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    Pensées pour nous-mêmes:

    (PAR TA PENSÉE
    TU REJOINS LES ETOILES)

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    Long Texte au long cours (2/11). 
    Blanche Baptiste

       Le père Mirales a appris que l'espagnol qui travaille dans les vignes fait partie de sa famille. Ce secret de famille étant éventé, il se sent de plus en plus mal...


    HAUTES DILUTIONS

    ocaranza-Travesuras-amor

    4

       Aurore est en nage. Une de ses moufles est tombée et son autre joue est toute labourée de sang. 

       - Tu n’es pas raisonnable ! Comment pourrais-tu l’être d’ailleurs ? Je n’en finis pas de me leurrer à ton égard, et d’espérer. Tu ne comprends peut-être pas ce que je te dis, mais qui sait ? En tout cas, j’en ai assez de cette vie. 

       Lucie lui lave le visage et la main. Et entre les doigts crispés, elle trouve un petit tube de comprimés homéopathiques. 

       - Alors ça ! Comment as-tu fait ? Tu ne sais pas faire ce geste d’habitude. 

       Elle se demande si c’est un réflexe volontaire, le hasard, ou le résultat d’une intention précise. Elle ne saura jamais. En attendant, il faut qu’elle prépare la petite. A dix-huit heures, l’association passera la prendre pour le week-end. Ce sera un soulagement passager mais qui lui redonnera assez de courage pour aller jusqu’au mois suivant et ainsi de suite. Mieux vaut ne pas y penser ! 

    *** 

       Elle voit partir le minibus sous les premières gouttes de l’orage. Elle respire comme on dit et pourtant elle se sent oppressée. 

       Quand les vendangeurs étaient rentrés le soir, il faisait lourd à nouveau. De gros nuages montaient de la mer, menaçants. Elle guettait Tonio depuis la fenêtre de sa chambre. Elle pensait aller le rejoindre tout de suite, mais son père avait abordé le garçon, pas plutôt descendu de la camionnette. Il avait réfléchi tout l’après-midi à ce qu’il allait lui dire, et soudain il craignait de ne pas trouver les mots. 

       - Je veux te voir dans mon bureau. Suis-moi ! 

       Ils étaient entrés dans la pièce assombrie par la lourde treille qui pendait là devant. Lucie aurait voulu se précipiter, ne pas les laisser en présence. Elle savait que son père pouvait être violent. Mais elle resta figée sur place, le front contre les carreaux. 

       Mirales avait pris sur une étagère, deux verres et une bouteille de Banyuls entamée. 

       - C’est du bon. Tu aurais peut-être préféré du Champagne, hein ? Pour des retrouvailles ç’aurait été tout indiqué. Mais je ne pouvais pas prévoir la surprise, qu’un ange me tomberait du ciel... 

       Il avait rempli les verres à ras-bord. 

       - Tiens, bois un coup, ça détendra l’atmosphère. 

       Il y avait de la froideur chez Mirales et de l’émotion chez son fils qui réalisait à ses dernières allusions qu’il était démasqué. 

       - Je voulais vous connaître, savoir qui vous étiez, c’est tout. 

       - Ta mère a dû t’en dire des saloperies sur moi, la garce. Parce que c’est pas ce que l’on croit… 

       Et il lui raconta la véritable histoire. Cette belle fille de dix-sept ans qui lui avait fait du charme comme elle en faisait à d’autres dans le camp. Il avait été fier qu’elle le choisisse lui, pour finir. Et puis… 

       Les mots avaient du mal à venir. Il avait la gorge sèche et si peu l’habitude de faire de longs discours. Il porta son verre à ses lèvres. Sa grosse moustache trempait à moitié dans le liquide. Il avala d’un coup une rasade, en renversant la tête en arrière. Un trait de feu traversa sa bouche, son œsophage. Il tenta de recracher. Il porta les mains à son cou, se leva et sortit en hurlant. 

       Des hurlements que tous entendirent dans la ferme. Mirales s’était mis directement sous la pompe et plus il buvait, plus ça le brûlait. Il finit par tourner de l’oeil. 

