•    "Je n'aime pas ça... Tout ce bleu... C'est... c'est vraiment à vomir. 

       Je déteste le bleu, en fait. Surtout celui-ci, ce bleu qui dégouline. Bleu pastel. Ça a un côté politiquement correct. infect... Et que je te mette une feuille blanche pour jouer au n'écrivain. Que j'ajoute un stylo. Pas un Montblanc, non, un bon vieux stylo à plume avec de l'encre... bleue, je suppose? Ahaha... J'ai vraiment un de ces moral, moi! 
       Et que j'adjoigne à notre Maître le Bleu azur, une théière ainsi qu'une tasse, le tout dans un blanc immaculé, lavé de toute souillure... 
       Décidément, je hais le bleu. Je n'en peux plus de ces chromos soi-disant d'époque, toute cette dégoulinante de bons sentiments... 
       Le type - ou la femme? - a cadré serré. On a un gros plan, donc, sur la feuille vide encore, sur le stylo à plume, avec un bout, à gauche, de la théière, puis il - ou elle - a fichu, en plein milieu, la tasse design. Super, vraiment, le plan, l'organisation des lignes de fuite, la couleur... Bien sûr, juste derrière, en bon professionnel, on a droit à un bout de table en fer. Ferraille serait plus exact, comme celle que j'ai retrouvée dans le jardin de ma grand-mère... Et que j'ai repeinte en rose avec des pois verts. Juste pour voir ce qu'elle allait dire. Son enterrement a été très émouvant et... 
       Mais, non. Assez de pensées stupides. Ne pas dériver, rester sur la photo, puisque photo il y a. 

       Alors ce bleu, on te l'efface d'un coup en misant, à la fois sur le dossier ouvragé d'une chaise en acier et sur la végétation verdâtre, avec au loin le ciel, bleu, en contrepoint. Un bleu pâle, émollient, passé. Du bleu et un peu de vert, avec une pointe de jaune, faut ce qu'il faut, hein? Revenons à ce blanc de l'Immaculée Conception comme un bout de toile pour donner un peu plus de profondeur au projet. Une page immaculée qui ne va pas le rester longtemps puisque le jeu, justement, c'est de tracer, avec le stylo plume et de l'encre un texte. Peu importe lequel. 
       Une poésie, peut-être? "Oh toi, ciel bleu comme mes sentiments, 
                                                    Aussi bleus que ce bleu qui orne mon bras 
                                                    Quand tu l'as tordu, salaud, parce que je te résistais et..." 
       Calme... Il faut vraiment que je me calme. Ça va mal finir cette histoire. Mais ce bleu, vraiment...  Non, il ne passe pas. Ça me remonte dans l'œsophage, ça va finir par jaillir des profondeurs de ma gorge, en une bile brûlante. 
       "Alors le type s'est levé et, d'un coup, d'un geste précis à l'aide de la lame aiguisée, il s'est ouvert les veines. Un jet de sang vermillon a giclé, éclaboussant le paysage immédiat, souillant la feuille blanche, la table vaguement bleutée, jusqu'aux frondaisons, pourtant lointaines qui...". 
       Tais-toi. 
       TAIS-TOI!
       Tu dérives, tu files, emporté par le courant d'une imagination morbide... C'est à cause de ce bleu. Je déteste le bleu, je l'abhorre, il me donne des hauts le cœur, il me tachycardise, il me rend dingue de chez dingue... 
       "Il était là, immobile, attendant que la couleur le dévore car, il le savait, même si elle avait un air de ne pas y toucher, elle s'apprêtait à lui bondir dessus, à s'introduire entre ses dents, à couler dans sa gorge, à napper son estomac, à s'infiltrer dans chacune de ses veines, tel un poison qui..."
       - Ah, mon chéri, me voilà enfin... Désolée pour le retard. Si tu savais comme il est difficile de circuler en plein été... Alors, comme ça, l'aide-soignante m'a dit que tu étais un peu nerveux et... Oh mais mon chéri! Tu as vu ce que tu as fait? Ton chapeau.. Il est tombé par terre. Pas étonnant si tu as le visage si rouge... Ce soleil de début d'après-midi est vraiment atroce. Tu ressembles à un homard. Il doit te faire bouillir les sangs... Mon pauvre amour... 
       Voilà, je replace ton chapeau. Je vais te passer un peu d'eau sur la peau pour faire baisser cette tension qui rend ton visage cramoisi... Si tu voyais la tête que tu fais... Ensuite, je pousserai ta chaise roulante vers un coin ombragé... Ne suis-je pas gentille avec toi, mon bichounet? 
       Tiens, là-bas, on va aller là-bas, sous ces frondaisons agréables... Mais dis-moi petit coquin... Je sens que tu  m'observes... Et j'en connais la raison. 
       Tu as remarqué la nouvelle robe que je me suis achetée toute-à-l'heure... Ou plutôt, non, hier pour être exacte. Tu aimes sa couleur?  Il est joli cet indigo, hein?

       Mais? Mais qu'est-ce qui t'arrive, mon poussinou? Ne t'agite pas, je t'en supplie! Maman va s'occuper de toi, mon petit, tout petit chéri..."

    Benoît Barvin


    Ce texte répond à un jeu littéraire lancé par Madame Kevin pour le blog à mille mains, basé sur une photo de Thé Citron, auteure de la nouvelle photo. De nombreux blogs y ont répondu. Si le coeur vous en dit...

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique