C’est une enquête qui fait froid dans le dos. Elle revient sur les années de torture et les séances d’interrogatoires musclés infligées par la CIA et l’armée américaine aux détenus de la guerre contre le terrorisme.  

   Après les attentats du 11 septembre 2001, sous la présidence de George W. Bush, les juristes du gouvernement et les agents du renseignement savaient que les traitements qu’ils allaient infliger aux personnes suspectées de terrorisme seraient douloureux et choquants. Mais aucune des méthodes employées, conclurent-ils, ne causerait de troubles psychologiques à long terme”, souligne le New York Times. Quinze ans plus tard, “il est clair qu’ils avaient tort”.  

   Pour cette enquête, le quotidien a interrogé plus de cent personnes : détenus, médecins et psychologues militaires, responsables de détention. Ses journalistes ont également compulsé les dossiers médicaux des détenus et les comptes rendus d’interrogatoires et de procès – lorsqu’ils existent.  (...)

    (...) Ce sont les témoignages d’anciens détenus ou de membres de leurs familles qui sont les plus éloquents. Ils détaillent non seulement les sévices qu’ils ont subis – simulation de noyade, douche glacée, privation sensorielle, passage à tabac, chantage et humiliation –, mais ils expliquent également les maux dont ils souffrent aujourd’hui : dépression, cauchemars, crises d’angoisse, syndrome de stress post-traumatique et parfois même des séquelles physiques – comme des lésions au cerveau – liées à la brutalité des traitements qu’ils ont subis.  

    "Aujourd’hui installé en Slovaquie, Hussein Al-Marfadi décrit des maux de tête permanents et un sommeil perturbé, empoisonné par le souvenir de chiens à l’intérieur de sa sombre cellule. Au Kazakhstan, Lotfi Ben Ali est hanté par des cauchemars où il suffoque au fond d’un puits. En Libye, la moindre musique s’échappant de la radio d’une voiture met Majid Mokhtar Sasy Al-Maghrebi dans tous ses états. Cela lui remémore les séances de torture musicale qu’il a subies dans les geôles de la CIA.”

   Tous ces ex-détenus ont aujourd’hui du mal à rebondir, vivent dans la peur, ne font plus confiance à personne. Certains sont devenus agressifs, d’autres renfermés sur eux-mêmes. Ils partagent tous la même douleur et leurs proches ne les reconnaissent plus. “Aujourd’hui, Monsieur Ben Soud, 47 ans, est un homme libre, mais il a en permanence peur du lendemain. ‘Papa, pourquoi te mets-tu soudainement en colère ?’ lui demandent ses enfants.” Ses réactions sont méconnaissables, l’angoisse a envahi son quotidien. (...)

    (...) “Nombre de ces hommes ont été libérés sans jamais avoir été accusés, et sans même savoir pourquoi ils ont été emprisonnés par la CIA ou à Guantánamo”, souligne le journal.

   Khaled El-Masri, un citoyen allemand, est l’un d’entre eux. Les autorités macédoniennes l’ont arrêté alors qu’il était en vacances en 2003. Il dit avoir été battu, déshabillé de force, violenté et envoyé par avion dans une prison secrète de la CIA en Afghanistan. Il a été détenu pendant des mois dans une cellule en béton sans lit. Des mois durant lesquels les passages à tabac et les interrogatoires se sont succédé. Aujourd’hui, il souffre au quotidien de troubles psychologiques importants. “J’ai des absences, je souffre d’amnésie ainsi que de dépression”,témoigne-t-il.  

   Interviewé par le journal new-yorkais, le contre-amiral Peter J. Clarke, actuel commandant du centre de détention de Guantánamo, nie tout trouble psychologique parmi les 61 prisonniers encore détenus sur la base américaine.“J’observe des détenus qui sont très bien adaptés et je ne vois rien qui puisse évoquer des séquelles de ce qui a pu leur arriver par le passé”, explique-t-il.

   Et puis il y a le cas de Salih Hadeeyah Al-Daeiki un ancien détenu libyen qui a survécu aux interrogatoires de la CIA dans la prison secrète dite de la “mine de sel” en Afghanistan. Il vit aujourd’hui en Libye, “souffre de trous de mémoire, confond le nom de ses enfants, éprouve parfois le besoin de s’isoler de sa famille pour se retrouver seul”. Il dit avoir subi des humiliations avoir été “enfermé nu, enchaîné au mur, assommé par de la musique assourdissante”.  

   L’année dernière, une vidéo a fait surface dans laquelle on peut voir Saadi Kadhafi, le fils de l’ancien dictateur libyen, avec un bandeau sur les yeux, attaché sur un fauteuil et contraint d’écouter ce qui semble être les cris de ses codétenus d’Al-Hadba, la prison où sont enfermés les membres de l’ancien régime libyen. Toujours sur la vidéo, on peut voir un homme frapper la plante des pieds du détenu, puis Salih Hadeeyah Al-Daeiki apparaît à l’écran. “Ce sévice était inutile”, reconnaît-il, mais il n’a rien fait pour l’arrêter. “L’objectif était de soutirer des informations au fils du dictateur, d’éviter un bain de sang”… Salih Hadeeyah Al-Daeiki est passé de l’autre côté. Désormais, “c’était lui qui menait les interrogatoires”, conclut le New York Times.