Adrien Niclot, un Français de 27 ans responsable marketing d’une société de communication à Pékin, voulait mener un petit test sur l’image des Français auprès des Chinois. Il a ouvert la boîte de Pandore des stéréotypes internationaux. (...)

   (...) Le jeune homme a posté sur le réseau social WeChat Moments des images illustrant la vie à la française (un verre de vin, l’homme coureur de jupons, des manifestants et des grévistes dans la rue) assorties de la question “Chers amis chinois, que pensez-vous des Français ?”   En une heure, j’avais reçu plus de 50 commentaires, la plupart pour dire que les Français sont volages, aiment jouer les play-boys, ont plusieurs petites amies en même temps et ont un rythme de vie décontracté.”

   Si Adrien Niclot a imaginé cette petite expérience, c’est à cause d’un épisode qu’il venait de vivre. Un soir, avec des amis et d’autres Chinois qu’il ne connaissait pas, il s’est rendu compte que beaucoup de ces derniers n’essayaient même pas de lui parler. Interrogé sur la question, un de ses amis lui a expliqué que de nombreux Chinois trouvaient les Français arrogants, et que comme lui, Adrien, n’était pas très extraverti, il leur semblait difficile à aborder. L’explication l’a intrigué :  Ces stéréotypes s’expliquent par nos différences culturelles. C’est par politesse que les Français gardent généralement une certaine distance. En France, on ne pose pas de questions trop personnelles à quelqu’un dont on n’est pas très proche. Mais une fois que l’amitié est là, nous sommes très chaleureux.” (...)

   (...) En Chine même, il existe des stéréotypes régionaux. Originaire de Zhengzhou, dans la province du Henan, Jing Changshui a déposé plainte le 30 août dernier contre un internaute du nom de Hu Wei qui postait en permanence sur son compte de microblogging des commentaires insultants pour les habitants du Henan. Le tribunal populaire du district de Jinshui a annoncé le 6 septembre qu’il ouvrait une instruction.

   La nouvelle fait beaucoup parler sur Internet. Le Chongqing Evening News a publié sur son compte Weibo un article sur cette affaire qui a cumulé près de 28 000 commentaires. De nombreux internautes soulignent que les provinces chinoises entretiennent entre elles des stéréotypes et les expatriés en Chine eux-mêmes en sont victimes.

   À en croire certains spécialistes, les clichés internationaux sont, eux, voués à se raréfier en raison de deux facteurs : l’intensification des communications et la multiplication des échanges entre la Chine et d’autres pays. (...)

   (...) Le Français Georges Hymans, 36 ans, vit en Chine depuis plus de dix ans. Lui qui ne se considère pas comme un romantique a eu à pâtir de cette image que les Chinois associent souvent aux Français. Il se souvient de son premier rendez-vous, il y a dix ans à Changsha, dans le Hunan, avec celle qui devait devenir sa femme. Il avait rassemblé tout son courage pour l’inviter à prendre un verre le soir de la Saint-Valentin, mais ce n’est qu’en arrivant au rendez-vous qu’il s’est rendu compte qu’il n’avait pas de cadeau pour elle.  Il y avait beaucoup de monde dans la rue ce jour-là et le fleuriste n’avait plus que quelques roses. J’ai pris la plus belle et je me suis dépêché de la rejoindre, mais elle avait reçu de vrais bouquets d’autres prétendants – j’avais l’air malin avec ma petite rose solitaire.

   Marié depuis dix ans, Georges Hymans se rend compte que ce qui cause le plus de tensions dans sa vie personnelle, ce sont précisément les différences culturelles entre la France et la Chine, et les stéréotypes sur les relations amoureuses.  Dans la culture française, on apprécie les petites attentions, on se fait un petit cadeau comme un livre, ou on se met sur son 31 et on invite sa dulcinée dans un bon restaurant de temps en temps. En Chine, la valeur des cadeaux se mesure à leur taille et à leur prix. Chaque mentalité a ses avantages et ses inconvénients, mais le fait est que cela crée parfois de l’embarras et de l’incompréhension au sein des couples mixtes.

