• "La Fugue de Bach fit jaser". Jacques Damboise in "Pensées à contre-pet"

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (SOIS LE BRUIT DE LA PLUIE,
    LE VENT DANS LES ARBRES,
    LE PÉPIEMENT DES OISEAUX.
    SOIS LA VIE, TOUT SIMPLEMENT)


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    COURTS RÉCITS AU LONG COURS(30)
    pcc Benoît Barvin



    crime busters 1938
    philsp.com


    Transmutation

       "T'es qui toi?" me demanda-t-il aigrement. Je lui rappelai qu'il avait un fils et que je venais voir comment il allait. "T'es pas mon fils. Mon fils, il a pas les cheveux blancs". C'était bizarre de l'entendre me parler de cette voix chargée, un peu cassée, tout en me dévisageant avec un oeil rond d'oiseau de proie prêt à m'énucléer. Je m'écartai prudemment de lui afin de redonner sens à notre mutuel espace vital. 
       Chaque jour un peu plus la maladie rongeait le cerveau de mon père, sans reflux, submergeant peu à peu son entendement. Sous peu il ne se souviendrait plus de moi, m’appellerait "Monsieur"... 
       "Si mes cheveux sont devenus blancs, c'est parce que j'ai dépassé la quarantaine et toi, tu as...". "Chut! fit-il en mettant un doigt impérieux sur ses lèvres desséchées. Chut, ne dis pas mon âge! On ne dévoile pas l'âge d'une dame, voyons! Qu'est-ce qu'on t'a appris à l'Ecole, hein?". 
       Je restai un instant décontenancé, me demandant ce qui se passait dans ce pâteux ramollissement cérébral et les raisons qui le poussaient à s'identifier à une femme. Puis j'eus une illumination: mon père, perdant ses repères, commençait à s'identifier à son épouse, ma mère, décédée cinq ans plus tôt, dans une bête chute. D'ailleurs, il imitait maintenant la moue qu'elle faisait, en avançant les lèvres, la bouche en cul de poule. 
       Je compris alors ce qu'avait voulu signifier l'auxiliaire de vie quand, au téléphone, elle avait dit, gênée: "Vous verrez... Il est, heu, comment dire? Différent... Voilà, c'est ça, différent".
       Imaginer mon père en travesti, même en raison de la maladie, avait un goût de revanche. Il n'avait jamais accepté ma propre différence, me chassant de "chez lui" et refusant désormais tout contact. Seule ma mère avait fait le lien, en soupirant à chaque fois, comme si j'étais englué dans une tare abominable.  Pire qu'un cancer. Et voilà qu'à présent lui aussi était passé de l'autre côté de la Force... La Vie était vraiment bouffonne.
       "Si tu nous faisais du thé? minauda-t-il. J'adore ça". Mon "vrai" père, lui, détestait cette boisson de "gonzesse". Le ridicule avait un goût de vengeance que je commençais à goûter avec délectation. Je préparai la collation, un sourire aux lèvres, alors que mon père chantonnait, tout en époussetant les meubles... Vraiment ridicule...
       Puis il s'approcha de moi, à petits pas, alors que le thé infusait et que je disposais des gâteaux crémeux sur de jolies assiettes festonnées. Il me prit par le cou, me dit à l'oreille, si bas que j'eus du mal à l'entendre: "Et si l'on s'amusait tous les deux?".
       J'eus un hoquet de stupeur. Comment mon père avait-il deviné que Maman et moi, alors que j'étais jeune... Qu'elle m'avait forcé plusieurs fois... Comment savait-il?
       Un cocktail détonnant de honte, d'angoisse et de rage me submergea. Je le repoussai avec une telle violence qu'il tomba lourdement à terre. Tout recommençait: les gestes infâmes; la colère qui enfle en soi au cours des années; puis l'explosion, un soir, cinq ans en arrière, alors que des lèvres s'approchent des vôtres et que vous ne voulez plus céder, oh ça non, plus jamais
       Tout recommençait, presque à l'identique. Cette fois encore, personne ne me soupçonnerait. Moi, déjà matricide, je deviendrais parricide à mon corps défendant. Et la petite fortune de mes parents allait enfin me revenir...
       Incapable de se relever, mon père m'observa, l'air hagard, alors que je me penchais sur lui, tenant la bouilloire d'une main ferme, la haine faisant bouillir mes veines et anéantissant tout jugement.
       "Je crois, Pa', que le thé est bon à boire... Tu veux goûter?"
       Je crus le voir esquisser un sale sourire. 
       Notre sort à tous deux était scellé.

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    Brr... Changeons vite de registre:

       Pour celles et ceux qui ne s'en souviendraient pas, "The Lady Is a Tramp" est une chanson tirée de la comédie musicale Babes in Arms. Elle fut écrite par Lorenz Hart et composée par Richard Rodgers en 1937. Cette chanson fut notamment chantée par Frank Sinatra et Ella Fitzgerald dans les années 50.
       Nous avons choisi la version personnelle de Nina Hagen, la Diva rock qui a toujours un bel abattage, suivie par Tony Bennett et Lady Gaga. La seconde, bon, pas besoin d'en dire grand chose - si ce n'est que son interprétation est classieuse. 
       Quant à Tony Bennett, né en 1926, c'est un des grands du jazz et de la pop qui en impose toujours. Dernière interprétation, celle plus ancienne de Buddy Greco. Né la même année que Tony Bennett, c'est également un classique du jazz et un pianiste de grande finesse. Son interprétation nous plaît particulièrement...

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    Nina Hagen - The Lady Is A Tramp


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    Tony Bennett ft. Lady Gaga - The Lady Is A Tramp (Full Song)


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    Buddy Greco / The Lady is a Tramp



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    The lady is a tramp

    She gets too hungry for dinner at eight
    She likes the theater and never comes late
    She never bothers with people she'd hate
    That's why the lady is a tramp

    Doesn't like crap games with barons or earls
    Won't go to Harlem in ermine and pearls
    Won't dish the dirt with the rest of the girls
    That's why the lady is a tramp

    She likes the free, fresh wind in her hair
    Life without care
    She's broke, and it's okay
    Hates California, it's cold and it's damp 
    That's why the lady is a tramp

    She gets too hungry to wait for dinner at eight
    She loves the theater but never comes late
    She'd never bother with people she'd hate
    That's why the lady is a tramp

    She'll have no crap games with sharpies and frauds
    And she won't go to Harlem in Lincolns and Fords
    And she won't dish the dirt with the rest of the broads
    That's why the lady is a tramp

    She loves the free, fresh wind in her hair
    Life without care
    She's broke, but it's okay
    Hates California, it's so cold and so damp
    That's why the lady
    That's why the lady
    That's why the lady is a tramp 

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    Nadine Estrella 
    (en souvenir d'un père qui adorait avec raison ces standards jazz)
    « "La fille qui disait toujours non, le jour de son mariage, fut bien embêtée". Jacques Damboise in "Pensées, mais pas trop""Cette femme voilée était, en secret, à voile et à vapeur". Benoît Barvin in "Pensées pensées" »

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