Poulehouse se distingue une nouvelle fois. Cette ferme-pilote du Limousin avait déjà offert une seconde vie aux poules pondeuses : loin des cages de la filière industrielle où elles partent à l’abattoir après dix-huit mois de production intensive, les cocottes récupérées par Poulehouse pondent en plein air et meurent de leur belle mort. Depuis son lancement en septembre 2017, «l’œuf qui ne tue pas la poule» a atteint la barre des 2 millions d’unités vendues, malgré un prix élevé (1 euro pièce). Désormais, cette start-up en pleine croissance s’engage dans un autre défi : le sexage dans l’œuf.

   Grâce à un procédé développé en Allemagne par la société Seleggt, il est en effet possible de connaître le sexe du poussin dès le neuvième jour d’incubation. Il suffit de pratiquer un petit trou au laser dans la coquille puis de prélever une goutte de liquide, laquelle est ensuite mise en contact avec un principe réactif qui permet de déterminer le sexe. La membrane de l’œuf se reconstitue en quelques heures. Ce sexage permet de ne conserver que des femelles, les mâles étant inutiles dans la filière des poules pondeuses.

   Poulehouse a reçu en avril un millier de poussins sélectionnés grâce à cette technique ; ces poulettes seront prêtes à pondre à la rentrée. Les consommateurs pourront donc, pour la première fois en France, acheter des œufs issus d’une filière où, en amont, aucun poussin n’a été broyé. Car dans le système actuel, les poussins sont triés manuellement quelques heures après leur naissance ; considérés comme des déchets, les mâles sont broyés vivants (parfois gazés). La pratique s’avère identique quels que soient les œufs : conventionnels, bio ou label rouge. Chaque année en France, 50 millions de poussins sont ainsi tués dans les couvoirs industriels (1).

   «Au travers de cette innovation commerciale, nous voulons avant tout lancer le débat en France et montrer que le broyage des poussins n’est plus incontournable», plaide Fabien Sauleman, président de Poulehouse. L’association Welfarm, qui soutient cette démarche, espère elle aussi que le «sexage in ovo» se développera rapidement : «La société Seleggt propose d’installer gratuitement sa technologie dans les couvoirs français intéressés. En contrepartie, elle se rémunère sur l’apposition de son logo Respeggt», explique Laurène Jacquet, responsable du pôle campagne chez Welfarm.

   Chez les acteurs du bien-être animal, certains s’interrogent : où en sont les recherches françaises sur le sexage ? Dès 2015, le ministère de l’Agriculture annonçait en effet que différentes «hypothèses de travail»étaient «en cours d’analyse». En mars 2016, l’entreprise française Tronico figurait parmi les lauréats du «programme d’investissements d’avenir» pour son projet de sexage dans l’œuf, empochant au passage une enveloppe de 4,3 millions d’euros de l’Etat. Tronico prévoyait alors le développement d’un prototype pour 2017 ; force est de constater que ce projet n’a pas encore abouti. «Ça avance, nous sommes optimistes,assure Patrick Collet, directeur général de Tronico. Notre prototype pourrait être prêt fin 2019 et si nous parvenons à passer cette étape, nous serons opérationnels une année plus tard.»

   Le broyage des poussins avait été évoqué lors des débats sur la loi alimentation, mais les amendements visant à interdire cette pratique avaient été sèchement repoussés. Certains parlementaires avaient toutefois profité de cette occasion pour condamner le broyage. Parmi eux, le sénateur socialiste Henri Cabanel estimait que «faire naître des animaux pour les tuer à leur naissance n’est ni éthiquement acceptable ni économiquement rentable».

   (1) Dans la filière du foie gras, 35 millions de canetons femelles, jugées moins «performantes», sont également broyées chaque année.