Au jeu de la provoc' anti-environnementale, Donald Trump est battu par son collègue Vladimir Poutine. A l’occasion du Forum sur l'Arctique organisé à Arkhangelsk, un grand port sur la cote nord du pays, le président russe s’est réjoui des opportunités qu'allait offrir la prochaine fonte des glaces : ne va-t-elle pas faciliter la navigation et l’exploitation de ressources naturelles?
"Le changement climatique fournit des conditions plus favorables pour développer le potentiel économique de cette région. Si ces tendances se poursuivent, imaginez ce qui va se passer. Actuellement, le long de la voie du nord, 1,4 million de tonnes de marchandises sont transportées par cargo ; en 2035, ce chiffre sera de 30 millions. Cela vous donne une idée de la croissance dont je parle."
En décembre 2015 pourtant, lors de la conférence de Paris, Poutine, président d’un pays pétrolier et pollueur et longtemps climato-sceptique, avait surpris les autres pays par sa bonne volonté : "Le changement climatique est devenu l’un des plus grand défi auquel la planète est confrontée", avait-il déclaré devant ses collègues, "il cause ouragans, inondations et autres catastrophes, sources de dommages économiques".
A présent, le naturel revient au galop : "Le réchauffement, il a commencé dans les années 1930", a-t-il ainsi déclaré lors du Forum sur l'Arctique. Il est selon lui lié "à des cycles de la Terre ou même à des interactions interplanétaire". Il est vain de songer à le stopper : il vaut mieux chercher à "s’y adapter", dit-il. Ce qui tombe bien, c’est que le grand nord Russe recèle de nombreuses richesses que la fonte des glaces promet de libérer.
"En réalité, c’étaient ses déclarations à Paris qui ne concordaient pas avec ses autres discours", constate Mikaa Mered, économiste franco-américain, spécialiste de l’Arctique, qui enseigne à l'Université des Sciences Appliquées de Laponie (à Rovaniemi en Finlande). Pour Poutine, du point de vue économique, plus la glace et le permafrost fondent, mieux c’est :
"Il parle d’investissements dans l’Arctique depuis son premier mandat en 2000. L’enjeu pour la Russie est très lourd : les ressources en hydrocarbures au sud et au sud ouest de la Russie sont en voie de tarissement, celles du grand nord peuvent prendre le relais de façon massive et durable. Pour Poutine, c’est une question cruciale, y compris pour le budget fédéral, la stabilité politique, la capacité de projection internationale."
La fonte des glaces dans l’océan arctique ouvre des perspectives énormes aux pays qui le bordent : Etats-Unis, Russie, Canada, Norvège, Danemark. Avec quatre grands enjeux.
Premier enjeu, le poisson. Les ressources halieutiques de ces pays, d’abord, vont se développer car de nombreuses espèces se déplacent vers le nord. A court terme, c'est plus la Norvège que la Russie qui en profitent.
Second enjeu, la navigation. La fonte des glaces ouvre des perspectives de navigation nouvelles : le nombre de jours navigables a grimpé en flèche ces dernières années. Or la route reliant la Chine à l'Europe est bien plus courte par la côte Russe que par le canal de Suez... En terme économique, ces perspectives se traduisent par des commandes de bateaux, des constructions de ports, des contrats de transport de marchandise…
Les différents pays côtiers mettent en place l’infrastructure future de ces transports, à la fois juridique et matérielle. Selon Mikaa Mered, l’idée de faire naviguer d’une traite des bateaux de Yokohama à Rotterdam est écartée, car les brise-glaces sont peu adaptée à la mer "normale" : "On s’oriente vers un système de hubs dans lequel les marchandises seront transbordées sur des brise-glace, pour la traversée de l’Arctique"
Troisième enjeu, les minéraux : le pôle nord recèle des ressources en cuivre, or, nickel, uranium fer, tungstène, diamants… Ce n’est pas un enjeu à court terme pour Poutine. Ce sont essentiellement des investisseurs privés, souvent Chinois qui s’y intéressent.
Quatrième enjeu, le pétrole et le gaz. Le plus important pour Moscou, donc. L’Arctique constitue l’une des plus grande réserve du monde, mais elle n’est pas commode à exploiter. Le réchauffement climatique facilite l’exploitation terrestre, en rendant la température plus clémente pour les travailleurs et le permafrost plus facile à creuser.
Déjà, 10% des exportations d’hydrocarbures russes viennent du grand nord. La Russie a un grand plan stratégique pour développer les exploitations à la fois terrestres et off shore. Mais personne ne peut prédire la vitesse d’exécution de ce plan. Elle dépend de la sécurité des investissements, de considérations géopolitiques, réactions de l’opinion publique internationale (une marée noire dans l’Arctique serait une énorme catastrophe, car on ne saurait pas comment "nettoyer"), et enfin du régime des sanctions.
Depuis son intervention en Ukraine, la Russie ne peut travailler en euro ou en dollar, ce qui freine les investissements (y compris dans des bateaux brise-glace) et l’acquisition par les grands groupes russes, Gazprom ou Rosneft, des technologies occidentales nécessaires aux exploitations complexe, comme le gaz de schiste. Seuls les projets financés en Yuan chinois peuvent se poursuivre : c’est le cas de Yamal LNG, un projet à 27 milliards de dollars, dans lequel on trouve Total à hauteur d'environ 20%.
Autre grand projet financé par des capitaux chinois : un port en eaux profondes près d'Arkhangelsk, relié par une nouvelle voie de chemin de fer, "Belkomur" à l'Oural et à la Sibérie.
En mer de Kara, un projet d’exploration et d’exploitation de plateformes off shore de 400 milliards de dollars sur 30 ans a été conçu par Rosneft et l’américain Exxon... avant d’être figé à la suite des sanctions. Les Russes espèrent maintenant le dégel du projet. Leur interlocuteur d'alors chez Exxon, Rex Tillerson, est devenu le secrétaire d’Etat de Donald Trump, ce qui renforce leur optimisme.
En attendant, Vladimir Poutine multiplie les messages de bonne volonté. "L'Arctique, a-t-il déclaré lors du Forum de Arkhangelsk, doit rester un espace de paix, de stabilité et de coopération". Il a indiqué qu'il espérait rencontrer Donald Trump pour parler de tous ces sujets, lors d'un possible sommet sur l'Arctique, en Finlande, juste avant le G20 de juillet en Allemagne.
http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20170331.OBS7387/pourquoi-poutine-se-rejouit-de-la-fonte-de-l-arctique.html