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    Pensées pour nous-mêmes:

    (TU N'AS BESOIN
    QUE DE CONSIDÉRATION)

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    Nouveau court récit au long cours (17)

    LE LIBÉRÉ
    DU
    CLUB MAD



       Rachel rencontre un jeune chercheur en sociologie qui lui explique en quoi consiste son travail et qui s'interroge sur sa pertinence.




       Rachel pense qu’effectivement il n’est pas au bout de ses peines, mais comme il le dit lui-même, ce travail a l’avantage de le détourner de l’ennui, de le passionner tout le temps que durera sa recherche. Elle, fait exactement la même chose avec ses éternelles études. C’est sa drogue, sa joie.

       - Il faut que vous me donniez vos coordonnées. J’aimerais lire votre thèse quand vous l’aurez achevée. Et si vous en avez le temps, on pourrait se voir cette semaine, et…

       Rachel sent soudain une présence indésirable sur sa gauche. Ptiboss est là, déguisé en pirate. Il s’assied et désigne avec son gros couteau en plastique leurs assiettes encore pleines à raz bord.

       - Alors, la jeunesse, on ne s’ennuie pas à ce que je vois ! Je crois et j’en suis même sûr, Jean-Mich’, que le chef des sports t’attend à l’entrée. Tu dois préparer un tournoi, à ce qu’il paraît, et c’est maintenant que se font les inscriptions. Tu mangeras au deuxième service.

       Jean-Michel obtempère et Rachel a un pincement d’amour propre car elle sait qu’elle ferait de même si elle était dans la situation de ce jeune homme. Ce sont toutes ces compromissions qui minent les êtres à longueur de temps. Ptiboss rembraye.

       - Ces petits jeunes, il faut tout leur dire. Pourtant celui-là en a dans le ciboulot. Un peu trop, peut-être. On ne leur en demande pas tant ici ! Bon, passons sur l’autre rive. Et vous, vous êtes bien installés ? Ca vous va ?

       - Tout à fait, répond Daniel. Aussi bien qu’autrefois. C’est pour moi comme un pèlerinage, vous comprenez ? Un retour aux sources.

       - Eh bien, c’est parfait si tout le monde est content. Allez, bon après-midi.

       Il a bien raison de faire bref, pense Rachel. Quelle façon de s’imposer ! 

       Daniel, qui devine son agacement, lui suggère de se régaler à présent et de ne plus penser à rien. Facile à dire ! Le projet de ce Jean-Michel l’entraîne dans des extrapolations, dans des pensées qui d’ordinaire ne franchissent même pas l’entrée de ce genre de Club.

       - Rachel, tu penses trop. Tu te rendras malade à force de chercher à comprendre. C’est plus simple que tu ne le crois. Tu es venue ici pour découvrir ce coin et ses alentours. Tu es venue avec l’idée de retrouver intact un lieu préservé, quelque chose qui représenterait pour toi une portion de Grèce antique. Conduis-toi telle que le font les archéologues qui réalisent des fouilles. Focalise-toi sur les bribes qui te plaisent, sur ces fameux morceaux choisis dont je te parlais hier. Je pense qu’il nous faut mettre des œillères si on ne veut pas devenir fou. Allez, je t’emmène de l’autre côté du Club, dans les terres. 

    (A Suivre)


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    (Tout alla bien entre le Monstre et la petite fille...
    jusqu'à ce qu'il veuille lui voler un bonbon...) 




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    "Tu parles bien le langage de l'amour, tu sais..."

    Le Nom de la Rose

    IDÉES :
    L’identité culturelle européenne, 
    c’est le dialogue
    Umberto Eco

       Ceux qui exercent le même métier que moi déploient des efforts titanesques pour échapper aux congrès, aux symposiums, aux interviews sur le thème obsédant de l’identité européenne. Le problème ne date pas d’hier, mais il est devenu plus brûlant ces dernières années, à l’heure où de nombreuses personnes nient son existence.

