Trump promet que ce sera “la plus grande baisse d’impôts de l’histoire du pays”. Paul Krugman, le Prix Nobel d’économie et chroniqueur du New York Times, y voit plutôt “la plus grosse arnaque fiscale de l’histoire”. La réforme fiscale qui pourrait être votée par le Sénat ce vendredi 1er décembre est de première importance et divise profondément le pays. Elle est aussi un test à échelle géante de la théorie du “ruissellement”, qui veut que les revenus des plus riches tirent l’économie.

   Si Trump a obtenu quelques succès depuis son élection (comme la nomination du juge Neil Gorsuch à la Cour suprême), le Congrès, pourtant dominé par les républicains, n’a voté aucune grande mesure de son programme. L’abrogation de l’Obamacare, la réforme de la santé de Barack Obama, a échoué à de multiples reprises. Aujourd’hui, écrit The New York Times, les républicains ont à portée de main “leur premier vrai succès législatif de l’ère Trump”.

   Le Sénat a commencé l’examen d’un texte qui “réduirait les impôts de 1 500 milliards de dollars sur dix ans, transformerait le code fiscal pour les entreprises et acterait de grands changements dans l’imposition des particuliers”résume le journal new-yorkais. Le taux d’impôt pour les entreprises serait notamment ramené à 20 %, contre 35 % actuellement.

   Les sénateurs doivent voter ce vendredi. Mais, alors que les voix nécessaires semblaient en passe d’être acquises, les leaders républicains se voient forcés d’amender le texte pour convaincre des élus réticents face à la perspective d’une hausse du déficit budgétaire, signale Politico.

   Si le texte est approuvé, il devra ensuite être accepté par la Chambre des représentants (qui a déjà voté son propre texte le 16 novembre) ou faire l’objet d’une négociation entre les deux chambres du Congrès. Les républicains, qui ont utilisé une procédure accélérée dite de “réconciliation”, veulent que la loi soit envoyée au président avant Noël.

   The New York Times, entre autres, dénonce le caractère précipité des débats sur une loi fourre-tout, qui pourrait affecter de nombreux aspects de la vie aux États-Unis, dont la santé, l’éducation ou les services sociaux. “Le Sénat s’empresse de passer son projet de loi fiscale parce qu’il pue”écrit le journal en titre de son édito. Les républicains l’assurent : les réductions d’impôts vont tirer la croissance américaine, qui dépassera durablement les 3 %. Les entreprises, profitant de cette bouffée d’air dans leurs comptes, vont augmenter leurs investissements, leurs embauches et les salaires de leurs employés.

   Comme le note le Financial Times, c’est le retour de la théorie du “ruissellement” (trickle-down en anglais) de la richesse dans l’économie. Selon cette théorie, l’argent gagné par les plus riches et par les entreprises, placé dans des investissements productifs et dépensé, tire l’ensemble de l’activité économique et bénéficie in fine à tous. L’ancien leader républicain au Sénat, Trent Lott, déclare :

   “Je pense que si l’on ramène le taux d’impôt sur les entreprises à son juste niveau, si l’on baisse les impôts sur les particuliers et si les petites entreprises ne sont pas oubliées, nous aurons une explosion de la croissance. C’est arrivé après Kennedy, Reagan et Clinton.” Peu d’économistes sont convaincus par ce scénario. “Dans un récent sondage de l’université de Chicago, sur 38 économistes connus et issus de tout le spectre idéologique, un seul affirmait que les coupes d’impôts engendreraient une croissance économique significative”, explique The New York Times.

   Beaucoup voient cette réforme comme un simple “transfert de richesse aux entreprises et aux riches particuliers”, écrit le quotidien new-yorkais. De fait, “selon le Tax Policy Center – un think tank –, 60 % des bénéfices de la réforme iraient dans la poche des 1 % qui gagnent le plus”, note le Financial Times.

   En outre, les économistes s’inquiètent eux aussi de la hausse du déficit budgétaire fédéral, qui “contrebalancera les effets bénéfiques”, indique Alan Auerbach, de l’université de Californie à Berkeley. Pour l’économiste William Cline, du Peterson Institute for International Economics (un autre think tank), l’histoire ne plaide pas non plus en faveur de la théorie du “ruissellement”. “Il y a eu une forte réduction du taux d’impôt légal sur les entreprises, d’environ 50 % dans les années 1960 et 1970 à environ 35 % en 1988, mais peu de réponse au niveau du taux d’investissement des entreprises”, résume notamment le Financial Times.

   Les experts ne sont pas les seuls à être sceptiques. “Je n’ai pas l’impression que ce soit une réduction d’impôts pour les classes moyennes – c’est juste pour les riches”, déclare au Financial Times Roy Padilla, qui travaille à la plonge dans un hôtel de Las Vegas.

   D’après un sondage réalisé à la mi-novembre par l’université Quinnipiac, 16 % seulement des Américains s’attendent à une baisse de leurs impôts, et 61 % estiment que ce sont surtout les riches qui en bénéficieront. Et ce malgré les sommes dépensées par de gros lobbies dans des campagnes publicitaires et des appels aux électeurs dans certains États, précise le journal britannique. “Le ruissellement économique, ça ne marche pas”, tranche Casey Jones, fondateur d’une brasserie en Virginie. “Quoi qu’il advienne de la réforme fiscale, il n’en résultera pas un investissement significatif pour les entreprises. En général, ça débouche sur une distribution significative [de bénéfices] aux actionnaires.”

https://www.courrierinternational.com/article/moins-dimpots-plus-de-croissance-le-ruissellement-lepreuve-aux-etats-unis