   S’il en parle, c’est qu’il l’a vécu avec sa petite amie. Quand il lui faisait de modestes cadeaux, il ne comprenait pas pourquoi elle s’énervait et s’imaginait qu’il ne l’aimait pas.  (...)

   (...) Les conséquences des stéréotypes vont parfois très loin, comme le raconte Austin Guidry, un Américain de 27 ans installé à Chengdu, dans le Sichuan. Il y a quatre ans, les clichés lui ont coûté sa petite amie :  Ses parents étaient convaincus que les Américains ne prennent pas le couple au sérieux et que je serais volage. Ils ont demandé à leur fille de mettre un terme à notre relation parce qu’ils craignaient que je lui brise le cœur.

   Et rebelote un an plus tard, quand il a rencontré celle qui est aujourd’hui sa femme. Son père lui a assuré que nous ne serions pas heureux ensemble, à cause de nos différences culturelles”, se souvient-il. Mais, fort de son expérience, Austin s’est accroché. Il a eu une discussion sérieuse avec sa compagne, à qui il a expliqué que tous les Américains ne prenaient pas le mariage par-dessus la jambe et que beaucoup étaient même très conservateurs sur la question. Il lui a promis qu’il ferait tout son possible pour montrer à ses parents qu’il était sincère – et de fait, il a gagné leur confiance et leur a prouvé son attachement pour leur fille.  

   Tous les Russes boivent beaucoup de vodka : voici un autre cliché qui a la vie dure, auprès des Chinois notamment. Or Anastasia, une Russe de 27 ans installée en Chine, en est très loin, et elle est toujours très gênée des mines étonnées qu’on lui fait quand elle dit ne pas boire d’alcool. “De nombreux Chinois croient que les Russes sont accros à la vodka, ce qui est faux. Je ne bois pas du tout, et beaucoup de mes amis non plus.”  (...)

   (...) Dans les affaires, à l’inverse, certains clichés se révèlent plutôt utiles. Pour de nombreux Chinois, la France ne produit que de bons vins, et cela profite au commerce de Georges Hymans. “Certains de mes clients me disent qu’ils achètent du vin français sans même l’avoir goûté puisqu’on leur a dit que les vins français sont excellents.”

   Même expérience du côté d’Austin Guidry, l’Américain. Sa nationalité peut suffire à décrocher certains jobs en Chine, par exemple celui de professeur d’anglais – sauf qu’il ne suffit pas de parler couramment l’anglais pour bien l’enseigner. Et si ce genre de stéréotype a aidé bien des Américains à se lancer en Chine, Austin Guidry se rappelle aussi avoir entendu des étudiants se plaindre d’un professeur d’anglais qui n’avait aucune connaissance de la grammaire. (...)

   (...) À en croire Li Na, professeure associée de langue et de culture chinoises à l’université de pédagogie de Pékin, les livres, le cinéma et les séries donnent des étrangers une image déformée :  Ces œuvres entretiennent l’idée que tous les Britanniques sont des gentlemen, que les Américains sont amoureux de leur liberté et que les Allemands et les Japonais sont invariablement précis et stoïques. Ces images sont utilisées à répétition et donnent au public l’impression qu’elles résument toute une culture. Or, pour essayer de comprendre une mentalité méconnue, on se raccroche au peu que l’on sait.”

   Le nombre d’étudiants chinois à l’étranger et d’expatriés travaillant en Chine devrait améliorer les échanges et la compréhension interculturelle, estime l’enseignante, et permettre de faire comprendre qu’un stéréotype n’est pas généralisable à tout un groupe de population. Ainsi, le nombre de stéréotypes devrait reculer.

   Les expats installés en Chine devraient chercher à exploiter les clichés positifs sur leur culture, conseille Li Na. À l’inverse, face aux clichés négatifs, mieux communiquer avec la population locale afin d’éviter les malentendus et se montrer plus tolérant et mieux informé sur la mentalité et la société chinoises contribuerait à limiter les dégâts.