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    Pensées pour nous-mêmes:
    (LAISSE-TOI EMPORTER
    PAR LA DANSE DU TEMPS)

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    "Fais attention à ta cibiche... 
    Tu sais ce qui est arrivé la dernière fois, hein?
    - J'étais bourré, c'est tout.
    Et puis tes cheveux ont repoussé, non?"



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    "Tu as vu, le monde ouvrier nous tend les bras! 
    - Tu es sûr?"



    « Comment le mouvement ouvrier chinois 
    peut changer le monde »
    Pierre Haski | Cofondateur de Rue 89

       (...) Han Dongfang est un activiste chinois pas comme les autres. Basé à Hong Kong, il défend les droits des ouvriers chinois en favorisant les négociations collectives dans les conflits sociaux, une approche constructive, qu’il veut déconnecter au maximum des enjeux idéologiques et de pouvoir.
       Agé de 50 ans, cet ancien syndicaliste engagé dans le mouvement démocratique de Tiananmen en 1989, emprisonné puis exilé, explique sa démarche dans un livre, « Mon combat pour les ouvriers chinois » (éd. Michel Lafon, 16 janvier 2014), écrit avec le journaliste français Michaël Sztanke.
       De passage à Paris, il explique à Rue89 en quoi son approche pragmatique de l’action sociale dans un pays autoritaire peut transformer la Chine, mais aussi avoir un impact sur le reste du monde en faisant passer les travailleurs chinois du statut de victime ou de concurrent des ouvriers occidentaux à celui d’alliés dans un monde globalisé, en faveur de meilleures normes sociales.
       / Rue89 : Vous appartenez à la génération des activistes de Tiananmen en exil, mais vous ne vous définissez pas comme « dissident » et ne participez pas au combat pour la démocratie mais pour les droits des travailleurs. Pourquoi ce choix ?
       - Han Dongfang : En 1992, quand j’ai pu quitter la Chine, j’ai passé un an aux Etats-Unis à observer le mouvement dissident en exil. J’étais malade, sous traitement, incapable de faire quoi que ce soit, et ça a été une « chance ». J’avais déjà décidé de tenter de rentrer en Chine, car je suis un militant du mouvement social, et vous ne pouvez pas agir loin des travailleurs.
       Et, quand j’ai essayé de rentrer en Chine, j’ai eu la chance que le gouvernement chinois m’expulse vers Hong Kong [territoire autonome au sein de la Chine, ndlr], pas vers les Etats-Unis ou l’Europe. C’est une chance car Hong Kong est en prise directe sur la Chine continentale. Vous ne pouvez pas traverser la frontière, mais vous êtes juste de l’autre côté.
       Quand j’ai démarré mon programme sur Radio Free Asia [une radio financée par le Congrès américain, ndlr] mon émission s’est vite transformée de commentaire en conversation téléphonique permanente avec des ouvriers en Chine. Ça me permettait de ne pas être éloigné de la réalité quotidienne des Chinois.
       Tout ceci a conduit à la création du China Labour Bulletin, à Hong Kong, et son implication de plus en plus grande dans l’aide aux travailleurs chinois dans leur action, en particulier sur le terrain légal, pour faire valoir leurs droits.
       Mais pour cela, il faut reconnaître l’autorité des tribunaux, même si c’est dans un système corrompu. Reconnaître l’autorité, cela ne signifie pas que vous en acceptez la réalité. Mais vous entrez dans un dialogue avec ce système corrompu pour le changer. L’implication des travailleurs dans ce combat, sur leurs propres dossiers, permet de faire la différence.
       / Vous pensez qu’il existe une possibilité de changer le système de l’intérieur?

