, mais ce dernier m’attendait, dissimulé derrière sa voiture. Je fus accueilli par un déluge de feu et dus me jeter à terre, me dissimulant tant bien que mal dans une fondrière où je me reçus durement. Le sol gelé ne me facilitait pas la tâche. Le temps de souffler, j’entendis une pétarade et, en relevant la tête, j’aperçus l’arrière du véhicule, aux yeux rougeoyants, qui s’éloignait rapidement. Je pestai, rageant de m'être fait avoir comme un bleu... que j'étais, au fond, et cela me mit en rage, alors que je rebroussais chemin.

       En m’agenouillant devant Duncan, je compris qu’il n’en avait plus pour longtemps. A présent il faisait nuit, mais l’étrange luminescence, due à la neige qui tombait maintenant à gros flocons, me permettait de détailler le visage du blessé. La face même de la Camarde... 

       Il esquissa un sourire, ouvrit la bouche, bredouilla. 

       - T’étais là, hein ?... J’ai que c’que je mérite… 

       - Epargne tes forces, Pal. Je vais te conduire à l’hôpital et… 

       - Inutile… J’ai mon compte. Tant mieux. De toute façon, j'avais rendez-vous avec Doris. 

       Je voulus lui demander qui était le type avec qui il avait rendez-vous et que contenait la valise. Mais il était trop tard. Les lèvres de Duncan se tordirent et son regard se figea. Doris ne l'attendrait pas longtemps.

    (A Suivre)


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    "Ecran, mon joli écran, 
    dis-nous quelle est la plus belle...
    - T'es c... c'est qu'un gland!"

    Acorn Boy (Ziluks)
    Dace Rīdūze, 2010, LV, video, sans dialogue, 10'
    Dans le village de Stalks, un petit gland rencontre 
    Monsieur Abeille, M. l’Araignée, la fourmi 
    et beaucoup d’autres insectes.


    Frigide Barjot achevée par Audrey Pulvar 
    pleure sur D8 : un duel d'egos pathétique
    Bruno Roger-Petit
    Chroniqueur politique

       (...) La télévision, combien de fois l'avons-nous écrit ici depuis deux ans, se complait désormais à mettre en scène les débats de société, y compris les plus lourds de sens, en les réduisant à une dimension tout à la fois binaire et manichéenne, caricaturale et extrémiste. Le règne des Zemmour, Lévy, Ménard, Pulvar, Autain est advenu, et il paraît qu'il va durer longtemps, très longtemps. (...)

       (...) Frigide Barjot est sur le plateau du "Grand 8", éléments de langage ressassés à l'appui. "Un enfant, un papa une maman", "Hollande nous coupe la tête", "Le mariage va mourir", "J'ai des amis homosexuels, je donne au Refuge"... Frigide, qui chantait "Fais-moi l'amour avec deux doigts"... Frigide, celle qui faisait le grand écart sur le comptoir du Banana café... Frigide, la déconneuse de Jalons...

       Face à elle trône Audrey Pulvar, celle qui était présente à la Bastille le 10 mai 1981. Audrey, la conscience autoproclamée de la gauche française... Audrey, l'héritière naturelle de Jaurès, de Blum, de Herr, de Mendès, de Zola... Audrey, qui n'aime pas Manuel Valls, le Clemenceau contemporain... Que serions-nous sans Audrey Pulvar et ses défunts éditos des "Inrocks", ces sublimes odes à la philosophie d'Albert Camus revue par des lycéens triplant leur Terminale L ? 

       Au cœur des débats, le mariage pour tous, la Manif pour tous, une droite française au bord du 6 février 1934, une gauche émolliente et frileuse, un président à l'autorité si faible qu'il en est presque délégitimé aux yeux des extrêmes de tous bords, une France frileuse et apeurée, divisée et clivée, des homosexuels mis au ban par une partie de la France qui se croit plus authentiquement française que toutes les autres...

