• "Il travaillait tous les jours que Dieu n'avait pas fait, déléguant le boulot au Diable". Jacques Damboise in "Pensées tutélaires".

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (PHILOSOPHER SANS PASSION

    TEL EST LE BUT)

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    L’île où les enfants

    ont école dans les bois

    Inès Léraud (Reporterre) 

       Cela se passe à Bunyola, un village de montagne d’environ 2.000 habitants situé sur l’île de Majorque, dans l’archipel des Baléares. Chaque matin, quinze parents amènent leurs enfants dans un parc avec toboggan et balançoires situé à la sortie du village. Ce matin-là, il fait gris, et ils aident leur progéniture à enfiler bottes, pantalons de pluie et K-way. Au fond du parc, une petite porte métallique mène vers la montagne. À 9 heures et quart, la troupe d’enfants de 2 à 6 ans l’ouvre et court sur le sentier forestier, suivis de Patty et Linda, les deux accompagnatrices.

       Un peu plus loin apparaissent des cabanons en bois. Patty en sort une bâche qu’elle déplie au sol. « Ce lieu est le point de référence de notre espace de jeux. En début de matinée nous y faisons un goûter, et nous en profitons pour tous nous saluer. » [1] Loïc, trois ans, accourt : « Je t’aide ! » Ils sortent quelques couvertures, qu’ils posent sur la bâche. En cas de pluie, il y a une deuxième bâche, qu’ils tendront entre les arbres. « Mais, quand il pleut, les enfants ne vont pas dessous, ils préfèrent jouer dans les flaques ! » me dit Pierrick Le Guillou, le père de Loïc.

       Une fois le goûter terminé, chacun laisse son sac contenant son repas au chaud dans un Tupperware thermique, et part jouer librement dans la forêt. « C’est bientôt le printemps, les fleurs commencent à éclore ! » se réjouit Candela, 5 ans.

       Les « écoles » des bois, ou plutôt « jardins d’enfants dans la nature » (en danois : « skovbørnehaver » — jardins d’enfants en forêt, ou « friluftbørnehvaver » — jardins d’enfants en plein air), se développent depuis les années 1950 dans les pays scandinaves et germaniques. « La nature est un espace d’explorations et d’expériences sans limite. Un espace de jeu et d’apprentissage pour les enfants, mais surtout un outil pédagogique pour le développement de leur lien à la vie. Les trois buts principaux sont le plaisir de l’enfant, son développement intégral, et lui permettre de fonder une relation émotionnelle à la nature », explique Sarah Wauquier, auteure du livre Les Enfants des bois. Équipés si nécessaires de vêtements imperméables et chauds, les enfants jouent dehors de 5 à 9 heures par jour et par tous les temps. À Majorque, le projet s’appelle en catalan « Ses Milanes, créixer a la nature » (« les milans royaux, grandir dans la nature »), inspiré par ces oiseaux de proie qui migrent chaque année au-dessus des montagnes de Bunyola.

       Mais le projet répond autant à un besoin pédagogique que pratique. Yasmine Eid-Sabbagh est arrivée sur l’île en 2010 pour suivre Adria, son compagnon barcelonais, médecin à l’hôpital de Palma. En 2013, quand elle a inscrit leur petite Ámar à la crèche municipale, elle a découvert avec stupeur une pièce d’une trentaine de mètres carrés, située à l’entresol, dont les fenêtres ouvertes à hauteur de trottoir laissaient souvent entrer les gaz d’échappement, et dont le sol en lino était lavé presque tous les jours à l’eau de Javel. Le tout ouvert sur une petite cour bétonnée recouverte… d’une pelouse artificielle. (...)

       (...) Les premiers jours, Ámar a fait le tour de la pièce en hurlant. « “Elle va s’habituer”, me disait-on. Mais il faut quand même discerner ce à quoi on doit s’habituer, et ce à quoi il faut refuser de s’habituer ! » dit Yasmine en riant. Elle s’est alors rappelée qu’à Wiesbaden, la ville où elle a grandi, est né le premier Waldkindergarten (jardin d’enfants dans la forêt) d’Allemagne [2]. Elle s’est inspirée de ce modèle pour fonder Ses Milanes. L’aspect matériel est facilement résolu : « La nature est un bien public, c’est gratuit, il n’y a pas de loyer à payer ! » (...)

       La difficulté a plutôt été de trouver des familles motivées par le projet. « Quand je parlais aux gens de cette idée, ils me regardaient comme une extraterrestre. Il fait presque toujours beau et chaud à Majorque, il n’y a qu’une quinzaine de jours de pluie par an, et pourtant, laisser les enfants dehors par mauvais temps fait encore aujourd’hui débat », explique Yasmine. Elle a fini par convaincre deux familles et fondé avec elles une association à but non lucratif, puis fait la connaissance de Patricia Torena (Patty), qui deviendra l’accompagnatrice des enfants. Patty, formée à la psychologie et à la pédagogie, travaillait depuis dix ans sur l’île comme femme de ménage et secrétaire, ses diplômes uruguayens n’étant pas reconnus en Espagne ! L’école des bois majorquine a ainsi ouvert ses « portes » en décembre 2014. Linda a bientôt été embauchée comme deuxième accompagnatrice.