       - Oui, il y a toujours un espace pour ça, sinon c’est désespérant de penser que quelque chose est immuable. J’ai visité la Pologne. Beaucoup de gens pensent que la voie polonaise [Solidarité, l’action clandestine, etc., ndlr] est la seule voie. Mais ce qui me dérange, c’est que j’ai fait de la prison, ce n’est pas une expérience agréable même si on apprend beaucoup.
       Je suis à Hong Kong, et c’est moralement insupportable de me dire que je pourrais envoyer en prison les gens avec qui je travaillerais dans la clandestinité, tandis que je resterais confortablement dans mon refuge hongkongais. J’ai cherché d’autres voies que le syndicat clandestin sur le modèle de Solidarité en Pologne. La victoire de Solidarité est historique, unique, pas nécessairement reproductible. En Chine, nous ne pouvons pas attendre le moment où il sera possible d’en faire de même...
       / En vingt ans, le paysage social chinois a beaucoup changé. Quels en sont pour vous les principales raisons ?
       - Il y a plusieurs différences. D’abord le facteur générationnel. Les jeunes nés après 1989, qui ont maintenant 23-24 ans, dont beaucoup travaillent en usine depuis plusieurs années, ne connaissent pas la peur. Ils n’ont pas l’angoisse de 1989 [le massacre de Tiananmen, ndlr], or la peur est un facteur puissant qui affecte l’esprit et l’action des gens. Si vous avez peur, c’est elle qui vous contrôle, si vous n’avez pas peur, vous faites ce que vous pensez juste.
       Lorsque cette génération se met en grève, elle n’a pas le réflexe de la génération précédente, qui s’attend immédiatement à la répression du gouvernement. Ce n’est pas dans leur tête. Ils pensent que leur action n’a rien à voir avec le gouvernement, qu’elle est juste dirigée contre leur patron qui les traite mal. Je me mets en grève pour mes droits, un point c’est tout. Et comme ils n’ont pas peur, le gouvernement n’a pas non plus besoin d’avoir peur. La peur de l’un génère la peur de l’autre, car la peur cache souvent un agenda parallèle. L’absence de peur permet des possibilités nouvelles.
       La deuxième raison est économique. La Chine a globalement réussi sa transformation d’économie planifiée en économie de marché. Il y a plein de problèmes, mais c’est globalement une réussite.  Mais si les biens de consommation sont soumis aux prix du marché, le coût du travail, lui, n’est pas soumis au marché. C’est une décision unilatérale des employeurs, et le niveau de salaire ne correspond pas aux besoins de consommation des gens. Il y a un fossé trop grand et il doit être réajusté.
       Il n’y a pas de système de négociation en Chine, et lorsque les gens pensent qu’une situation est injuste, ils se mettent en grève pour faire connaître leurs revendications. Enfin, Internet et les médias sociaux ont changé la donne. Les gens participent activement.

       / Le développement économique de la Chine a été longtemps basé sur le faible coût de la main-d’œuvre. C’est en train de disparaître avec la fin du modèle entièrement tourné vers les exportations. Mais quelle est la place des travailleurs dans cette mutation ?
       - C’est un moment idéal pour l’émergence d’un mouvement ouvrier qui pousse à la création d’un système de négociations collectives.
       Au cours des 30-35 années de réforme économique [depuis la mort de Mao Zedong en 1976 et le lancement des réformes par Deng Xiaoping en 1979, ndlr], le gouvernement n’a réalisé qu’une partie de la promesse faite au peuple. Un groupe de millionnaires a émergé, mais pour des centaines de millions de personnes, c’est encore une économie de survie.
       Aujourd’hui, les gens en sont conscients grâce à la circulation de l’information. Avant, les gens pouvaient se dire « je n’ai pas de chance, je suis stupide, je n’ai pas eu la chance de faire des études »... Aujourd’hui, ils savent ce qui se passe aux quatre coins du pays, les gens se plaignent sur les médias sociaux des mêmes choses.  Une conscience de classe, et pas seulement individuelle, émerge, et ça fait une grande différenceSi vous voulez réorienter l’économie vers la consommation plutôt que l’exportation, comme le dit le gouvernement, vous ne pouvez pas échapper au sujet de l’amélioration de la vie des ouvriers.
       Nous ne nous voyons pas seulement comme des ouvriers faisant des objets pour un faible salaire, mais comme des éléments d’une activité économique globale. Ça nous permet de convaincre le gouvernement d’accepter l’idée des négociations collectives, pour aider les ouvriers dans l’économie moderne avec un pouvoir de consommation. (...)

    Suite de l'entretien sur:


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    (Les deux jolies souris d'hôtel
    avant une de leurs sorties nocturnes)



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    Benoît Barvin

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    Pensées par nous-mêmes:

    (FAIS EN SORTE D’ÊTRE TOI, PLEINEMENT,
    A CHAQUE INSTANT)

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    LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/45)
    pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste

     Elaine a prétendu qu'elle voulait devenir novice. C'est une ruse pour mieux enquêter au couvent où elle soupçonne toujours la Mère Supérieure de s'adonner à quelques pratiques douteuses... 
    ANGÉLUS 
    ou
    LES SECRETS DE L’IMPALPABLE


    Indien Tapuia du Brésil - Albert Eckhout -


    CHAPITRE 17

       La traversée en bateau, en direction des Amériques, fut une épreuve pour Angélus. Sa peau lui causait mille douleurs et lui donnait un aspect répugnant. Aussi dut-il s’isoler des autres passagers pour ne pas les heurter. Fort heureusement, lors de ces voyages aux destinations lointaines, des festivités étaient organisées tous les soirs, parmi lesquelles des bals masqués qui faisaient l’unanimité. Angélus put ainsi dissimuler ses excoriations derrière des loups de soie noire, et participer à ces mondanités qui eurent comme avantage de lui faire connaître un botaniste et un ethnologue décidés à explorer les contrées encore vierges de l’Amazonie. 