       Et tout cela débouche sur quoi ? Un débat Frigide Barjot/Audrey Pulvar. Des larmes, des cris. De l'hystérie partagée. Du divertissement... (...)


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    (Grâce aux rebuts de tissus, des robes légères et décentes
    sont offertes aux victimes de la Crise Mondiale...
    On dit merci qui?)


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    (Dans cette image se cache un membre du FMI.
    Sauras-tu le trouver?)

    Ballenger Droits réservés 
    Comment le FMI et la Banque mondiale 
    ont pris le contrôle de la Tunisie
    AGNÈS ROUSSEAUX

       (...) Le FMI a décidé d’appliquer ses célèbres méthodes en Tunisie. Un document confidentiel, révélé fin mars par des médias tunisiens, a provoqué l’embarras des responsables politiques. En échange d’argent frais de la part du FMI [1], ceux-ci se sont engagés sur un planning de réformes structurelles, à un rythme effréné. Au programme : augmentation du prix des carburants, baisse des impôts pour les entreprises, déplafonnement des taux d’intérêt (pour permettre aux banques d’améliorer leur rentabilité), audit des entreprises publiques de l’énergie – gaz, électricité et raffinage des produits pétroliers... Ce qui laisse présager des privatisations. Un alléchant menu néolibéral, que le gouvernement prévoit de concocter en 9 mois.

       La recette, elle, semble avoir été préparée par les institutions financières internationales. Dans une lettre à Christine Lagarde, patronne du FMI, le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque Centrale tunisienne s’engagent à consulter les services du FMI pour « toute révision » de ce programme de dérégulation. L’opposition et la société civile s’indignent de cette ingérence dans la politique économique du pays. « La Tunisie est le laboratoire du FMI et de la Banque mondiale, qui profitent du non-professionnalisme des élus et du gouvernement », analyse Chafik Ben Rouine, porte-parole de l’ACET (Auditons les créances envers la Tunisie). (...)

       Pourquoi un tel traitement ? Pas le choix, avance le gouvernement. Ce sont les contre-parties du prêt accordé. Un prêt qui vient alourdir une dette tunisienne déjà importante : 30 milliards de dinars (15 milliards d’euros) [2]. Le remboursement de la dette constitue le premier poste de dépense publique. Soit trois fois le budget de la santé et cinq fois celui consacré à l’emploi ! Les créanciers ? La France, principal partenaire économique de la Tunisie [3], la Banque mondiale et la Banque européenne d’Investissement (BEI), dont la France est un des actionnaires principaux. Plus de la moitié de la dette tunisienne serait issue de la période du régime de Ben Ali (1987-2011). Chaque Tunisien hérite ainsi à la naissance d’une dette de 3 000 dinars (1 500 euros) qui appartient essentiellement à Ben Ali, décrit l’analyste Mehdi Khodjet El Khil.

       La Tunisie doit-elle honorer ces dettes ? « Reconnaître la dette du dictateur, en décidant de poursuivre son remboursement, constitue un acte antinational, antidémocratique et une complicité de fait avec sa dictature », affirme Fathi Chamkhi, membre du Front populaire, et porte-parole du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde (CADTM) Tunisie. « Payer cette dette prive la Tunisie de moyens financiers très précieux, à un moment très critique de son histoire, et aggrave son endettement extérieur. » Des études [4] montrent que la Tunisie a perdu 29 milliards d’euros entre 1970 et 2010 à cause de la fuite de capitaux. Une raison de plus pour faire le point sur la situation financière du pays. (...)

       Avant l’élection de l’Assemblée nationale Constituante (ANC), en octobre 2011, tous les partis sont d’accord pour réaliser un audit. Et déterminer si une part – jugée illégitime – de la dette doit être annulée. Plus de cent parlementaires européens soutiennent la suspension des paiements de la dette, jusqu’à la réalisation d’un audit indépendant [5]. En 2012, des députés tunisiens déposent une proposition de loi en ce sens. Coup de théâtre en février 2013 : en pleine crise politique, suite à l’assassinat du leader politique Chokri Belaïd, le secrétaire d’État aux Finances, Slim Besbès, annonce le retrait du projet d’audit. Motif : le niveau de l’endettement de la Tunisie serait « gérable », affirme-t-il !

