• "La nature humaine n'est pas la nature que je préfère". Jacques Damboise in "Pensées prophétiques".

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (NOUS EXISTONS SANS

    CONSCIENCE, LE PLUS SOUVENT)

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    fate‌: via weheartit 

    (via orevur)

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    Pourquoi Cesare Battisti

    reste mon ami

    Gilles Martin-Chauffier

       Emprisonné en Italie, le romancier et ancien activiste d’extrême gauche a reconnu sa responsabilité dans quatre meurtres. 

       Des aveux qui ne disent pas forcément tout…Je n’ai jamais été gauchiste. Pour moi, à l’époque des « années de plomb », quand fascistes et trotskistes semaient la terreur, l’Italie était un paradis. C’était le pays des plages, de San Remo, de Capri, d’Adriano Celentano, de Lucio Battisti, de Paolo Conte, des Offices, du tombeau de Raphaël au Panthéon, de Fellini et de Visconti. Mon père, bilingue, avait été élevé à Florence. Ma future femme était de Naples. J’adorais ce pays, celui de la dolce vita. Une grande démocratie latine pleine de « Français de bonne humeur », pour reprendre la formule de Cocteau. Je prenais pour des abrutis les illuminés qui avaient été communistes sous Staline et se la jouaient maoïstes en pleine Révolution culturelle. Il ne me serait jamais venu à l’idée de les ranger dans le camp du bien.

       J’ai découvert Cesare trente ans plus tard, quand il a publié « Le cargo sentimental » chez Joëlle Losfeld. Pour être franc, j’ai ouvert le livre en me disant que j’allais me payer ce gauchiste. Erreur : j’ai trouvé excellent son réquisitoire contre l’impasse absolue du terrorisme et je l’ai écrit dans Match. Je ne l’ai rencontré que trois ans après, à la parution de « Ma cavale » chez Grasset. Il avait exactement mon âge, on a déjeuné dans une brasserie de l’Opéra. L’ai-je interrogé sur son passé ? Non. On ne cessait de l’y ramener, je connaissais d’avance ses réponses. On a parlé de la France, de l’Italie, de nos enfants, de la vie parisienne, de Moravia, de Buzzati, de Pier Vittorio Tondelli. On s’est revus. Il est venu dîner à la maison. Il a fait un papier dans Match sur le jour où il était devenu français. Du coup, je me suis penché sur son histoire. Et son dossier criminel. Très bizarre, ce dossier !

       La justice italienne accuse Cesare d’être mêlé à quatre meurtres commis en 1978 et 1979. Sauf qu’il a été arrêté en juin 1979 et condamné à treize ans de prison en 1981 sans que jamais, à aucun moment, on ne songe à le lier à ces crimes. A son arrestation, la police avait en outre saisi un stock d’armes dont aucune n’a servi à ces exécutions. Il fut d’ailleurs incarcéré dans une prison pour détenus non suspects de meurtres. C’est de là qu’il s’est enfui fin 1981. Fin provisoire de l’histoire jusqu’à l’arrestation en 1982 de Pietro Muti, fondateur des Pac (Prolétaires armés pour le communisme), le groupuscule de Cesare. C’est ce repenti qui a alors donné le nom de Battisti, qu’il savait réfugié au Mexique.

       La police l’appelait « le prestidigitateur ». Des versions, il en a eu plusieurs. Cesare n’en a jamais démenti aucune. Préservé (croyait-il) de la justice italienne, il n’a pas dit un mot pouvant incriminer d’autres suspects afin de se disculper lui-même. Un dossier vide et la jurisprudence Mitterrand le mettaient à l’abri. Il s’est borné au silence. Un choix qui a changé sa vie en faisant de lui un éternel proscrit, condamné par contumace en 1988 à la réclusion criminelle à perpétuité. Dans un pays, l’Italie, où la contumace n’autorise pas de nouveau procès. Et dans un pays qui avait parsemé son dossier d’accusation de pièces fabriquées, comme l’a prouvé Fred Vargas dans son livre « La vérité sur Cesare Battisti ». Pourquoi le gouvernement de Rome a-t-il usé de méthodes si perverses s’il avait un dossier tellement accablant ?

       Matteo Salvini a décrit Cesare comme un auteur à succès sifflant des caïpirinhas sur les plages de Copacabana. C’est le jour et la nuit avec la vie d’un fuyard. Depuis trente-cinq ans, Cesare n’a cessé de bivouaquer. A 30 ans, à 40, à 50, à 60, il aura toujours été en rodage. A Rio, il a d’abord découvert le commissariat central. A Paris, il connaît mieux que personne la « souricière » du palais de justice. Il a déjà fait quatre années de prison au Brésil, y a passé des mois en France… En fuite, on ne respire jamais à pleins poumons. Il a vu grandir ses deux filles, Charlène et Valentine, en pointillé. La cavale, c’est la liberté pour rien. Toute votre vie tient dans une petite valise. Rien à voir avec un road-movie à la Rimbaud. On est sans cesse sur ses gardes, contraint à un silence de plante verte pour échapper à ceux qui comptent vous enfermer à double tour, puis balancer la clé.

       On aurait voulu qu’il se jette pieds joints dans la fosse qu’on lui avait préparée. Il a tout fait pour y échapper. En vain. La victoire de Jair Bolsonaro l’a livré à l’Italie. Aujourd’hui, il est en prison en Sardaigne et il reconnaît sa participation aux quatre meurtres des années 1978 et 1979. Il présente ses excuses. Elles feront un peu de bien aux familles des victimes. Tant mieux. Pourtant, si des centaines de voix prennent ces aveux pour paroles d’Evangile, pas moi. D’abord, je n’abandonne pas le côté de celui qui est seul face à la meute.

       Ensuite, je prends avec des pincettes les phrases sorties d’un quartier de haute sécurité. Je ne confonds certainement pas ma chère Italie avec le Venezuela de Maduro, mais les paroles de prisonniers sont toujours des paroles contraintes. La fatigue, la sincérité, le découragement, les remords, la peur, les conseils des avocats… Quarante ans après les faits, beaucoup de facteurs peuvent expliquer les déclarations de Cesare. C’est un ami et ce n’est pas quand il est au bord du gouffre que je vais retirer le bras. Ses illusions sont toutes tombées. Les nôtres aussi. Reste l’espoir qu’un jour, enfin, cette merveilleuse Italie tourne la page.

    https://www.parismatch.com/Culture/Livres/Pourquoi-Cesare-Battisti-reste-mon-ami-1617560?fbclid=IwAR0B-zDBkUeKiM2KvK31BU49PdSGVjL5fLfxV_GnP_PxeSwZ-BkI6F4FYxk

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    Benoît Barvin

    « "La Mort s'ennuie car, à la fin, elle gagne toujours". Jacques Damboise in "Pensées prout"."Cet ennemi insincère me fit la mauvaise surprise de devenir mon ami". Jacques Damboise in "Pensées bof". »

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