       Il vérifia en leur compagnie la justesse des écrits qu’il avait pu lire sur la flore équatoriale et se dit qu’il trouverait certainement, au fin fond de la Guyane, les herbes appropriées pour soigner son cas où se mêlaient, il en était certain, quelques éléments non rationnels dont ces plantes et la sorcellerie locale sauraient venir à bout. Il avait l’intuition que l’« aspérula digitex », décrite par Latour dans son manuel des plantes amérindiennes, pouvait contenir le suc capable de fournir, une fois mêlé à un autre suc révélateur, l’antidote à son mal. C’était ce révélateur qu’il cherchait et trouverait, dût-il y passer des années.



       Angélus y passa des années. Des années où il faillit perdre la vie, tant les conditions climatiques furent déplorables pour son état épidermique. Le climat de la jungle, avec ses moiteurs chargées de parasites, eut tôt fait de transformer son corps en un vaste champ de culture. Cependant l’organisme était solide, et la volonté plus encore, de sorte qu’il ne fut pas sujet à ces fièvres qui déciment ou à ces empoisonnements des humeurs qui vous font perdre toute la raison en quelques jours. Il sombra malgré tout, en se voyant aussi atteint dans son incarnation, dans un état de folie légère qui eut comme avantage d’anesthésier les douleurs dont il était sujet et de ne pas lui faire perdre l’espoir de venir à bout de son projet.

       C’est dans cet état d’esprit, focalisé sur son objectif, et au bout d’un an de pérégrinations, qu’il fit la connaissance d’une petite peuplade qui vivait au bord du rio Tacutu. Son guide et son porteur la lui avaient décrite comme pacifique, et le botaniste rencontré sur le bateau avait pointé, entre autre, cette région, comme étant très riche en plantes vénéneuses. Angélus décida donc de s’installer dans ce village de cases et il n’eut pas de mal à se faire accepter par les indigènes tellement son apparence physique était proche de la leur. Son teint avait viré au brun cuivré sous l’effet des lotions de tanin dont il s’était badigeonné, et sa peau était comme scarifiée par les cicatrices. En cela, il ne se démarquait pas de ces hôtes qui portaient sur le visage et le buste maintes scarifications dont la facture cependant révélait un savoir-faire et un sens de l’harmonie que celles d’Angélus étaient loin de posséder.

       Des mois, des années passèrent pendant lesquels il n’eut de cesse de trouver sa formule salvatrice. La famille du chef lui était toute dévouée depuis qu’il avait guéri le fils d’une mauvaise blessure de chasse. Il était considéré comme le second sorcier du village, et le premier qui était déjà vieux n’en prit pas ombrage. Au contraire, il lui communiqua une bonne partie de son savoir, savoir auquel Angélus mêla le sien et dont il n’eut plus tard, aucun scrupule à abuser, une fois de retour en France.

       Avant cela, il transita par les Etats Unis où il continua ses recherches.

       Enfin, il trouva !

    ***

       Je le détiens enfin ce procédé par lequel j’ai pu retrouver apparence humaine, de façon durable, en ayant la certitude que les mois d’août à venir ne détruiront plus jamais le bel ouvrage. Je ne sais pas quel sortilège les Fontserannais m’avaient envoyé. Mais à force de persévérance et de tâtonnements, j’ai su rompre leur mauvais sort. Tout comme j’ai su tuer ce parasite qui infestait mes créations. Maintenant je suis passé maître en la matière. Je peux tout recréer, tout modeler à ma guise. Je maîtrise parfaitement la vie et la multiplication cellulaire. J’égale l’illustre Stevenson pour ce qui est des formules chimiques de toutes les plantes amérindiennes qui me sont si précieuses et dont les extraits me seront envoyés régulièrement en France.

       Pendant mon séjour dans la jungle, j’avais pu devenir l’égal du grand sorcier et sans faire preuve de vantardise, je peux même affirmer que j’étais plus efficace que lui, plus intuitif. Cependant, avec mon teint à nouveau lisse et doré, j’étais devenu suspect parmi tous ces hommes à la peau noire scarifiée. Il était temps que je parte. D’ailleurs, qu’avais-je d’autre à apprendre d’eux ?

