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    Pensées pour nous-mêmes:

    (LAISSE TES CERTITUDES
    AU VESTIAIRE)


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    Nouveau court récit au long cours (10)

    LE LIBÉRÉ 
    DU 
    CLUB MAD

       Daniel raconte son passé de militant anti-capitaliste à une Rachel, de plus de vingt ans sa cadette, qui l'écoute avec attention.



       Rachel grignote une corne de croissant. Elle regarde Daniel sans ciller.

       - C’est bien ce que je pensais. Vous êtes en définitive inclassable, si l’on fait abstraction du diagnostic médical qui a dû être établi. A ce sujet, quel est votre statut ?

       - Je ne me souviens plus de leur jargon. Cela demeure flou. Je suis juste persuadé d’une chose : je suis ici en mission. Pour qui, pour quoi, C’est vague.

        - On vous aura certainement prescrit des médicaments ?

       - Cela est plus que certain. Ils sont sûrement dans mes bagages. Mais, je ne risque pas de les prendre. Ce n’est pas mon truc

        - C’est tout de même bien vous qui avez souhaité revenir voir Corfou ? De cela, vous vous souvenez ?

       Daniel nage dans l’imprécision aussi bien que dans la grande bleu. Rachel va penser qu’il est fou à lier

        - Vous savez, j’ai fait pas mal de stages en psychiatrie et vous ne me paraissez pas atteint neurologiquement. Il y a que la vie a de quoi rendre dingues les plus sensibles. Je vais avoir trente quatre ans en août et …

       Daniel est surpris et cela doit se voir. Rachel lui semble tellement jeune. C’est l’effet des ans sur lui. Il mesure mal le décalage.

       - Cela vous étonne ? C’est normal, j’ai gardé un air de gamine et de plus la néo-adolescence se prolonge bien tard maintenant. Donc, depuis mes dix-huit ans, je suis passée de la fac de Lettres en petits jobs, de période de chômage en plages RMIstes, pour finir en formation de reclassement. J’ai eu la chance de pouvoir choisir un cursus assez long ce qui m’a permis d’étudier jusqu’à maintenant. Etudier, c’est ma drogue à moi. Et ce que j’aime plus encore, c’est regarder, pas pour peindre, ni photographier, j’ai horreur de mettre en boîte, mais pour le plaisir d’observer. 

       En fait, tout ce que j’ai appris, c’est pour mieux l’oublier. Au fond, je veux juste être une passante. C’est cela qui me plaît vraiment. Même si ce que je vois me hérisse souvent et me déchire. Vous voyez, pour quelqu’un qui n’aime pas mettre en boîte, c’est réussi, j’ai la tronche prête à éclater et je n’arrive même pas à vider ma boîte crânienne.

       - C’est la difficulté majeure que rencontre le passant dégagé des contingences, état somme toute très confortable, que d’apprendre à ne pas être touché, à faire abstraction de ce qui dérange pour ne sélectionner que des « morceaux choisis », et pour finir, passer à autre chose sans regret.

       Il repousse les tasses pleines de pelures d’oranges. Les moineaux emportent des restes de brioche. Le matin, les tables ne sont pas desservies au fur et à mesure. Ca fait désordre mais on y gagne en tranquillité. De toutes façons, il n’aime pas lorsqu’il y a trop de personnel de service. Oui, c’est paradoxal, compte tenu de son trajet, d’être venu dans ce Club où, comme le disent toutes les réclames, il est là pour être servi et pris en charge.

       - Rachel, tu penses comme moi que l’on est tous plus ou moins dérangés ?

       - C’est pour moi une évidence. Nous sommes des rangés dérangés, comme nous le rabâchait un de mes profs. Pour lui, les individus appartenant à la masse, ont été rangés, non seulement dans des catégories socio-professionnelles déterminées, mais encore, ce qui est plus grave, dans une vie dépourvue d’intérêt et pétrie de morales en tout genre. Ce que l’on appelle généralement une vie bien rangée, dont l’insipidité et l’insignifiance ne peuvent que conduire au dérèglement de la personnalité. On devient dérangés pour de bon et il n’est pas exclu qu’on ne nous y encourage pas. Regardez ce qui se passe ici. On dirait que les jeunes en vacances ne peuvent plus vivre sans ingurgiter des décibels à tout va. N’y a-t-il pas là-derrière une volonté de les abrutir ou de les détourner des sujets essentiels.

       - C’est une théorie qui se tient. Mais cela n’explique pas pourquoi ?

       - J’ai quelques intuitions à ce sujet, comme bien d’autres qui se sont penchés sur la question. Même vous, vous savez. Mais parfois, je me demande à quoi cela sert d’avoir compris. Qu’est-ce que cela change pour nous et pour le monde

       - Oh, Rachel ! C’est bien vaste le monde. Small is beautiful. Aussi, j’ai encore quelques illusions quant à notre pouvoir d’intervention sur les petites choses qui demeurent à notre portée.

