«Levez les yeux de vos téléphones». La consigne tourne en boucle dans les escalators du métro, sans grands effets. Hongkong est à l’image de ses passants accaparés par leurs écrans : électrisée par les technologies, ultra-connectée. Mais la modernité pèse lourd. En 2015, l’ex-colonie britannique est le territoire d’Asie qui, per capita, a généré le plus de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) : 21,7 kg par habitant, selon l’université des Nations unies.

   Au regard des 6,7 millions de tonnes de DEEE produites par la Chine, Hongkong et ses 156 000 tonnes pourraient sembler anecdotiques. Sauf que la ville croule sous les déchets. Faute d’infrastructures adaptées, elle se débarrasse à l’étranger d’une grande partie de ses vieux équipements électriques alors que 40 tonnes sont tout de même déversées chaque jour dans ses propres décharges, quasi saturées.

   Plus inquiétant encore, Hongkong, devenu «centre mondial d’importation des DEEE» selon l’ONG américaine Basel Action Network (BAN), étouffe aussi sous les rebuts des autres. L’ONG estime qu’environ 830 conteneurs d’équipements usagers entrent chaque mois à Hongkong. Ils sont souvent transportés illégalement depuis les Etats-Unis, sous le couvert d’appareils d’occasion. Longtemps, Hongkong et son port franc ont incarné une simple station de transit vers la Chine. Mais Pékin a récemment fermé ses frontières aux transporteurs de rebuts électroniques dangereux, et le rôle de dépotoir a donc incombé à Hongkong, devenue le «nouveau paradis des pollueurs», selon les termes de l’ONG. (...)

   (...) BAN a placé des traceurs sur plusieurs centaines d’ordinateurs aux Etats-Unis. Et plus de la moitié ont terminé leur parcours dans le nord de Hongkong, à une heure de route de la «Manhattan asiatique». Là, plus de 1 000 hectares d’anciens terrains industriels abandonnés émaillent la partie continentale de Hongkong, frontalière avec la Chine. Cette zone est appelée les «nouveaux territoires». C’est un «no man’s land qui abrite en gros tout ce qui se fait d’illégal à Hongkong. Le problème des déchets se conjugue avec celui de l’urbanisme et de la législation complexe de cette zone», résume Benita Chick de l’Earthwatch Institute, une ONG américaine.

   Les autorités dénombrent 150 sites de recyclage de DEEE à ciel ouvert, souvent barricadés derrière de hautes tôles. «Leur nombre et leurs activités varient en fonction des cours du marché», nous explique-t-on. Rares sont ceux habilités à traiter des déchets toxiques. «C’est peu cher de louer ces terrains vagues dans les nouveaux territoires, et les autorités sont plutôt laxistes aux frontières, ce qui facilite la venue de main-d’œuvre bon marché, explique l’élu local Paul Zimmerman. Ils font le gros du tri manuellement, en cachette dans des arrière-cours. Puis c’est réexpédié en Chine. Quand j’y suis allé, des personnes négociaient des unités centrales, des disques durs, des câbles. La plupart parlaient mandarin.»

   L’ONG BAN décrit des centaines de tubes cathodiques jonchant le sol, des imprimantes éventrées, des circuits électriques désossés. Quant aux effets du mercure, phosphore, cuivre, métaux lourds ou autres substances dangereuses libérées lors de ces opérations sauvages, «les torts pour l’environnement et la population ont déjà commencé», comme l’affirme BAN sur la base d’analyses menées par une université locale. L’eau est «toxique». (...)

   (...) La chasse aux recycleurs clandestins est lancée : contrôles et mesures coercitives vont s’intensifier, assurent les autorités qui, en 2016, ont mené trente-trois poursuites judiciaires assorties de faibles amendes (36 600 euros au total). L’ouverture officielle à la rentrée d’un centre de traitement financé par l’Etat devrait aussi permettre au gouvernement de faire le ménage à grande échelle – alors que jusqu’à présent la gestion des DEEE reposait plus sur des initiatives ponctuelles que sur la législation.

   L’opérateur allemand Alba IWS collecte déjà des déchets électroniques et a commencé au printemps à démonter ordinateurs, réfrigérateurs, imprimantes et téléviseurs. Les composants chimiques doivent être traités à Hongkong, les circuits imprimés envoyés entre autres au Japon, les batteries de lithium en Belgique, le cuivre en Allemagne. Aluminium, inox, plastique et verre seront vendus comme matière première. Plus de 80% de matériaux seront recyclés en «toute transparence», garantit son directeur, Nigel Mattravers. Mais le processus sera lent au démarrage, admet-il. Cinq ans pour atteindre les 30 000 tonnes traitées par an. Le temps de la montée en puissance d’une nouvelle législation plus contraignante pour les producteurs, distributeurs et recycleurs d’équipements électriques. Le temps aussi d’éduquer la population. «Le souci à Hongkong est qu’il n’y a pas d’incitation au recyclage. Il n’y a que des micros systèmes où les gens reçoivent des nouilles en échange d’un vieux frigo ou des fringues», remarque Benita Chick.

   Alors, même le jour où la nouvelle usine tournera à plein régime (56 000 tonnes prévues par an), Hongkong restera encombrée par des montagnes d’appareils usagers. En particulier les petits équipements et les millions de smartphones trop légers pour les gros industriels du recyclage, qui négocient les prix au tonnage. Les téléphones alimenteront donc encore longtemps les circuits parallèles, toujours très opaques. On les retrouve aujourd’hui vendus à même le trottoir parmi des ordinateurs ou des enceintes, ou dans les chariots débordant de ces femmes de ménage qui les monnaient avec des entreprises souvent peu scrupuleuses des normes environnementales.

http://www.liberation.fr/planete/2017/09/10/hongkong-ploie-sous-les-dechets-electroniques_1595337