       « C’est une ingérence inadmissible du pouvoir exécutif dans le travail législatif », s’indigne Chafik Ben Rouine. « C’est contre-révolutionnaire et illégal d’outrepasser la souveraineté de l’ANC en préférant suivre les instructions du FMI », s’insurge la députée Mabrouka M’Barek (Congrès pour la république, membre de la majorité au pouvoir), qui interpelle le secrétaire d’Etat sur les réseaux sociaux : « Pourquoi le FMI a si peur d’un simple audit !!! (…) M. Besbes, rappelez-moi pour qui vous travaillez ? Le peuple tunisien ? Non, le FMI bien sûr ! Alors dites à vos employeurs que le peuple tunisien est souverain, il est résolu à examiner 23 années de dictature et à déceler qui a financé ces années de torture et de surveillance policière. » Ambiance. Fin mars, le Front populaire appelle à suspendre pour trois ans le remboursement de la dette, en suivant l’exemple de l’Argentine, l’Equateur ou l’Islande. (...)

    Notes

       [1] L’accord en discussion porte sur un prêt du FMI de 2,7 milliards de dinars tunisiens (soit près de 4 % du PIB de la Tunisie), remboursable sur 5 ans avec une période de grâce de 3 ans et 3 mois. Voir les documents échangés entre le FMI et le gouvernement tunisien, publiés sur le site Nawaat.

       [2] Le ratio dette/PIB de la Tunisie est en 2011 de 136% du PIB. Son taux d’endettement est plus important que celui de la France, dont le ration dette/PIB est de 90 %.

       [3] Créancier à hauteur de 1,7 milliards d’euros, soit la moitié de la dette bilatérale de la Tunisie.

       [4] Voir Capital Flight from North African Countries, par Léonce Ndikumana et James K. Boyce, Political economy reseach institute, Novembre 2012.

       [5] Le 10 mai 2012, le Parlement européen adoptait une résolution sur la stratégie de l’UE en matière de commerce et d’investissements pour le sud de la Méditerranée après les révolutions du Printemps arabe, qui « juge odieuse la dette publique extérieure des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient sachant qu’elle a été accumulée par les régimes dictatoriaux, par le biais principalement de l’enrichissement personnel des élites politiques et économiques et de l’achat d’armes, utilisées souvent contre leurs propres populations ». Source : CADTM

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    Benoît Barvin

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (N'ATTENDS PAS DU BONHEUR
    QU'IL TE RENDE FORCEMENT HEUREUX)

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    COURTS RÉCITS AU LONG COURS (88/5)
    pcc Benoît Barvin


       Tom Drake, agent du FBI, enquête sur une explosion qui a tué toutes les danseuses du "Blue Circle". Toutes? Non, l'une d'elles n'est autre que la petite amie de son collègue Peter Duncan. Mais quand Drake arrive à l'hôtel où réside ce dernier, c'est pour constater que la fille s'est suicidée.



       Quelques heures plus tard, je fouillai en catimini la chambre de Doris. Elle l’avait louée un an plus tôt, quelque part sur Saint Charles road. Le moins qu’on pouvait dire, c’est que la fille ne roulait pas sur l’or. La pièce était un meublé et, à part une affiche de « L’ange Bleu », avec la sublime Marlène Dietrich, rien n’indiquait que l’occupante des lieux ait voulu y mettre sa touche personnelle. Je m’occupai également de ses différentes tenues – toutes très légères, à part ses habits « de ville » -, ainsi que de ses dessous – très nombreux et affriolants. 

       Doris avait du goût mais, en fouillant parmi ses papiers, je compris que c’était le patron du « Blue Circle » qui louait les tenues de scène. Car rien n’appartenait en propre à la jeune femme. Je me promis d’interroger Duncan à propos de Doris, curieux de savoir comment tous deux avaient pu se rencontrer et si leur histoire était sérieuse. 

       En fait, après une fouille méticuleuse, je dus me rendre à l’évidence : rien, chez cette fille, ne la différenciait des innombrables danseuses qui sévissaient dans les cabarets et les boîtes de Chicago. 

       "Alors pourquoi a-t-elle préféré se supprimer sur simple coup de fil plutôt que de faire front ?" me demandai-je, à la suite de Ness. 

       En revenant à l’appartement de Duncan, je passai par le commissariat central. Le divisionnaire n’était pas là mais les dossiers, dûment remplis, m’attendaient sur son bureau. Je me plongeai dans leur étude attentive, sous les yeux de son second, l’inspecteur Anton Korsakov – un grand échalas venu de la lointaine Russie. Il était installé en face de moi, face à une machine à écrire - une Underwood Typewriter - dont, manifestement, il ne savait pas se servir, si j’en croyais la «promptitude» avec laquelle il tapait sur les touches. "Tip... Top... Tip... Top..."

       Il ne me fallut pas moins de deux bonnes heures - avec en fond sonore les cliquetis de l'échalas sur les touches - pour éplucher la vie de toutes les malheureuses victimes du « Blue Circle », sous les regards lourds que me décochait à intervalles réguliers mon ange gardien. Chacune avait un parcours de vie qui  ressemblait, de très près, à celle de Doris. Des filles venues de tout l’état, fuyant la pauvreté des campagnes – et souvent des pères alcooliques. Elles tentaient de survivre à Chicago, d’abord en jouant les serveuses puis, rapidement, elles se retrouvaient à ôter leurs fringues sur la scène des différentes boîtes de la cité. Quand ce n’était pas pire. Point, barre. 

       Rien d’original, pourtant, aucun vrai contact avec la pègre. Rien que de petites souris qui s’agitaient lascivement pour le bonheur de mâles qui, très vite, les rejetaient, une fois qu’ils les avaient essorées. 

       - Alorrs, agent spécial ! fit Korsakov, me sortant brutalement de mes ruminations. Vous vous donnez bien du mal pourr de simples putes, vous ne crroyez pas ? Elles n’en valent pas le coup. 

       Je refermai le dossier, relevai la tête et croisai le regard méprisant du Ruskov. Ness m’avait confié une mission - ma première mission -, et il n’était pas question que je la loupe en cédant à mon esprit chevaleresque. Au lieu de démolir le type - ce n'était pas l'envie qui m'en manquait -, je lui souris, me levai, enfilai mon pardessus et, en passant devant lui, je lui rectifiai le nœud de cravate en grognant. 

       - Ce n’est pas mon avis, inspecteur. Ces « putes », comme vous dites, ont été dessoudées d’une manière abominable. Je coincerai le ou les salauds qui leur ont fait ça – quels qu’ils soient -… et je le leur ferai payer ! 

       J’eus la joie mauvaise de voir pâlir d’un coup le visage de mon interlocuteur. 

    (A Suivre)

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    (L'Étreinte amoureuse du Capitalisme
    mondialisé était un peu poussée)


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    De pire en pire
     Évariste

       (...) Commençons par une bonne nouvelle : le mariage pour tous est passé ! Mais nous avons vu ce dont était capable la réaction : la connivence droite-extrême droite, la complaisance avec la violence des milices d’extrême droite, notamment religieuses. Ne nous y trompons pas : l’opposition au mariage pour tous est une première étape du rassemblement réactionnaire dans un pays où la gauche est minoritaire. Nous rappelons notre analyse du premier tour de la présidentielle de 2012 qui montre la gauche largement minoritaire et comment la victoire de François Hollande n’a été possible que parce la gauche s’est rassemblée et que les droites sont restés divisées.