       J’ai le sens de mon art dans la peau. Et pourtant, je n’exploite que la moitié de mes capacités. Tout cela par la faute de mes ennemis d’enfance. Il m’arrive souvent de me dire que mon esprit de vengeance me détruit et me fait perdre ma vie, mais je ne peux me raisonner. Je brûle de retrouver les sensations de ma tendre jeunesse et d’en faire une oeuvre d’art. Je rêve de transfigurer le soyeux d’un pétale de lys, de le traduire en textures nouvelles. Et pour y parvenir, j’ai besoin de toutes mes cellules tactiles. Pourrai-je un jour re-goûter l’extase du vrai toucher ? 

       Pour cela, et bien que je m’en sois longtemps défendu, il me faut revenir là où je l’ai perdu, car c’est là-bas qu’il survit et m’attend. 

    ***
    (A Suivre)

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    "Qui veut du chocolat suisse...
    avec de bons morceaux de démocratie dedans?"


    Une bonne cure de Suisse pour l’Europe
    Lars Feld
    Michael Wohlgemuth |

       (...) Un appel à "plus de Suisse" résonne jusqu’aux confins de la gauche. C’est tout nouveau, c’est original. A l’origine de ce nouvel engouement berlino-bruxellois pour la Confédération helvétique, le référendum suisse sur l’"initiative Minder" – une initiative populaire contre les rémunérations abusives dont l’instigateur se nomme Thomas Minder, patron d’une entreprise familiale suisse et conseiller aux Etats sans étiquette.

       Nous ne jugerons pas ici du fond de cette dernière initiative populaire en date : dans la mesure où elle permet aux actionnaires de décider directement de la rémunération de leurs dirigeants, il s’agit d’une mesure rectificative pertinente pour rétablir le lien entre propriété et contrôle [au sein de l’entreprise].

       La même question d’ordre structurel se pose concernant les rapports entre les citoyens et les responsables politiques. Dans une démocratie, les élus sont censés agir au nom du peuple. Le citoyen est roi. En pratique, il en va comme pour le petit porteur face à la grande société de capitaux : il est ingrat et difficile pour l’électeur d’avoir prise sur les activités multidimensionnelles de ses représentants au gouvernement et au Parlement.

       Deux questions de fond se posent : quels effets la démocratie directe a-t-elle en Suisse, de manière générale ? Et les méthodes de démocratie directe (le référendum et les initiatives populaires) doivent-elles être recommandées aux autres pays d’Europe – notamment sur les questions de politique européenne ? (...)

       (...) Nulle part la démocratie directe n’est aussi développée qu’en Suisse. Même chose pour le "fédéralisme financier", lequel se caractérise, dans sa version helvétique, par une autonomie relativement étendue des cantons et des communes. En Suisse, des référendums financiers obligatoires ou facultatifs sont organisés plusieurs fois par an au niveau local. Les initiatives populaires permettent aux citoyens d’encourager ou de révoquer à leur guise des décisions politiques. Et tout transfert de souveraineté à un échelon supérieur doit avoir l’aval direct du peuple.

       Les résultats sont assez éloquents : les collectivités territoriales sont moins dépensières dès lors que les citoyens peuvent décider eux-mêmes de l’utilisation de leurs propres deniers. Leur parcimonie a pour effet d’alléger la pression fiscale. Et la dette recule également, grâce à des référendums financiers qui permettent aux citoyens de présider eux-mêmes à la gestion des fonds publics à la place des gouvernements.

       La "solidarité" ne passe pas à la trappe pour autant. Si les cantons pratiquant la démocratie directe redistribuent globalement moins, cela ne signifie en aucun cas que le niveau de redistribution est insuffisant pour les pauvres. L’inégalité sociale n’est pas plus forte dans les cantons qui pratiquent la démocratie directe. Tout porte à croire, au contraire, que les transferts sociaux y sont plus ciblés.

       Tout cela entraîne un accroissement de la productivité économique grâce à des prestations publiques de meilleure qualité et à une politique financière plus saine que dans les démocraties uniquement représentatives.

       Felix Helvetia ! L’opinion publique limite la dette tout en promouvant le respect des obligations fiscales, l’efficacité et la subsidiarité : n’est-ce pas là précisément ce dont toute l’Europe a aujourd’hui besoin ? (...)

    Lire la suite sur:


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    (Esprit au repos en attendant de se reconfronter
    à la folie du monde)

    Winged Figure, Abbott Handerson Thayer


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    "Tu veux être payé pour de la création?
    Tu t'fous d'moi, c'est ça?!"

