En avril 2016, au pic de l’épidémie d’opioïdes, une loi votée par le Congrès américain a privé la Drug Enforcement Agency (DEA, agence fédérale de lutte contre le trafic de drogue) de “sa plus puissante arme contre les entreprises pharmaceutiques soupçonnées d’inonder le marché avec leurs opioïdes sur ordonnance”, souligne le Washington Post dans une enquête à charge contre l’industrie pharmaceutique publiée ce week-end.

   À cette date (avril 2016), la “guerre des opioïdes” avait déjà fait 200 000 morts par overdose, “soit plus de trois fois le nombre de militaires américains tués pendant la guerre du Vietnam”, note le journal. Et l’épidémie est loin d’être terminée. Cette loi favorable au secteur pharmaceutique a été “le point d’orgue d’une campagne multifacettes orchestrée par l’industrie du médicament” pour entraver le combat mené par la DEA contre les distributeurs et les grossistes en médicaments qui fournissaient médecins et pharmaciens véreux, lesquels, à leur tour, inondaient le marché noir avec ces pilules.

   L’industrie a travaillé en coulisses avec ses lobbyistes et en ciblant des membres clés du Congrès, “dépensant plus de 1 million de dollars pour arriver à ses fins”, explique le journal. Pire encore, le plus ardent défenseur de cette loi votée en avril 2016 était le député républicain Tom Marino, censé devenir “le futur tsar de la lutte antidrogue de la Maison-Blanche” : l’homme nommé par Trump à la tête du Bureau chargé de la politique nationale de lutte contre la drogue (Office of National Drug Control Policy).

   Le 17 octobre, soit deux jours après la parution de l’enquête, Trump a annoncé sur twitter que Tom Marino avait finalement décidé de ne plus briguer ce poste. L’enquête détaille comment la DEA a tenté de lutter depuis le milieu des années 2000 contre l’épidémie d’opioïdes en traquant dans un premier temps les officines pharmaceutiques sur Internet, puis les Pain Management Clinics (“cliniques” antidouleur) établies en Floride où venaient s’approvisionner patients et trafiquants de tout le pays en empruntant l’Oxy-Express (l’autoroute des opioïdes).

   La DEA a, enfin, concentré ses efforts sur les distributeurs et grossistes en médicaments en surveillant et en bloquant certaines de leurs livraisons les plus importantes. Ces méthodes offensives de la DEA, guère prisées de l’industrie pharmaceutique, ont alors poussé fabricants et distributeurs de médicaments à s’organiser pour contre-attaquer et faire voter au Congrès une loi protégeant leurs intérêts. (...)

   (...) Le Washington Post met également le doigt sur la porosité entre la DEA et l’industrie pharmaceutique, détaillant le nombre d’employés de l’agence antidrogue partis émarger dans l’univers du médicament.

   Depuis que la DEA a commencé à s’attaquer à la question des opioïdes, il y a une dizaine d’années, les laboratoires pharmaceutiques et les cabinets d’avocats qui les représentent ont débauché au moins 46 employés de la DEA, dont 32 travaillaient dans la division de régulation de l’industrie du médicament.” (...)

   (...) Aujourd’hui, l’industrie pharmaceutique fait l’objet de poursuites de la part d’avocats spécialisés mais également au niveau des États puisque “41 procureurs généraux ont uni leurs efforts pour enquêter sur le secteur”, note le Washington Post. Et, à travers le pays, des centaines “de comtés, de grandes et de petites villes ont lancé des poursuites contre l’industrie”.

   Pour conclure son enquête, le Washington Post s’est d’ailleurs rendu sur le terrain dans le petit comté de Lycoming, soit une partie de la circonscription du député républicain Tom Marino, dans le nord-est de la Pennsylvanie. Depuis 2014, l’année où le député a introduit son premier projet de loi destiné à protéger les intérêts de l’industrie pharmaceutique, “106 habitants du comté sont morts à cause des opioïdes”. Et cet été, “en l’espace de six jours, 53 personnes y ont été victimes d’une overdose et trois en sont décédés”, conclut le journal. (...)

   (...) Publiée le 15 octobre sur le site du Washington Post et diffusée le même jour dans le magazine d’information 60 Minutes de la chaîne CBS, l’enquête a provoqué une onde de choc à Washington.

   Le 16 octobre, Donald Trump a déclaré qu’il allait décréter “l’état d’urgence national”la semaine prochaine (une promesse qu’il avait déjà tenue au mois d’août avant de changer d’avis). Et le 17 octobre le président américain a déclaré sur twitter : “Le député Tom Marino m’a informé qu’il ne briguait plus le poste de ‘Tsar de la drogue’. Tom est un homme bien et un formidable député”.