       Malheureusement, François Hollande n’a pas eu la stratégie voulue pour maintenir et développer le rassemblement de la gauche qui s’était réalisé au deuxième tour de la présidentielle. Pire, il a décidé un virage à droite en appliquant la politique du Medef, qui n’en demandait pas tant. Appliquant à la lettre la stratégie du club Terra Nova d’abandon des couches populaires ouvriers et employés (53 % de la population), il parie sur le fait que ces couches continueront à s’abstenir massivement (l’abstention est le premier choix de ces couches sociales loin devant les choix - dans l’ordre -FN, PS, UMP et Front de gauche en 5e position). 

       Il parie sur la sur-mobilisation des couches moyennes intermédiaires (24 % de la population) et des cadres salariés (15 %). Mais cette stratégie présidentielle produit la désespérance et favorise la droite et l’extrême droite comme l’a montré l’élection partielle de l’Oise en mars 20131.
       
       François Hollande décide même de malmener la gauche de gauche. Il a donné 5 mois à la réaction pour mobiliser contre le mariage pour tous mais seulement trois semaines à la gauche de gauche pour déployer sa mobilisation tant sur le traité budgétaire que sur la « loi Medef » sur la sécurisation des licenciements. Celle-ci est donc obligé de se rebiffer. L’aile gauche du PS renâcle et Gérard Filoche, qui s’est bien battu contre la loi Medef sur la sécurisation des licenciements, a même été demandé comme conférencier par des assemblées citoyennes du Front de gauche ! 

       Le Front de gauche décide de manifester le 5 mai pour la VIe République pour exprimer son ras le bol de la stratégie de François Hollande. Il sera rejoint par une minorité de militants d’EELV-les Verts. Car sur le plan économique et social, c’est de pire en pire. Le numéro de 117 de Respublica a montré l’attaque en règle de la protection sociale par l’ordolibéralisme au pouvoir.

       L’oligarchie capitaliste a d’abord tenté de régler la crise du capitalisme (baisse du taux de profit dans l’économie réelle) par le développement de la spéculation internationale. Puis, elle a réussi à enrayer l’écroulement bancaire et financier privé en faisant appel à l’argent public contrôlé par les amis des oligarques à la tête des États. La dette publique, déjà mise à mal par les cadeaux fiscaux aux rentiers et aux revenus des couches aisées et riches, s’est alourdie en venant sauver les institutions bancaires et financières internationales. 

       Alors, pour financer la dette publique, les oligarques ont décidé que ce sont les salariés des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires qui paieront la note via les politiques d’austérité. Ces politiques d’austérité basées sur la baisse des dépenses publiques ont comme conséquence de diminuer les recettes fiscales des États d’un montant supérieur à la baisse des dépenses publiques. L’effet multiplicateur joue à fond et oblige les oligarques à redoubler d’intégrisme dogmatique en demandant un nouveau tour de vis austéritaire.

       Cette évolution touche la majorité des pays de la zone euro puisque nous savons aujourd’hui qu’entre mars 2011 et septembre 2012, la dette de la zone euro a augmenté de 86 à 90 % et que les capacités de production baissent dans la plupart des pays européens. Il est à noter que nous voyons de plus en plus l’intégrisme ordolibéral européen (version extrémisée du néolibéralisme mondial) verser dans la spirale austéritaire alors que les politiques des Etats-Unis, du Japon et des BRICS (pays émergents) sont moins extrémistes. (...)
    Suite sur:
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    "Hum... J'ai hâte de savoir quelles
    excellentes nouvelles Tu Quoque 
    nous a concocté..."


    Coby Whitmore

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    "Pour l'audition du roi...
    C'est où?
    - Et ben, heu... SHRAKK!!!"

    Laissez tomber le roi, 
    embauchez un acteur

    Arnon Grunberg
    Traduction : Leslie Talaga

       (...) Le 30 avril 1980, Beatrix a succédé à sa mère, la reine Juliana des Pays-Bas. Ce jour-là, de violentes émeutes ont éclaté à Amsterdam. Sous le slogan “Geen woning, geen kroning” [Pas de toit sur nos têtes, pas de couronne sur la vôtre], des squatteurs et des anarchistes s'étaient indignés contre le couronnement de la nouvelle souveraine et la crise du logement que traversait le pays.

       J'avais 9 ans et j'ai tout regardé à la télévision avec ma mère. Les bombes fumigènes et la police anti-émeutes m’ont davantage marqué que le couronnement lui-même. Mon père était aussi peu impressionné par les manifestants que par la reine, et il a passé la journée plongé dans sa collection de timbres.(...)

       (...) Mes parents, des juifs allemands qui avaient fui la Hollande dans les années 1930, n'étaient pas vraiment du genre royalistes. Ma mère avait toutefois un faible pour les familles royales et surtout pour les scandales qui accompagnent les monarchies.

       Et avec la reine Juliana, elle a eu sa dose de scandales. L'époux de la souveraine, le prince Bernhard, était un sacré coureur de jupons, qui a engendré Dieu sait combien d'enfants illégitimes. Il a aussi été accusé d'accepter des pots de vin de la part de Lockheed [Lockheed Martin, une entreprise de défense] dans les années 1970, ce qui l'a contraint à abandonner son rôle d'inspecteur général des forces armées néerlandaises.

       En revanche, le règne de la reine Beatrix, qui a duré 33 ans, a dans l'ensemble été exempt d'esclandres. Le principal accroc qu'a subi la réputation de la monarchie reste le mariage de son fils aîné, Willem-Alexander, – qui succède à sa mère le mardi 30 avril – avec la fille de Jorge Zorreguieta, qui était le secrétaire d’Etat argentin à l'Agriculture pendant la dictature militaire et qui était sûrement au courant des disparitions systématiques qui ont eu lieu pendant la “guerre sale”. (...)

       (...) Actuellement, les personnes qui voudraient se débarrasser de la monarchie ont relativement peu d'influence. Le Parti socialiste est trop petit pour faire le poids et la Nieuw Republikeins Genootschap (NRG, Nouvelle société républicaine) donne une impression de somnolence et globalement de maladresse. Ce n’est guère étonnant comme observation. Pourquoi, après tout, dépenser autant d'énergie pour s'opposer à une performance artistique ?

       Peut-être parce que la rémunération pour ce type de performance artistique est un peu inhabituelle. Le futur roi des Pays-Bas, Willem-Alexander, reçoit un salaire annuel non imposable de plus d'un million de dollars [825 000 €], ainsi qu'une indemnité de 5,7 millions de dollars [4,4m€] “pour les coûts liés à son personnel et à ses dépenses matérielles”. Son épouse, Máxima, reçoit également un salaire non imposable de 425 000 dollars [327 000 €] et environ 750 000 dollars [574 000 €] supplémentaires pour ses faux-frais.

       Ces sommes sont un peu excessives à l'heure où les Pays-Bas ont imposé des restrictions drastiques aux subventions publiques dédiées aux autres formes de théâtre. Il est vraiment archaïque de la part de la famille royale d'essayer d'échapper en douce aux mécanismes du marché et à la méritocratie.(...)

       (...) Maintenant que les théâtres, les opéras et les musées ne peuvent exister sans le soutien de sponsors, il est peut-être temps pour les Néerlandais de se résigner à avoir une famille royale qui, pendant les visites et les cérémonies officielles, glissera subtilement que l'événement peut notamment avoir lieu grâce au soutien de Shell. Ou Pfizer, d'ailleurs. A l'heure de la mondialisation, la famille royale ne devrait pas forcément être sponsorisée par des entreprises néerlandaises.

       Et si, à partir de maintenant, on organisait des auditions pour les rôles du roi et de la reine, n'est-ce pas une bonne idée ? On trouverait sûrement des candidats bien plus doués que les membres actuels de la royauté et ils seraient prêts à remplir ces fonctions pour une fraction des salaires qu'ils perçoivent. (...)

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    Luc Desle

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