• "Exaspéré par ce supermarché du Malheur, le vendeur de Bonheur l'incendia". Jacques Damboise in "Pensées bof".

    ***

    Pensées pour nous-mêmes:

    (SUR CETTE TERRE

    IL Y A UNE AVALANCHE

    DE QUESTIONS

    SANS RÉPONSES)

    ***

     "Heu... Chapeau?

    - Non, simple abat-jour, crétin!"

    wehadfacesthen:

    Model in a Charles James hat, photo by Norman Parkinson, 1952

    ***

    http://www.bdnet.com/catalogue_detail_La-Petite-Philo-de-

    Mafalda-La-Guerre-et-la-Paix--9782344000540

    Dieu ! que la guerre est jolie,

    que sont beaux les profits

    PERSONNE

       « La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais qui ne se massacrent pas » (Paul Valéry)

       « Les peuples que nous méprisons pour leur barbarie ne nous connaissent encore que par nos crimes. Pourtant ces navigations, ces explorations, tentées dans un esprit de cupidité féroce, ces voies de terre et de mer ouvertes aux conquérants, aux aventuriers, aux chasseurs d’hommes et aux marchands d’hommes, ces colonisations exterminatrices, ce mouvement brutal qui porta et qui porte encore une moitié de l’humanité à détruire l’autre moitié, ce sont les conditions fatales d’un nouveau progrès de la civilisation et les moyens terribles qui, peut-être, auront préparé, pour un avenir encore indéterminé, la paix du monde. Cette fois, c’est la terre entière qui se trouve amenée vers un état comparable, malgré d’énormes dissemblances, à l’état de l’empire romain sous Auguste. La paix romaine fut l’œuvre de la conquête.

       La paix universelle ne se réalisera pas assurément par les mêmes moyens. Nul empire aujourd’hui ne peut prétendre à l’hégémonie des terres et des océans qui couvrent le globe enfin connu et mesuré. Mais, pour être moins apparents que ceux de la domination politique et militaire, les liens qui commencent à unir l’humanité tout entière et non plus une partie de l’humanité n’en sont pas moins réels ; ils sont à la fois plus souples et plus solides ; ils sont plus intimes et variés infiniment puisqu’ils s’attachent, à travers les fictions de la vie publique, aux réalités de la vie sociale. La multiplicité croissante des communications et des échanges, la solidarité forcée des marchés financiers et des marchés commerciaux de l’univers, la rapide croissance du socialisme international, semblent devoir assurer tôt ou tard l’union des peuples de tous les continents. 

       Si, à cette heure, l’esprit impérialiste des grands États et les ambitions superbes des nations armées paraissent démentir ces prévisions et condamner ces espérances, on s’aperçoit qu’en réalité le nationalisme moderne n’est qu’une aspiration confuse vers une union de plus en plus vaste des intelligences et des volontés et que le rêve d’une plus grande Angleterre, d’une plus grande Allemagne, d’une plus grande Amérique conduit, quoi qu’on veuille et quoi qu’on fasse, au rêve d’une plus grande humanité et à l’association des peuples et des races pour l’exploitation en commun des richesses de la terre. Il y aura sans doute encore des guerres, et les instincts féroces unis aux convoitises naturelles qui ont troublé le monde durant tant de siècles le troubleront encore.

       Jusqu’à présent les immenses masses humaines qui tendent à se former n’ont pas trouvé leur assiette et leur équilibre, la pénétration réciproque des peuples n’est pas assez méthodique pour assurer le bien-être commun par la liberté et la facilité des échanges, l’homme n’est pas devenu partout respectable à l’homme, toutes les parties de l’humanité ne sont pas près de s’associer pour former les cellules et les organes d’un même corps. Il ne sera pas donné, même aux plus jeunes d’entre nous, de voir se clore l’ère des armes. Mais, ces temps meilleurs que nous ne connaîtrons pas, nous les pressentons. » (La guerre, Anatole France, l’Humanité du 23 avril 1904 ) [1]

       L’article de l’Humanité se terminait par : « Nous croyons que la paix générale sera possible un jour, non parce que les hommes deviendront meilleurs (ce qu’il serait chimérique d’espérer) mais parce qu’un nouvel ordre de choses, une science nouvelle et des nécessités économiques nouvelles leur imposeront l’état pacifique, comme autrefois les conditions mêmes de leur existence les plaçaient et les maintenaient dans l’état de guerre. Cet espoir, que la raison nous permet, contente nos sentiments d’humanité et de fraternité. »

       Pour l’heure, c’est encore : Dieu ! que la guerre est jolie, que sont beaux les profits. Quand j’écris cela, je pense forcément à la guerre moderne, voire futuriste. Tout le génie humain, toute la science d’homo sapiens s’exprime ainsi dans ces concentrés de techniques que sont les armes modernes. Nous sommes aux antipodes de ces guerres sales, sanglantes d’antan, où les baïonnettes fouillaient les entrailles (« la baïonnette [était] une arme avec un travailleur à chaque extrémité »). Maintenant, la mort doit être plus douce. En tout cas, elle semble abstraite, comme si on se contentait d’effacer l’adversaire.

