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    Pensées pour nous-mêmes:

    (LE PAUVRE ET LE SAINT
    NE SONT PAS FORCEMENT
    INCLUS DANS LA MÊME PERSONNE)

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    "Si je préfère la pauvreté de gauche
    à celle de droite? C'est bien ça
    vot' question?"

    L'Utopie a-t-elle changé de camp ? : 
    entretien avec Jacques Julliard (1/3)
    Frédéric MARTEL Et Benjamin CARACO
    (bref extrait)


       BC : Dans votre livre, vous présentez la gauche comme le parti de l'utopie. Ne pourrait-on pas dire qu'aujourd'hui il y a eu un renversement avec un certain nombre de valeurs de gauche qui sont attaquées par l'idéologie néolibérale ? 

       Si on lit un auteur comme Karl Polanyi, pour lui, le libéralisme est l'utopie suprême. Comme il l'explique, le libéralisme était planifié, il faut une grande intervention des pouvoirs publics pour le mettre en place, c'est une utopie qui se transforme en enfer terrestre... Est-ce qu'on ne retrouve pas des positions plus conservatrices à gauche ? 

       Par exemple, l'oeuvre d'un historien comme Tony Judt empreinte de nostalgie avec Contre le vide moral, restaurons la social-démocratie , pour qui, quand on est de gauche aujourd'hui, il faut être conservateur pour préserver les acquis des Trente Glorieuses. N'assistons-nous pas à un renversement aujourd'hui ?

       JJ : Vous allez jusqu'à dire ou du moins poser la question : est-ce que l'utopie, enfin une certaine utopie, n'est pas passée à droite alors qu'une certaine gauche est devenue conservatrice ? C'est certainement vrai. J'ai répondu en partie en disant qu'il y avait un noyau utopique qui était resté. Simplement, le fait nouveau c'est la rupture entre la gauche que vous appelez conservatrice, en tout cas modérée, et puis la gauche utopique. 

       C'est la première fois qu'un gouvernement de gauche en France, sauf les derniers mois de Mendès France, a une opposition de gauche ! Cela n'existait pas auparavant. Prenez les grandes expériences sous la Troisième République, il y a bien sûr des éléments un peu plus radicaux. Ils ne votent pas contre le gouvernement sauf quelques fois et encore... le plus souvent, ils s'abstiennent. Jusqu'en 1914, "pas d'ennemis à gauche !". C'est la grande devise des républicains, elle est à peu près tenue. Pour le Front Populaire, la rupture intervient tout à fait à la fin, c'est classique. 1945, Mitterrand, Jospin : chaque fois les communistes, ou la gauche radicale, que j'appelle utopique, elle est ou bien dans l'abstention, ou bien carrément dans le soutien, même la participation. 

       Pour la première fois aujourd'hui, il y a coupure entre les deux. C'est ça qui conduit peut-être chacune des deux parties à se caricaturer. Mélenchon n'a plus le poids du réel. Après tout, quand il était ministre, c'était un ministre très réaliste, un des plus modérés du gouvernement Jospin. Il ne faut pas oublier cela ! On a le droit de changer, mais je veux dire qu'à l'époque, sur l'école, il professait des opinions plus proches du SNALC [Syndicat national des lycées et collèges] que de la gauche enseignante. Inversement, il est certain que l'absence de cette pression utopique à l'intérieur du gouvernement amène les réalistes à avoir le pouvoir, encore que d'une certaine manière, il y a une espèce de réinvention, pas utopique mais en tout cas d'une certaine radicalité, au sein même du gouvernement, on l'a vu avec l'affaire de Florange ou avec les nationalisations. 

       Il est vrai que pour l'essentiel, la gauche est devenue conservatrice, ce qui n'est pas nécessairement péjoratif. Après tout, on conserve les livres, les hypothèques, on peut aussi conserver les valeurs ! On voit très bien que dans le débat actuel à propos de l'accord passé avec le patronat par la CFDT, les gens les plus critiques disent : on est en train de détruire et notre rôle c'est de conserver. Conserver quoi ? Un code du travail qui est très rigide, qui est très protecteur des travailleurs, des salariés... pas des chômeurs.

       Je fais remarquer aussi que les écolos, qui sont par définition un parti conservateur puisqu'ils veulent conserver la nature, sont admis au sein de la gauche. Il y a cinquante ans, ils n'auraient certainement pas été admis. D'abord, parce que le problème de l'environnement ne se posait pas dans les mêmes termes mais ce fut-il posé que... j'ai trouvé des textes de Jaurès qui sont puissamment industrialistes ! 