    C'est arrivé près de chez vous

    Le film noir des ouvriers du cinéma
    Guillaume Goutte

       Quand on parle cinéma, comme quand on parle littérature, on a souvent tendance à oublier que, à l’instar de toute industrie, il y a derrière ces productions dites culturelles des travailleurs qui, comme partout, sont soumis à des rapports d’exploitation et de domination. La dernière édition du célèbre Festival de Cannes a décerné sa Palme d’or au réalisateur Abdellatif Kechiche pour son film "La Vie d’Adèle". Encensés de toute part par la presse, la télé, les critiques et autres experts ès bons goûts, le cinéaste et ses deux actrices – Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos – étaient, dimanche 26 mai, sur un petit nuage. 

       Il en était en revanche tout autrement pour les techniciens qui, pendant plus de cinq mois, ont bossé sur ce film, comme l’a révélé jeudi 23 mai le Syndicat des professionnels des industries de l’audiovisuel et du cinéma (Spiac-CGT), qui a publié sur son site Internet un communiqué dénonçant les conditions très difficiles dans lesquelles a été tourné le film primé. Le syndicat a d’ailleurs été rejoint par l’Association des techniciens et ouvriers du cinéma et de l’audiovisuel du Nord-Pas-de-Calais (Atocan), laquelle a tenu à préciser que, « si ce long-métrage devait devenir une référence artistique, nous espérons qu’il ne devienne jamais un exemple en termes de production ». Retour sur une exploitation…(...) 

       Outre les embauches de figurants « à l’arrache, au coin d’une rue » (Le Monde, édition Internet du 24 mai 2013), outre une armée de stagiaires (les travailleurs expérimentés auraient été jugés « trop formatés » – plutôt trop chers ?), plusieurs journées de boulot ont été « oubliées » lorsqu’il s’est agi de payer les techniciensD’autres journées ont été payées sur la base d’un huit heures alors qu’elles s’étaient étalées sur plus de… seize ! Poussant le cynisme jusqu’au bout, du bénévolat aurait même été proposé, au motif que le simple fait de bosser pour un réalisateur aussi fameux était un salaire ô combien suffisant ! (...)

       Un salarié a également affirmé que, en dehors de ces entorses au droit, il y a également « eu du mépris pour les conditions de travail, pour le repos de l’équipe, et sa vie privée » et a confirmé, avec consternation, qu’il « n’avai[t] jamais vu ça ». Le communiqué du Spiac-CGT abonde en ce sens, précisant que certains techniciens ont abandonné « en cours de route, soit parce qu’ils étaient exténués, soit qu’ils étaient poussés à bout par la production, ou usés moralement par des comportements qui, dans d’autres secteurs d’activités, relèveraient sans ambiguïté du harcèlement moral ». (...) 

       « Les gens ne savaient pas le vendredi soir s’ils allaient travailler ou non le samedi et le dimanche dénoncent des changements de planning brutaux au dernier moment. Certains, alors qu’ils étaient en jour de repos ou en pleine nuit, ont même reçu des SMS ou des mails leur annonçant que leur présence était requise… Enfin, le syndicat affirme également qu’il y aurait eu « des incitations à faire des trajets automobiles dans des délais tels que les personnes en charge de ce travail devaient rouler à plus de 180 km/h ». (...) 

       Cette dénonciation sans appel n’intervient pas non plus dans n’importe quel contexte et s’inscrit pleinement dans la lutte que mène la CGT pour une convention collective étendue du cinéma. Ratifiée en janvier 2012 par nombre de syndicats de salariés, dont le Spiac-CGT, elle est, pour l’heure, rejetée par beaucoup de syndicats de producteurs. C’est que le texte exige une réglementation pour le montant des minima sociaux, le paiement des heures supplémentaires et du travail de nuit et du dimanche, ce qui, pour les producteurs, rendrait impossible la réalisation de nombreux films… Autrement dit : producteurs et réalisateurs doivent pouvoir s’asseoir sur le Code du travail au nom d’une créativité qui sonne surtout « rentabilité ».

       Ce traitement des techniciens et des ouvriers de l’industrie du cinoche n’est pas sans rappeler celui des petites mains du secteur de l’édition, et notamment des correcteurs : salaires ridicules (parfois en dessous du smic), contournement du salariat par des statuts désavantageux, cadences infernales, travail déguisé sous forme de tests rémunérés, etc. À lire les réactions sur le Net suite au grand déballage du Spiac-CGT, on comprend pourquoi les travailleurs de ces industries peinent tant à faire reconnaître leurs droits : aux yeux de beaucoup, les traitements les plus indécents sont légitimes lorsqu’il s’agit de la sacro-sainte culture.
    Lire sur:


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    Luc Desle

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