INTOX.  La Suède a connu une croissance exceptionnelle en 2015, et ce boom serait dû, selon certains, à l’arrivée massive de migrants dans le pays. Comme les bonnes nouvelles se font rares, plusieurs médias se sont engouffrés dans la brèche ces derniers jours pour relayer l'information. Quitte à la transformer en image d’Epinal bourrée d’imprécisions. C’est une chronique de France Inter qui a lancé le phénomène médiatique. Anthony Bellanger s’y réjouit de constater un «boom économique inattendu» en Suède. Et n’hésite pas sur l’explication: «La raison de cette croissance aussi époustouflante que soudaine tient en un mot : les migrants.» Au passage, il décrit un amusant conclave d’économistes suédois qui se seraient tripatouillés les méninges pour comprendre les vraies raisons de ce boom économique.

   Une bien belle image que cette réunion d’économistes interloqués. Elle est donc reprise par tout le monde. Inter nous dit en plus qu’il a «fallu revoir toutes les statistiques et toutes les prévisions», tout comme 20 Minutes, qui en déduit que «les économistes du pays ont donc dû revoir à la hâte leurs analyses et se sont attelés à chercher des explications au phénomène». Nicolas Domenach prend le relais sur RTL ce matin, et s’étonne: «Après de longues réflexions, les économistes suédois viennent de conclure que cette croissance exceptionnelle pouvait être attribuée à la présence massive de réfugiés. Voilà qui est ébouriffant, et pourtant, en avez-vous entendu parler?»

   Car à part 20 Minutes, selon le chroniqueur, aucun média ne l'a évoqué. Il fait simplement mine d’oublier que le quotidien gratuit citait justement comme source… son concurrent France Inter. A partir de là, Konbini, la RTBF ou BFM reprennent aussi l’information. Tous en faisant comme si les chiffres de la croissance suédoise venaient de sortir, comme si les économistes suédois en avaient été abasourdis et en avaient conclu de manière claire que oui, ce boom était dû à l’arrivée des migrants.

   DÉSINTOX. A force de se reprendre les uns les autres, les médias en arrivent à donner une vision simpliste, voire complètement fausse, de l’économie scandinave. Aucune annonce n’a été faite ces derniers jours par le gouvernement suédois. En fait, la seule raison pour laquelle tous les médias français abordent cette information cette semaine, c’est parce que le chroniqueur de France Inter est tombé sur un article du site britannique The Independent, qui titrait la semaine dernière: «Comment l’immigration alimente le boom économique suédois». Il s’appuie sur les bons chiffres suédois pour remettre en perspective la politique migratoire outre-Manche, après des annonces remarquées du gouvernement britannique sur la question. Contactée par Désintox, la journaliste explique qu’elle cherchait juste à montrer qu’accueillir des travailleurs étrangers pouvait être bénéfique à l’économie. Et a utilisé pour cela des données publiées au printemps.

   Première imprécision: les Français jalousent les 4,5% de croissance suédoise «au dernier trimestre 2015». Sauf qu'il ne s'agit pas d'un chiffre de croissance trimestrielle, mais de l'augmentation prévue de l'activité sur l'année entière. The Independent précisait pourtant que le chiffre était cité «sur une base annuelle». Par ailleurs, selon la Banque mondiale, la croissance suédoise effective en 2015 s'est finalement élevée à 4,1%, soit un peu moins que la prévision. Ce qui reste, cependant 3,5 fois supérieur à la France (1,2%).

   Quant à la fameuse réunion d’économistes suédois, elle paraît plutôt fumeuse. Le chroniqueur de France Inter reconnaît qu’il a dû «exagérer un peu», mais cela n’a pas étonné ses confrères, qui ont malgré tout repris l’info telle quelle. En fait, les Scandinaves n’ont pas du tout été surpris par le chiffre de la croissance. Joakim Ruist, économiste à l’université de Göteborg, explique que celle-ci «était peut-être un peu plus élevée que ce que beaucoup prévoyaient, mais malgré tout dans une fourchette de fluctuations assez normale (...) Ce n’est donc pas quelque chose qui est très difficile à expliquer pour les économistes».

   Dire que la croissance suédoise explose «grâce» aux migrants tient donc peu la route. «Quand la population augmente, il y a une augmentation du PIB», reconnaît Anders Ekholm, de l’Institut d’études prospectives. Mais ces effets se voient sur «le long terme», précise-t-il. Lors de la publication des prévisions de croissance pour 2016, c’est plutôt l’idée qu’une croissance forte allait aider à absorber l’impact de l’arrivée des migrants et l'augmentation des dépenses qui s'en est suivie, qui a été mise en avant.

   Les chroniqueurs français, de leurs côtés, expliquent que les investissements lancés par le gouvernement pour accueillir les migrants (routes, écoles, constructions de logements...) donnent du travail aux entreprises du BTP, qui ont donc du travail à fournir aux migrants. Ces derniers bénéficiant alors d’un salaire, consomment et paient ainsi des taxes qui reviennent à l’Etat. Ce qui pourrait marcher sur le papier. Mais cette théorie n’est pour l'instant pas confirmée par les économistes suédois. Pour 2015, c’est la baisse des taux d’intérêt par la banque centrale suédoise qui a permis de lancer un plan d’investissements massifs.

   Et si le secteur du BTP a connu une embellie, la construction de nouveaux logements est en hausse depuis 2012, pas depuis le dernier flux d'arrivée des migrants. D’ailleurs, Anders Ekholm précise que «le secteur de la construction est toujours en manque de main d’œuvre». Il est donc faux de dire que le secteur a largement recruté parmi les nouveaux arrivants.

   D'ailleurs, sur les 163 000 demandeurs d’asile arrivés en 2015, moins de 27 000 ont obtenu un permis de travail et moins de 500 ont trouvé un emploi, confirme l’office suédois des migrations. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les réfugiés ne veulent pas travailler, mais simplement qu’il est difficile de trouver un emploi pour un demandeur d’asile, comme l’a déjà expliqué Désintox. Ce n’est donc pas l’arrivée des migrants qui explique la baisse du chômage en Suède. Pour les étrangers ayant obtenu un permis de résidence, il faut attendre en moyenne huit ans après leur arrivée pour que leur taux d’emploi atteigne 50%...

   Reste qu'en lançant, grâce à des taux faibles, des dépenses publiques pour accueillir les migrants, le gouvernements a effectivement stimulé l'économie. Mais aucun économiste contacté par Désintox n'a pu confirmer que cette piste était la seule responsable du boom économique suédois. «Ces nouvelles arrivées entraînent une hausse des dépenses publiques qui doivent être financées par des prêts qui devront être remboursés», insiste Joakim Ruist.

   Enfin, l'admiration des médias français survient un peu tardivement. Plusieurs mois après la publication de ces chiffres, la Suède a fait volte-face dans sa politique d’accueil des migrants et la croissance en 2016 commence à ralentir.

http://www.liberation.fr/desintox/2016/10/12/la-croissance-suedoise-explose-grace-aux-migrants-pas-si-simple_1521421