L’histoire tourne autour de quelques personnages – un procureur, un jeune loup de la politique –, d’un mystérieux dossier des services secrets et d’un article de la presse britannique. Elle se déroule dans un pays confronté depuis des années à une importante vague migratoire, gérée dans l’urgence et avec peu d’appui de l’Union européenne. Résultat : des élans de solidarité, des ONG qui compensent les failles du système de secours, mais aussi un sentiment diffus d’exaspération et un terreau fertile pour les polémiques.

   Tout commence le 15 décembre dernier. Le Financial Times annonce alors avoir pris connaissance d’un rapport confidentiel de Frontex. L’Agence européenne de protection des frontières y “faisait allusion à des incidents peu circonstanciés, qui auraient vu des contacts inopportuns entre passeurs et ONG”, relate Il Post. En réaction, relève Internazionale, le parquet de Catane (Sicile), où se trouve le bureau régional de Frontex, ouvre “une enquête préliminaire – sans mise en examen ni chef d’accusation – sur l’origine des financements qui permettent aux ONG de mener à bien leurs opérations de secours en mer”.

   C’est là qu’intervient le procureur. À partir du mois de mars, Carmelo Zuccaro, procureur de Catane, s’est copieusement exprimé dans les médias, de manière assez polémique, déclarant par exemple à la télévision : À mon avis, certaines ONG pourraient être financées par des trafiquants. J’ai eu connaissance de contacts.”

   Chaque fois qu’il a pris la parole, observe Il Post, “Zuccaro a dit, de façon toujours extrêmement vague, avoir eu accès à des documents et à des rapports”. Il est fait allusion à un mystérieux rapport des services secrets, relevait Live Sicilia. (...)

   (...) Vient ensuite le jeune loup de la politique, Luigi Di Maio, vice-président de la Chambre des députés et l’une des figures de proue du Mouvement 5 étoiles, la formation du comique Beppe Grillo, au positionnement politique ambigu. Sur les réseaux sociaux, Di Maio a émis une série d’invectives, déclarant révolu “le temps de l’hypocrisie” et désignant les bateaux des ONG comme des “taxis” pour migrants. Une expression qu’il attribuait au rapport de Frontex – à tort, mais la formule est restée.

   Plus largement, c’est toute la classe politique qui s’est emparée du sujet. À l’instigation de sénateurs de droite (Forza Italia) et d’extrême droite (Ligue du Nord), la commission sécurité du Sénat a ouvert une enquête.

   Dans la presse, le feuilleton des différents soupçons, enquêtes et déclarations a contribué à gonfler l’affaire. Certains quotidiens, comme le journal populiste Libero, ont carrément affirmé en titre : “Trafiquants et sauveteurs font affaire ensemble.”

   Et l’arrivée sur les côtes italiennes de quelque 8 500 migrants au cours du seul week-end de Pâques n’a fait que renforcer les soupçons. Elle constituait “une action sûrement concertée”, écrivait par exemple La Stampa le 20 avril. (...)

   (...) Seulement voilà, au fil des jours et de la progression des enquêtes, il est apparu que le fameux dossier des services secrets n’avait probablement jamais existé – de l’aveu même du procureur de Catane. Qu’aucune preuve tangible ne pouvait être apportée. Et que le rapport de Frontex se fondait sur un seul événement : une ONG aurait récupéré deux migrants sur une embarcation libyenne. L’agence a par la suite “démenti avoir jamais accusé des ONG de collusion avec des passeurs”, même si elle leur reproche par ailleurs de constituer un “facteur d’attraction” pour les migrants.

   Malheureusement, “le mal est fait, commente le Corriere della Sera. Les rumeurs, les bruits sont destinés à rester ‘quand même vrais’”. Ce qui subsiste surtout, c’est un climat confus de suspicion. Y a-t-il eu des appels téléphoniques directs d’embarcations vers des navires de secours ? Si oui, prouvent-ils pour autant une collusion ? Les autorités se penchent sur le cas d’une ONG, Migrant Offshore Aid Station, dont les recettes comme les dépenses sont particulièrement élevées, mais qui refuse de donner la liste de ses donateurs. Cela est-il suffisant pour jeter le discrédit sur toutes les ONG ?

http://www.courrierinternational.com/article/italie-mais-dou-viennent-tous-ces-soupcons-sur-les-ong