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    Pensées pour nous-mêmes:

    (TA NON-ACTION A-T-ELLE
    UN RÉSULTAT?)

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    (On comparait souvent Madame D, Maîtresse des élégances,
    à son animal fétiche)



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    jeanneemard.wordpress.com

    « On a fait du PIB le seul critère de l’efficacité
    des politiques publiques »


    Amélie Mougey

       Interview - Une société prospère n'est pas forcément celle qui produit le plus. Ce crédo anime l'économiste Jean Gadrey, qui plaide pour de nouveaux indicateurs de richesse. La semaine dernière, les députés ont voté en ce sens. Le début d'un basculement ?

       D’un bout à l’autre de la planète, la richesse d’une nation se mesure en trois lettres : « PIB », pour « produit intérieur brut ». Cet indicateur prend en compte la production de biens et de services sur un an à l’échelle d’un pays. Après près d’un demi-siècle à régner en maître, cet outil interroge : une nation n’est-elle riche que de ce qu’elle produit ? A cette question, les députés français ont répondu non. Le 29 janvier dernier, ils étaient une quinzaine dans l’hémicycle à adopter à l’unanimité la proposition de loi « visant la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ». Jean Gadrey, professeur d’économie honoraire et coauteur de l’ouvrage Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, 2004), compte sur l’ensemble des décideurs pour saisir la balle au bond.

       / Terra eco : Est-ce que ce texte marque une réelle avancée ?

       - Jean Gadrey : Sans aucun doute. C’est une très bonne nouvelle. Depuis que ce débat s’est ouvert, il y a une dizaine d’années, les décideurs ne cessent de faire un pas en arrière, un pas en avant. Si cette loi passe au Sénat, le progrès sera réel. Le gouvernement aura l’obligation de présenter chaque année devant le parlement un rapport sur l’évolution des nouveaux indicateurs de richesse. L’élaboration des politiques ne se focalisera plus sur leur impact économique, mais prendra en compte les inégalités, la qualité de vie et le développement durable. Lorsque, comme chaque année, la loi de finances sera discutée, les députés seront invités à regarder aussi l’impact de ces arbitrages sur l’environnement, leurs conséquences en matière de pauvreté, d’exclusion, de mal-logement. Avec la prise en compte de ces critères dans le débat politique, on voit se concrétiser ce pour quoi nous nous battons depuis quinze ans.

       / Justement, pourquoi se battre pour ces indicateurs ?

       - Parce qu’ils sont indispensables ! Poursuivre des politiques publiques avec pour seule référence la croissance et le PIB, c’est comme rester sur le Titanic munis d’une boussole qui pointe vers l’iceberg. On a besoin de changer de repères pour éviter la catastrophe. La trajectoire actuelle n’apporte plus rien aux gens en termes de bien-être, de réduction des inégalités… Or, la vocation des pouvoirs publics, c’est bien d’améliorer la vie de la population dans son ensemble. Deux préoccupations sont à l’origine de notre critique du PIB : le creusement des inégalités et la gravité de la crise écologique. Les deux sont liés : si l’on ne prend pas en compte l’état des inégalités sociales, la transition écologique n’aboutira pas. A l’inverse, la crise écologique risque, elle-même, de renforcer ces inégalités : si l’on souhaite que tout le monde accède à terme à une alimentation saine issue de l’agriculture bio, il faut que tout le monde en ait les moyens, de même pour le logement, la mobilité, etc. Tout est lié, et c’est pourquoi élaborer les politiques publiques avec un seul indicateur est forcément erroné.

       / Le PIB est-il, en soi, un mauvais indicateur ? 

       - Pas du tout. C’est un bon indicateur économique, l’un des plus pertinents pour évaluer le niveau de production d’un Etat. Le PIB dans son domaine de compétence, personne n’a envie de le jeter. Mais son utilisation exclusive pose problème. On en a fait le seul et unique critère de l’efficacité des politiques publiques. Or, une société qui fonctionne bien n’est pas uniquement celle qui produit le plus. Il nous faudrait évaluer les politiques en se basant sur trois piliers : social, environnemental et économique. En l’état actuel, ce troisième pilier est immense, tandis que les deux autres sont petits. Cela ne vient pas de nulle part. Longtemps, on a entretenu l’idée que la bonne santé économique d’un pays entraînait tout le reste. C’est un mythe. Les inégalités ont commencé à se creuser alors que la croissance était toujours au rendez-vous. Chaque jour, des exemples prouvent que les objectifs sociaux, économiques et environnementaux peuvent entrer en contradiction. La relance de certaines industries a beau être profitable sur le plan économique, elle peut être désastreuse sur le plan de l’environnement.

       / Cette loi est-elle à la hauteur de l’enjeu ?

       - Le texte est bon, mais le diable se cache dans les détails. Tout va se jouer au moment de la mise en œuvre. A quel point le gouvernement va-t-il se montrer déterminé à évaluer ses propres politiques, présentes et passées, à la lumière de ces nouveaux critères ? A quel point les parlementaires vont-ils demander des comptes au gouvernement ? Il faut que ces indicateurs soient utilisés comme guides et non comme simple affichage. Les décideurs doivent adopter un nouveau cadre de pensée. La démarche se heurtera très certainement à des partisans du statu quo. La plupart des gouvernants en poste aujourd’hui partagent la même croyance dans les vertus de la croissance. Leur cadre de réflexion s’est solidifié pendant des décennies. La crise a certes accéléré la transformation de leur mode de pensée, mais il faudra encore des années pour changer de paradigme.

       / Connaît-on déjà des indicateurs qui viendront compléter le PIB ?

       - Nous n’en sommes pas encore là. Les parlementaires n’ont pas voulu débattre de quels indicateurs l’emporteront. Mais les travaux sur lesquels ils pourront s’appuyer sont déjà bien avancés. Des indicateurs complémentaires existent depuis des décennies. On a l’IDH, l’indicateur de développement humain, mis en place par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), ou encore l’indice de santé sociale, créé dans les années 1990. Le rapport Stiglitz, présenté en 2009, a également fait avancer la réflexion. Tout le défi aujourd’hui, c’est que l’élaboration et le choix de ces critères ne se fasse pas entre experts. La société civile doit être impliquée. Pour que ces critères parlent au plus grand nombre, il faudrait choisir des indicateurs synthétiques, comme la santé sociale ou l’empreinte écologique. Ceux-ci agrègent tout un faisceau de petits indicateurs et sont donc très lisibles. Il faudrait choisir à la fois ces indicateurs synthétiques et des tableaux de bord plus précis. Dans tous les cas, il faudrait veiller, par souci de clarté, à ce qu’on retienne un nombre d’indicateurs limité – entre 5 et 15 me paraît raisonnable – pour que le système ne devienne pas une usine à gaz.

       / Doit-on changer de boussole uniquement pour l’élaboration des politiques publiques ? Les entreprises ne devraient-elles pas adopter la même démarche ?

       - En un sens, l’émergence de la RSE, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, s’inscrit déjà dans cette démarche. Les acteurs économiques adoptent des critères, des codes de conduite qui vont guider leur activité et ne sont pas purement économiques. Mais pour l’heure, cette initiative repose uniquement sur leur bonne volonté. On peut imaginer, à l’avenir, des indicateurs harmonisés qui pourraient leur servir de guides. Du côté des acteurs économiques, la réflexion en est à ses prémices, à l’étape à laquelle se trouvaient les pouvoirs publics il y a dix ou quinze ans. Mais tant qu’on observe des avancées, on reste confiants.


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    Benoît Barvin

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