       - Il faut le transporter à Perpignan, dit Tonio. Il s’est empoisonné avec le vin. Ca a l’air très grave. 

       Josefa était là immobile comme une statue. Lucie regardait la scène sans rien dire. Quant à Marcel, il était déjà reparti chez lui au village. 

       - Bon, on doit se décider vite ! Je peux conduire la camionnette, on le couchera derrière. Madame Mirales, vous resterez à ses côtés. 

       - Non, je ne peux pas voir ça ! Vas-y toi Lucie. 

       Le trajet, ils l’avaient fait sans se parler, avec le bruit des gouttes qui martelaient la carrosserie. Lucie lui indiquait juste le chemin le plus court. Finalement, elle était montée à côté de Tonio. Derrière, elle n’aurait pas pu. Ca lui faisait peur de voir son père baver comme un agonisant. Peu avant l’hôpital, il avait repris connaissance. Sa voix n’était plus qu’une plainte rauque. 

       Pendant qu’on le prenait en charge, Tonio avait expliqué à Lucie ce qui s’était passé. 

       - Il venait d’apprendre qui j’étais… Il allait me parler plus longuement… Quelqu’un l’a empoisonné… 

       - C’est peut-être juste une erreur de bouteille, un accident. Il y a toujours des tas de produits dans son bureau, un vrai débarras. 

       - Non, la bouteille était en hauteur, à côté des verres, déjà entamée. Je suis sûr de ce que je dis. 

       - Eh bien, si on t’interroge, tu diras qu’il l’a prise par terre la bouteille, parce que, s’il y a soupçon d’empoisonnement, c’est toute notre famille qui sera inquiétée, et toi avec. Car, si les gendarmes apprennent qui tu es, cela pourrait même retomber sur toi ! 

       - Je me demande comment il a compris qui j’étais ? Quand il est venu à la cave dans l’après-midi, il ne t’a pas questionnée ? 

       - Non, il est monté me voir dans ma chambre et il m’a parlé violemment. Il m’a dit qu’il ne fallait surtout plus que je te fréquente. A mon avis, il savait déjà qui tu étais ou du moins, il s’en doutait. C’est que tu lui ressembles, par les yeux, les cheveux… 

       - Et ta mère, elle ne se doutait de rien ? 

       - Je ne sais pas. Elle sait cacher ses sentiments. Elle est très observatrice en tout cas. 

       - C’est le flou total, si je comprends bien. 

    ***
    (A Suivre)

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    "Vous nous relogez chez un banquier?
    - Comment t'as deviné?"


    The Expulsion of Adam and Eve from Parad - 
    Francesco Curradi

    “La Cour constitutionnelle 
    suspend le décret du gouvernement andalou 
    contre les expulsions”

       (...) La Cour constitutionnelle a décidé de suspendre de manière préventive le décret anti-expulsions du gouvernement régional andalou, en vigueur depuis le 12 avril.

       Ce décret permettait d'expropier les biens immobiliers appartenant aux banques et de les attribuer à des familles en situation de précarité et incapables de rembourser leur crédit hypothécaire. Jusqu'à présent, précise le quotidien, 12 familles avaient profité de cette mesure.

       La Cour, qui dispose désormais de cinq mois pour se prononcer, avait été saisie par le gouvernement central, qui considérait que ce décret était inconstitutionnel et qu’il accentuait les incertitudes juridiques pour le secteur bancaire espagnol (pauvre, pauvre petit secteur bancaire...) , une position partagée par la Commission européenne. (étonnant...) (...)


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    "Madame la Baronne, si je puis me permettre...
    le portrait de votre soeur est admirable...
    - Ce n'est pas ma soeur, c'est ma maîtresse...
    - Glub!"


    Francesco Beda

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    (Document prouvant que Monsieur Hitler
    était un brave homme et qu'il ne voulait
    pas la guerre. Son chien, par contre...)