       - Moi aussi Daniel, je cultive ces illusions, et c’est peut-être grand dommage. En tout cas, j’ai très envie de savoir ce qui secouait tant la presqu’île hier soir.

       - A mon avis, il faut aller voir les installations du night et aussi le système d’épuration des eaux. Ca ne peut venir que de là

       L’allée principale est jonchée de canettes, de papiers. Des gars du coin en tenue de travail récupèrent tous ces immondices. Autour de la discothèque, c’est tout un arsenal de jets d’eau et de balayeuses. Du jamais vu !

       - C’est le grand jeu ! On se croirait au stade de France ! Va demander ce qui s’est passé. Je t’attends au panorama.

       Il est préférable qu’il se tienne à l’écart. Il a beau se sentir jeune physiquement, les autres le perçoivent comme un ancêtre, et un ancêtre ne s’intéresse pas aux manifestations de foule.

       Vu le dérangement, il y a eu du monde par ici cette nuit. Pourtant, passée une heure, la sono du bar s’est arrêtée et après il y a eu le silence et cet inquiétant grondement. Ce sont peut-être les Dieux de l’Olympe qui se sont ébroués, ou qui se sont mobilisés pour trouver une parade aux exactions humaines ? Qui sait ?… Rachel revient vers Daniel, d’un pas rapide.

       - En fait, d’après ce que j’ai compris, le Village d’Ipsos invite presque tous les soirs de la semaine ceux des Clubs environnants, moyennant un prix d’entrée amical, pour une immense Grave-party, non pas dans ce que vous m’avez montré hier, mais dans un sous-sol sous la grange, cette dernière n’étant que le hall d’entrée de la véritable discothèque. C’est la cloison du fond qui coulisse et, derrière, j’ai vu un large escalier qui descend. Ca vaut le coup d’œil ! Mais pour visiter, il faudra attendre minuit, quand l’équipe-son se mettra en place. Le matin, ils nettoient et l’aprèm, seule la grange reste ouverte. Pour le reste et pendant la journée, entrée interdite à toute personne étrangère au service.

       - Nous irons voir ça cette nuit. Je n’arrive pas à croire qu’ils aient pu creuser là-dessous, et, surtout, qu’ils aient pu obtenir les permis de construire. Les autorités grecques étaient très vigilantes dans le temps.

       - En attendant, il faudrait demander si nous pouvons obtenir des cases loin du bruit et des secousses.

       L’Accueil se réveille à peine. Pour changer de cases, il faut l’accord du planning. Celui-ci, interrogé, répond que le Village est au complet. L’hôtesse ne leur demande même pas pourquoi ils souhaitent quitter leurs cases. Visiblement, elle s’en fout. Et pourtant, elle pourrait montrer quelque admiration ou étonnement vis à vis de Rachel qui lui a parlé en grec. Daniel, lui, n’en revient pas.

       - Mais tu parles le grec couramment ?

       - Oui, presque. J’avais pris une option langue pendant ces dernières années de fac et je me suis passionnée pour ces sonorités chantantes. C’est aussi un peu pour cela que j’ai opté pour des vacances à Corfou.

       - Eh bien félicitations ! A côté de toi, je baragouine. Pour ce qui est de nos nuits, la solution est toute trouvée. On continuera à squatter le ponton. Et si le temps vire, on investira la guérite.

    (A Suivre)


    °°°

    (Ce terroriste, recherché par tous les services secrets,
    avait trouvé une cachette très discrète...)



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    "Bonjour, Messieurs, nous venons pour l'annonce de recrutement
    de fossoyeurs professionnels..."


    ALLEMAGNE
    Croque-mort, un métier d'avenir

    ARNAUD GUIGUITANT


       (...) Au cimetière d'apprentissage de l'académie Theo-Remmertz, située à Münnerstadt en pleine campagne bavaroise (Allemagne), une quinzaine d'élèves suivent ce matin-là d'octobre un cours très particulier: apprendre à creuser une tombe. Avec sa pelle et sa combinaison de travail, Fabian, 26 ans, met du cœur à l'ouvrage pour terminer son exercice. 

       "C'est physique et plutôt technique, confie le jeune homme, scolarisé depuis un an dans cette école formant aux métiers des pompes funèbres. On doit travailler vite et s'appliquer pour ne pas salir les tombes voisines". Mitoyen du cimetière communal et de son église, l'endroit abrite une vingtaine de sépultures. Plus vraies que nature, ces tombes sont pourtant toutes factices, des épitaphes jusqu'aux caveaux laissés vides. "L'objectif de ce cours n'est pas de simuler des enterrements, mais d'enseigner les techniques d'excavation, la conduite d'engins de terrassement ou le maçonnage de pierres tombales. On apprend à nos étudiants à être opérationnels le jour d'une cérémonie", souligne le professeur, Wilhem Lautenbach. (...)