       Dans les montagnes de Bunyola, les enfants jouent librement avec très peu de matériel importé ; Patty et Linda n’apportent que quelques loupes, ainsi que des livres sur les oiseaux et les plantes pour reconnaître les spécimens découverts. Ámar, 4 ans, raconte en montrant une roche : « Un jour, j’en ai trouvé une qui avait la forme d’un bateau. Là-bas, c’est un train ! Vous voulez voir comment on monte dans cet avion ? » Elle grimpe alors sur un rocher — « c’est l’aéroport », explique-t-elle — puis escalade l’arbre qui le surplombe, et se met à rêver de voyages.

       « Au retour, ils sont noirs, couverts de terre et de branches, avec un sourire d’oreille à oreille, et… ils font de grandes siestes, ça c’est un gros avantage ! » se réjouissent Pierrick et Poli. Mais il y a beaucoup d’autres bienfaits : « Dès la première semaine, on a noté que Loïc dormait mieux, faisait moins de crises et avait appris à demander de l’aide ou à exprimer un besoin. De plus, depuis son inscription il y a un an, il n’est pas tombé malade une seule fois. » Nathalie Labeau évoque elle aussi les progrès de son fils Kézua, qu’elle avait inscrit en stage d’été à Ses Milanes et qui n’a plus voulu en repartir : « Avant, il avait du mal à entrer en contact avec les autres, il était anxieux, timide. Depuis, il s’est épanoui ! »

       Je demande à Franziska, qui habite Palma et fait deux heures de route chaque jour pour emmener Julian à Ses Milanes, si elle ne craint pas le retour de son enfant à l’école classique (l’école est obligatoire à partir de 6 ans en Espagne). Selon elle, « des études montrent au contraire que les enfants des bois sont mieux préparés à l’école primaire, car ils ont confiance en eux. C’est quelque chose que j’ai remarqué dès le début chez Julian. Il a très vite progressé en motricité, par exemple. Au sol, il y a des branches et des pierres, c’est pas du lino ! Et puis, ils apprennent même à compter et à lire ». Comment ? Ámar, 4 ans, a demandé un jour à Patty comment s’écrivait son nom. Patty l’a aidée à former des lettres avec des morceaux de bois. Puis d’autres enfants ont voulu apprendre à leur tour. Maintenant, on trouve des petits « Ámar » et des petits « Xaloc » inscrits sur le sol de la forêt. (...)

       « Passer tout ce temps dans la nature leur apprend aussi à la traiter comme un égal », explique Yasmine. « Hier, Ámar parlait aux haricots que nous préparions pour le repas. Je me suis approché : elle leur demandait pardon et les remerciait, car on allait les manger ! » rit Adria. « Il y a quelques jours, quand je suis venue chercher Loïc, Linda m’a dit qu’il avait contemplé la pluie pendant une heure. Ça m’a beaucoup touchée », raconte, quant à elle, Poli. (...)

       Les parents s’investissent par ailleurs dans l’entretien d’un jardin communautaire (avec un poulailler) — où les enfants vont passer certains moments de la semaine — ainsi que dans la préservation de la forêt : ils reconstruisent — avec une grande herbe appelée « carritx » — les toits des abris de pierre utilisés autrefois par les bergers (maintenant par les promeneurs), et fabriquent des nichoirs à mésanges, prédatrices de la chenille processionnaire.

       Ses Milanes ne bénéficie pour le moment d’aucune subvention, mais les familles en cherchent pour pérenniser le projet, voire le rendre public, et pour embaucher une troisième accompagnatrice, car cela demande beaucoup d’énergie à Patty et Linda de gérer 15 enfants en toute liberté. Il coûte à chaque famille 225 euros par mois (le même prix que la crèche municipale) avec des tarifs préférentiels pour les plus démunies. Après trois ans d’existence, plusieurs familles de Palma sont venues s’installer au village de Bunyola pour y inscrire leurs enfants. Et d’autres écoles de la nature ont vu le jour [3] comme à Tenerife, aux Canaries, une école… sur la plage [4] !



    [1Les propos de Patty sont issus d’une vidéo sous-titrée en français.

    [2Ce projet, crée par Ursula Sube, existe toujours.

    [3L’Edna, l’Association nationale de l’éducation dans la nature, depuis sa création en 2014, tente de répertorier les différents projets d’école dans la nature existants en Espagne, et d’établir des critères de qualité pour les futurs projets.

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    Luc Desle

    « "Ce petit homme avait des pensées trop grandes pour lui". Jacques Damboise in "Pensées zigzag"."Toute sa vie, il la passa avec une bonne sans T". Jacques Damboise in "Pensées pansées". »

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