    Pourquoi la guerre ?
    Michel WEBER

       (...) Une société sans guerre(s) est peu probable. Une société capitaliste sans guerres est impossible.On peut le montrer très facilement en systématisant les éléments d’analyses parfois épars que l’on retrouve chez Orwell et Mumford, mais également chez des auteurs contemporains comme Noam Chomsky, Jacques Pauwels et Annie Lacroix-Riz. (Afin de proposer une démonstration courte, je n’examine pas la définition du capitalisme par la "croissance".)

       Le pourquoi de la croissance, c’est la possibilité de mettre en œuvre une politique d’obsolescence sous ses formes cardinales. Force est cependant de constater que l’obsolescence ne parviendrait pas, à elle seule, à rencontrer le défi de la surproduction — qui est énorme et qui demande un moyen bien plus radical, un moyen qui travaillera à la fois en amont et en aval, un moyen qui formatera et le producteur et le consommateur. Ce moyen, c’est la guerre.

       Je ne parle pas de la guerre économique que tous les acteurs sont censés se livrer en permanence ; je ne parle pas non plus de la guerre sociale larvée dans laquelle vivent les individus conformes et atomisés (à la Machiavel ou à la Hobbes) ou de la guerre des classes (de Marx et Engels) ; je parle de la guerre en tant que production industrielle capitaliste. On ne trouvera rien de métaphorique ici.

       La stricte corrélation qui existe entre capitalisme et guerre a été pressentie entre autres par Karl Marx, Jean Jaurès, Georges Sorel et William James avant d’être analysée par Werner Sombart et Vladimir Lénine, mais surtout par Lewis Mumford (1932) et George Orwell (1949). Du point de vue de ces analyses, justifier la croissance équivaut à légitimer la guerre. On distinguera à leur suite trois types de fonction martiales, étagées selon leur degré d’évidence. Remarquons que chaque degré est directement corrélé à l’importance factuelle de la fonction, la moins évidente étant la plus fondamentale.

       Primo, les fonctions visibles sont stratégiques et tactiques. Il s’agit bien sûr de la défense nationale, mais cette notion simple est en fait susceptible de subir certains aménagements cosmétiques. S’agit-il de défendre son territoire stricto sensu (à la suisse) ou ses intérêts stratégiques (sur le mode us-américain) ? Le premier est clairement défini et la mission des armées de même ; les seconds peuvent porter sur des enjeux très éloignés dans l’espace et dans le temps, au point qu’une guerre sans fin contre « l’empire du mal », « la drogue » ou « la terreur » est tout à fait concevable.

       Ensuite, l’attaque préventive pour des motifs oiseux ou simplement fictifs est maintenant pratiquée en dehors de tout cadre juridique international – à moins que celui-ci ne s’avère manipulable sans efforts.

       Enfin, depuis 1971, l’attaque délibérée pour des motifs « politiques » peut être baptisée « guerre humanitaire » sans soulever aucun tollé chez les observateurs avertis. La guerre c’est la paix.

       Secundo, les fonctions liminales nous mettent en présence de trois grands archétypes. Par définition transhistoriques, on les retrouve dans toutes les sociétés et quasiment dans toutes les communautés.

       La religiosité renvoie au sacrifice tragique du guerrier et aux mythes primitifs ; mourir et donner la mort mettent en contact avec l’Ultime. La pratique de la guerre est proprement sacramentelle (cf. Eliade).

       Ensuite, les vertus martiales nous renvoient à un ensemble de valeurs mâles, soi-disant morales, fondatrices de l’État : la discipline de fer, l’intrépidité, le mépris de la douceur et de l’intérêt personnel, l’obéissance aveugle, etc.

       Enfin, cette abnégation assure la cohérence sociale (cf. Girard) et constitue une réponse efficace, à défaut d’être élégante, au danger malthusien (sous forme d’eugénisme de sa population et de génocide de l’adversaire). La liberté, c’est l’esclavage.

       Tertio, les fonctions invisibles portent plus directement encore sur les mécanismes de contrôle et de stabilisation de la société capitaliste.

       Il y a d’abord les fonctions politiques : créer l’unanimité par la distraction et, surtout, préserver les inégalités en exigeant la subordination en face de la menace extérieure, réelle ou imaginaire, immédiate ou annoncée.