       Le syndicalisme révolutionnaire est industrialiste. Griffuelhes dit : "Nous avons des intérêts communs avec le grand capital contre le petit." Un anarcho-syndicaliste dit ça ! Il parle même du capitalisme à l'américaine ou américain en disant c'est bien. Par rapport à cela, effectivement, on a une gauche qui s'efforce de conserver. C'est un peu inquiétant parce que ça veut dire qu'elle a en quelque sorte enterriné l'idée que le futur est nécessairement récessif, régressif. Si on se méfie à ce point là du futur, c'est quand même un petit peu préoccupant. Si vous regardez simplement au niveau du vocabulaire, celui du Front Populaire, ses chansons : "Ma blonde, entends-tu dans la ville siffler les fabriques et les trains ?" C'est très industrialiste : "Allons au devant de la vie, allons au devant du matin." On ne chanterait plus cela aujourd'hui. Les discours du Front Populaire, ils sont industrialistes, ils sont pour le progrès, c'est complètement différent.

       Inversement, vous avez raison de dire qu'il y a une utopie de droite aujourd'hui. Et cette utopie de droite s'appelle le libéralisme, ou plus exactement - car je trouve toujours dommage car le libéralisme est un très beau mot - c'est la philosophie de la liberté. En tout cas, il y a une utopie néolibérale, qui est l'idéal d'une société automatique. D'une société qui fonctionne pratiquement sans intervention humaine, parce que les mécanismes du marché sont bons et conduisent au plus grand progrès possible à un moment donné. Ce qui n'est pas la doctrine du libéralisme classique, qui est fondé sur la loi, qui implique une série de contrôles, naturellement limités, mais enfin ce capitalisme classique se développe à l'intérieur du système parlementaire, du système de droit, alors que chez les libertariens américains, c'est la destruction de cet Etat de droit d'une certaine manière. 

       Quand on voit par exemple qu'on va privatiser les prisons parce qu'une entreprise privée pourrait faire du gardiennage de condamnés dans de meilleurs conditions avec peut-être plus de confort pour les détenus et en même temps moins de frais pour les contribuables, c'est à la fois une renonciation aux prérogatives de l'Etat, aux droits souverains de l'Etat, cette privatisation du droit et en même temps, il y a l'idée qu'une société – au fond c'est la doctrine de l'Ecole de Chicago mais poussée à ses dernières limites par les libertariens américains – moins elle est contrôlée, mieux elle fonctionne. C'est une utopie. C'est le contraire des utopies de gauche qui, il faut bien le dire, sont toutes contraignantes. Quand on voit Thomas More par exemple, quand on voit Campanella... (...)

    L'entrevue est à lire sur:


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    (Bourgeoise libertaire attendant que son mari 
    ait fini de convaincre les ouvriers de l'usine 
    de son concurrent de se mettre en grève)


    °°°
    "C'est vrai qu'à force de leur agiter 
    mon chiffon rouge devant les yeux..."


    La rédaction de «L’Express» 
    en colère contre son directeur, 
    Christophe Barbier
    Alice Coffin

       (...) La semaine dernière, la Société des Journalistes de L’Express a émis de lourdes réserves sur la Une de l’hebdomadaire et sur le contenu du magazine, en des termes particulièrement défiants envers le directeur de la rédaction. Christophe Barbier dans un communiqué interne auquel 20 Minutes à eu accès. Rédigé la semaine dernière il dénonçait «une interview de Bernard Tapie, réalisée par le directeur de la rédaction une semaine après la couverture publiée précisément sur Bernard Tapie et l’affaire de l’arbitrage, dans laquelle l’intéressé avait refusé la publication de ses réponses». Il jugeait aussi «la couverture avec Marcela Iacub» «surprenante» alors que Christophe Barbier avait «expliqué sur les plateaux de télévision que jamais L’Express n’aurait fait sa Une sur le livre». Un remous qui fait écho à un autre. Il y a quinze jours c’était la Société des rédacteurs duNouvel Observateur qui exprimait son désaccord face au traitement réservé à l’ouvrage de Marcela Iacub et à DSK. 

       La société des journalistes - qui contactée par 20 Minutes n’a pas souhaité en dire davantage - concluait dans le communiqué d’un: «Christophe Barbier aime à rappeler qu’un journal, c’est un directeur et une rédaction. Or cette rédaction a le sentiment, une fois de plus, de ne pas être entendue par son directeur.» En novembre dernier, déjà, elle avait réagi après une couverture sur le «vrai coût de l’immigration».(...) 

       A quelques mois des 60 ans de L’Express, d’une éventuelle nouvelle formule, et à l’heure d’une réorganisation de la rédaction, d’un plan social dans le groupe Express-Roularta, le climat est, comme dans de nombreuses rédactions de presse écrite, tendu. «Anxiogène et fin de règne» lancent certains membres de la rédaction. Sollicité pour commenter cet affrontement, Christophe Barbier n’a pas voulu répondre.


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    Luc Desle

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