       Notre totem national, le gallinacé tricolore peut être fier sur son monticule : d’un tas de cadavres, on fait un tas d’or, nous avons trouvé la pierre philosophale. Notre savoir-faire s’exporte très bien, de mieux en mieux. Bon d’accord, nous ne sommes pas très regardant sur les qualités intrinsèques des clients. De toute façon, la première qualité du client, c’est sa solvabilité, comme la première de nos libertés serait la sécurité. De plus, nous dégageons toute responsabilité sur l’usage des armes vendues : qui a dit qu’elles sont nécessairement manufacturées, puis vendues pour être utilisées, sur des civils de surcroît ? Et puis, si nous ne sommes pas les vendeurs, des concurrents sont prêts à satisfaire la demande, non ? C’est la loi du marché, n’est-ce pas ?

       Quoi ? Vous vous offusquez de l’absence de scrupules ? Dans le monde merveilleux des affaires, et a fortiori celui des armes, la notion, le concept de scrupule sont inconnus. Seuls comptent le chiffre d’affaires, la rentabilité, le tout avec un soupçon de commissions et de rétro-commissions. Les guerres sont devenues de basse intensité, mais de haute technicité, il faut vivre avec son temps. On ne tue plus, enfin moins, disons le moins possible, on se contente de « neutraliser des cibles » : c’est dire que l’on se soucie de la vie, non ?

       C’est difficile de complaire à tout le monde : s’il y a des bavures, c’est pas not’ faute. C’est pas not’ faute si le Bien agit parfois mal, c’est la faute du Mal qui ne se comporte pas bien. Quoi encore ? Vous n’êtes pas d’accord ? Vous grimacez ?

       Il y a les guerres conventionnelles.  Il y a les guerres par procuration quand le Bien manœuvre dans l’ombre afin que les Maux s’annihilent (guerre Iran-Irak). Il y a les guerres dissymétriques quand la force est du côté du Bien, et que les macchabées sont -à compter ou non, peu nous en chaut- de l’autre côté (guerres du Golfe).

       Comme la dissymétrie comporte encore trop de risques pour notre monde où tout est aseptisé, on en vient aux actions militaires à distance, même si ces dernières mettent à mal la virilité, le courage, l’abnégation, la mâle vertu du guerrier : le soldat est de plus en plus éloigné du « théâtre des opérations » car on opère de plus en plus par « frappes chirurgicales ». Associer éthique et guerre semble toujours surprenant, mais il faut bien mettre une limite à toute chose : que penser de l’usage des drones armés pour « neutraliser des cibles » ? Le jus in bello (le droit dans la guerre) est-il respecté ? C’est pas si sûr !

       Pour lever le doute, il est toujours loisible de qualifier l’adversaire de « combattant illégal » pour s’affranchir de toute règle. Dites-vous que tout sera fait pour éviter des « dégâts collatéraux » excessifs. Certes, si nous nous placions un instant de l’autre côté et que nous survivions à l’un d’eux, nous crierions à la lâcheté et à la vengeance, sentiments renforcés à la vue d’un Occident indifférent qui fait bombance, non ? À l’évidence, la question ne se pose pas car nous sommes du bon côté ! C’est ainsi que le Bien triomphera du Mal : si le sang coule là-bas, il abreuve nos milliards ici.

    http://www.alorsquoidefun.fr/2014/07/08/vide-en-paix-israel/

       Les temps changent. Bien calé dans un fauteuil rembourré, à l’abri des intempéries, dans une atmosphère contrôlée, on peut donner la mort à distance, comme dans un jeu vidéo avec l’adrénaline en plus. Il faut que le Bien se tienne éloigné du Mal pour éviter toute contagion. La mort, la violence ne sont plus que des notions abstraites, virtuelles. L’adversaire perd la vie comme si toute humanité lui était déjà déniée. On peut même faire des extras, je ne parle pas des exécutions extra-judiciaires, non, mais se défouler sur cet inconnu, sur cette cible mouvante qui n’est déjà plus... dispersée façon puzzle. Dieu ! que la vie est belle. L’instant d’après, le forfait accompli, le Mal anéanti, retour paisible à la vie civile, à la famille... C’est réjouissant d’être du bon côté !