       Ensuite viennent les fonctions économiques : la guerre permet bien sûr d’assurer l’accès aux matières premières et d’ouvrir de nouveaux marchés si les « partenaires commerciaux » s’avèrent peu sensibles aux arguments purement mercantiles (à la Ricardo) . Elle permet aussi d’écouler la surproduction de tout une série de biens et de services qui n’améliorent pas le sort des masses : il serait impossible de préserver le statu quo politique si les investissements portaient sur des biens socialement utiles (soins de santé pour tous, école démocratisée, infrastructures culturelles et sportives accessibles, autonomie énergétique, …) en lieu et place du socialement inutile.

       Enfin, il y a le keynésianisme militaire en tant que tel (que Chomsky a baptisé le « Pentagon system ») : en investissant massivement dans la recherche, le développement et la commercialisation de produits militaires, de leurs précurseurs et dérivés, l’État capitaliste stimule l’innovation technologique, l’emploi et la production industrielle. De plus, il offre des débouchés sûrs : le gigantesque marché militaire est garanti par l’État et financé par les impôts (payés par les pauvres) et les prêts (bénéficiant aux « marchés financiers »). La réticularité de cette pratique digne de la Russie soviétique (qui, soulignons-le, n’a fait que s’adapter, par la force des choses, au militarisme occidental) est tellement profonde et puissante que sa quantification est virtuellement impossible. 

       Un exemple suffira : en 1955, lorsque Chomsky est titularisé comme professeur de linguistique au MIT (Massachussetts Institute of Technology), l’Institut était financé à 100% par trois corps d’armée. Le lecteur naïf s’étonnera d’abord que des travaux aussi abscons que la grammaire générative et transformationnelle soient entièrement financés par le Pentagone. Il ajoutera peut-être que le MIT était à l’époque le centre principal de résistance du mouvement anti-guerre et que, de fait, Chomsky n’a jamais épargné ses efforts pour dénoncer le militarisme impérial des USA. On admettra en effet que certaines recherches semblent fort éloignées d’une application militaire directe, mais dans le cas de la linguistique, il n’en n’est rien : comprendre la structure fondamentale du langage permettrait en effet de formaliser toutes les langues et de créer des logiciels de traduction universelle (et donc panoptiques) ; du reste, la programmation d’ordinateurs complexes, d’automates performants, de drones et de droïdes passe également par la création de nouveaux algorithmes. 

       Que le MIT soit au surplus un nid de contestataires importe peu — à la condition expresse que ces universitaires contribuent par leurs travaux à alimenter la machine militaire et qu’en tant que contestataires leurs voix se noient dans le bruit médiatique. Si d’aventure elle se faisait entendre très brièvement, l’oligarchie s’empresserait d’y voir la preuve de la liberté d’expression qu’elle autorise avec la bienveillance qui la caractérise.

    En dernier lieu, on doit épingler les fonctions psychologiques : la militarisation de la vie sociale renforce l’infantilisation en exigeant l’obéissance – et la confiance – aveugles ; la guerre, lorsqu’elle éclate, brise l’ennui de la vie dans une société mécanisée qui ne propose plus aucun sens à l’existence. Le choc de la réalité est alors vécu comme libérateur. Vivre sur le pied de guerre, c’est vivre vraiment, c’est vivre aux extrêmes. 

       Tout ceci ne présage en rien de la fonction dernière de l’entraînement militaire en général et de la guerre en particulier : prédation, agression et violence constituent des jouissances primitives (au sens de Lorenz, pas de Lacan). La libération du sadisme des oligarques, qui implique la possibilité d’enlever, de violer, de torturer et d’assassiner en dehors de tout cadre culturel (les mots manquent pour nommer cette logique qui n’est rationnelle qu’au sens pervers) sont l’alpha et l’oméga du fondement guerrier de nos sociétés. L’ignorance, c’est la force.

    Dernier ouvrage paru : De quelle révolution avons-nous besoin ? (Sang de la Terre, 2013)


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    Luc Desle

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