       Il est curieux de constater que bon nombre des gens qui la réfutent et qui voudraient que le continent se morcelle en une multitude de minuscules patries possèdent un bagage culturel limité et, au-delà de leur xénophobie presque congénitale, ignorent que c’est depuis l’an 1088, date de naissance de l’université de Bologne, que des "clercs vagants" de tous horizons vagabondent d’université en université. D’Uppsala [en Suède] à Salerne [Italie], communiquant dans la seule langue commune qu’ils connaissaient, le latin. On a l’impression que seuls les gens cultivés perçoivent l’identité européenne. C’est triste, mais c’est déjà un début.(...)

       A ce propos, je voudrais citer quelques pages du Temps retrouvé, de Proust. Nous sommes à Paris, pendant la Première Guerre mondiale. La nuit, la ville redoute les incursions de Zeppelins. L’opinion publique impute aux "boches" abhorrés toutes sortes d’atrocités. Eh bien, ces pages de Proust exhalent un parfum de germanophilie qui transparaît dans les conversations entre les personnages.

       Charlus est germanophile, même si son admiration pour les Allemands semble moins liée à des affinités culturelles qu’à ses préférences sexuelles : "‘Notre admiration pour les Français ne doit pas nous faire déprécier nos ennemis, ce serait nous diminuer nous-mêmes. Et vous ne savez pas quel soldat est le soldat allemand, vous qui ne l'avez pas vu comme moi défiler au pas de parade, au pas de l'oie’. En revenant à l'idéal de virilité qu'il m'avait esquissé à Balbec, […] il me dit : ‘Voyez-vous, le superbe gaillard qu'est le soldat boche est un être fort, sain, ne pensant qu'à la grandeur de son pays, Deutschland über alles’". (...)

       Passons sur Charlus, même si l’on retrouve déjà dans ses discours germanophiles quelques réminiscences littéraires, et parlons plutôt de Saint-Loup, vaillant soldat qui perdra la vie au combat. "[Saint-Loup] pour me faire comprendre certaines oppositions d’ombre et de lumière qui avaient été ‘l’enchantement de sa matinée’ […] ne craignait pas de faire allusion à une page de Romain Rolland, voire de Nietzsche, avec cette indépendance des gens du front qui n'avaient pas la même peur de prononcer un nom allemand que ceux de l'arrière […]. Saint-Loup me parlait-il d'une mélodie de Schumann, il n'en donnait le titre qu'en allemand et ne prenait aucune circonlocution pour me dire que quand à l'aube il avait entendu un premier gazouillement à la lisière d'une forêt, il avait été enivré comme si lui avait parlé l'oiseau de ce ‘sublime Siegfried’ qu'il espérait bien entendre après la guerre."(...)

       Ou encore : "J'appris en effet la mort de Robert de Saint-Loup, tué le surlendemain de son retour au front, en protégeant la retraite de ses hommes. Jamais homme n'avait eu moins que lui la haine d'un peuple. […] Les derniers mots que j'avais entendu sortir de sa bouche, il y avait six jours, c'était ceux qui commencent un lied de Schumann et que sur mon escalier il me fredonnait, en allemand, si bien qu'à cause des voisins je l'avais fait taire". La culture française ne s’interdisait pas d’étudier, même alors, la culture allemande, quoiqu’en prenant quelques précautions

       Et Proust de s’empresser d’ajouter que toute la culture française ne s’interdisait pas d’étudier, même alors, la culture allemande, quoiqu'en prenant quelques précautions : "Un professeur écrivait un livre remarquable sur Schiller et on en rendait compte dans les journaux. Mais avant de parler de l’auteur du livre, on inscrivait comme un permis d’imprimer qu’il avait été à la Marne, à Verdun, qu’il avait eu cinq citations, deux fils tués. Alors on louait la clarté, la profondeur de son ouvrage sur Schiller, qu’on pouvait qualifier de grand pourvu qu’on dît, au lieu de ‘ce grand Allemand’, ‘ce grand Boche’".

       Voilà ce qui constitue le fondement de l’identité culturelle européenne, un long dialogue entre les littératures, les philosophies, les œuvres musicales et théâtrales. Rien que ne puisse effacer une guerre. Et c’est sur cette identité que se fonde une communauté qui résiste à la plus grande des barrières, celle de la langue.

    Traduction : Jean-Baptiste Bor



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    (Tout récent milliardaire pleurant de bonheur)



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    Benoît Barvin

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