       Fondé en 2005, l'établissement forme chaque année plus de 500 apprentis croque-morts âgés entre 18 et 40 ans. Durant trois ans, entre stages en entreprises et cours à l'école, ils vont apprendre à fabriquer des cercueils, creuser des tombes, nettoyer et embaumer des morts, organiser des obsèques, rédiger des avis de décès ou accompagner des familles endeuillées. "Avant l'ouverture de cette académie, il n'y avait pas de formations spécifiques à part celles dispensées dans les entreprises, explique la directrice Rosina Eckert. Nous donnons à nos élèves les moyens de réussir. La plupart trouvent d'ailleurs du travail après leur formation." 

       C'est le cas de Fabian, l'apprenti qui s'entraînait tout à l'heure à creuser une tombe au cimetière d'apprentissage. Une fois son diplôme en poche, il décrochera son premier emploi de croque-mort: "Mon maître de stage m'a déjà promis de m'embaucher dans son entreprise après ma formation", se félicite- t-il. Ancien étudiant en sociologie, il a tout arrêté car "les perspectives de trouver un emploi dans le social étaient mauvaises, poursuit-il. Dans les pompes funèbres au moins, il y aura toujours du travail". 

       En poussant la porte d'une classe, on découvre une quinzaine d'élèves, appliqués à fabriquer des cercueils. L'exercice du jour consiste à capitonner, sceller et poser les poignées. Les élèves ont une heure. "Agrafe plus fermement ton ruban sur le bois pour qu'il n'y ait pas de pli et tapisse mieux le tissu sur les parois", conseille le professeur, Steffen Queitsch, à Katharina, 30 ans. "C'est la première fois que je fais ça", sourit cette ancienne assistante dentaire venue de Munich. Encore hésitante dans la manipulation des outils, elle a décidé de changer de vie. "Je tente cette reconversion professionnelle car je recherche un secteur qui recrute. En Allemagne, le taux de mortalité est plus élevé que celui des naissances (863 000 décès en 2012 pour 671 000 naissances, ndlr). Les entreprises ont donc besoin d'employés", dit-elle. (...)

       Dans la classe d'à côté règne une tout autre ambiance. Plus solennelle. Une vingtaine d'élèves assistent à un cours de décoration... de cercueils. Leur enseignante leur explique le sujet: "Vous avez 40 minutes pour créer une atmosphère en rapport avec la personnalité d'un défunt. Soyez créatifs", expose Bianca Nicklaus. L'exercice a lieu dans la chapelle de l'école, un endroit austère avec murs gris et bancs d'église, spécialement créé pour simuler des obsèques. Parmi les apprentis, il y a Saskia, 20 ans, élève en deuxième année, petite-fille de croque-mort, pompier volontaire, "habituée à côtoyer la mort et la douleur des gens", reconnaît-elle. 

        Avec ses camarades, elle se rue sur le matériel nécessaire pour l'exercice, stocké dans une salle attenante à la chapelle. A l'intérieur d'une véritable caverne mortuaire d'Ali Baba, elle se sert en cercueil, en chandeliers, en cierges, en angelots et en couronnes de fleurs artificielles... "On doit réaliser un décor harmonieux et qui plaise à la famille", conclut Saskia, qui sait que bientôt, elle organisera de vraies obsèques. 

       A la pause de midi, les élèves se retrouvent tous à la cantine de l'établissement. Certains ont même gardé leur costume noir de croque-mort, obligatoire en cours de psychologie du deuil. L'ambiance est bon enfant. Inscrits en dernière année, Damon, 21 ans, et Maximilian, 22 ans, ont eux passé leur matinée dans la salle d'hygiène de l'école, une pièce aux fenêtres opaques, à l'intérieur de laquelle les élèves manipulent des défunts ayant fait don de leur corps à la science. Sans cadavre ce jour-là, ils se sont exercés sur un mannequin pour savoir le porter, le déshabiller, le laver et le maquiller. 

       Parmi les spécialités de l'académie, il y a la thanatopraxie ou l'art d'embaumer les morts. "Je n'ai pas peur de travailler avec des morts, confie Damon. La première fois, ça fait bizarre: le corps est raide et froid, il y a une odeur forte. Mais on s'y fait". A table, tous parlent de leur expérience et d'anecdotes funèbres. Tout le monde finira malgré tout son assiette... (...)



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    (Ce modèle prenait mieux l'eau que le soleil)




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    Luc Desle

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