       Il n’est pas besoin de jouer les vierges effarouchées. Moi, si j’avais l’occasion de rencontrer un Yéménite, je lui dirais : « si tu ne peux venir en France pour trouver refuge, rassure-toi, le génie français ira à toi » (c’est étrange, je me surprends à tutoyer aussi facilement ceux qui ne me ressemblent pas, comme si le mauvais exemple du « deus ex machina » était contagieux). Dois-je rappeler que le secteur militaro-industriel concernera, cette année, 200 000 salariés en France (+ 40 000 en deux ans, selon les prévisions) ? Ici, les emplois ; là-bas, les... les clients et les destinataires.

       Ce n’est pas de notre faute, si nous avons la compassion sélective : nos quelques morts, ici, sont plus importants que les hécatombes hors de nos frontières. Le bon sens ne nous enseigne-t-il pas « loin des yeux, loin du cœur » ? Et puis, il y a ces « terroristes » à neutraliser, non ? Certes, « terroriste » est un vocable bien commode, qui dispense de réfléchir, de penser la violence, la répression, le « terrorisme » d’État et du capitalisme, de comprendre qui finance, qui arme les bras meurtriers. Un mot utile donc qui dispense de se souvenir du réseau Gladio, de l’opération Condor, du Rainbow Warrior, des « corvées de bois », ..., de l’affaire Ustica, ..., des missiles Stinger livrés aux Talibans.

       Parfois, la créature se retourne contre l’un de ses créateurs : il faut neutraliser la « chose » ; le pyromane revêt alors sa tenue honorable de sapeur-pompier... Dites-vous que tous les coups (tordus) sont permis sous couvert de secret défense, de secret d’État. « Terrorisme » est devenu cet élément de langage efficace qui participe grandement à la manipulation des masses : qualifier l’adversaire de « terroriste » permet de le disqualifier au premier coup, sans autre forme de procès et permet, dans la foulée, d’absoudre nos propres crimes. Il y aurait donc la violence légitime d’un côté et de l’autre côté, la violence « terroriste » illégitime : une dichotomie bien pratique, une représentation bien trop binaire pour être honnête.

       Et puis, nos armes redoutables ne sont que des vecteurs de Paix, les émissaires de nos prétendues valeurs occidentales que le Monde entier nous envie assurément : en face, il y a le barbare, cet autre à instrumentaliser ( il lui arrive même de faire du « bon boulot ») et/ou à neutraliser.

       « On fait pas d’omelette sans casser des œufs » ! Les effets secondaires, les « dégâts collatéraux » ne sont que les conséquences inévitables de tout traitement qui vise à extirper le Mal. Ils sont assurément de peu d’importance eu égard aux résultats (« s’il faut en passer par là... », comme avait dit la représentante d’une grande et belle démocratie, dans une saillie « toute lumineuse »). Et puis, est-ce qu’une vie de misère au loin mérite d’être vraiment vécue, d’être endurée ? On peut se le demander à l’aune de nos critères. Les humains sont égaux, d’accord, mais ils sont égaux au prorata de leur pouvoir d’achat (« Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres », unique commandement restant à la fin de La ferme des animaux d’Orwell).

       Surtout, il ne faut pas oublier que l’innovation dans le domaine militaire est un moteur suralimenté par l’abondance des moyens alloués. Sans forcer, on pourrait parler d’un certain ruissellement vers le civil : la géolocalisation, les drones, les caméras thermiques viennent de là. On parle même, de nos jours, « d’innovations duales ». Vous voyez bien que tout n’est pas aussi ténébreux, que le Beau sait faire œuvre utile.  Dans le Silence de la Nuit, le Bien, aidé par le bon génie humain saura triompher du Mal, avec notre indifférence comme complice. Et au bout de cette Nuit, pour sûr, il y aura enfin l’espoir « pressenti » par Anatole France.

       En attendant, prenez 5 minutes pour (re)lire Noam Chomsky et 30 minutes pour (ré)écouter Howard Zinn : texte « Leur terrorisme et le nôtre » et vidéo « Abolir la guerre ! » sous-titrée « La guerre ‘‘juste’’ » ( http://arretsurinfo.ch/noam-chomsky-beaucoup-de-journalistes-ont-aussi... ). [2]

       Ne voir que l’inhumanité en l’autre nous évite de percevoir l’immanité (c-à-d la « cruauté monstrueuse », Le Littré) de notre système. Croire qu’il est des « guerres justes », c’est oublier qu’il y a juste des guerres. Merci de votre attention.

    [1] http://www.jaures.eu/ressources/guerre_paix/la-guerre-anatole-france-1904/

    [2] Texte similaire de Howard Zinn : https://www.legrandsoir.info/Apres-cette-guerre.html , texte similaire de Noam Chomsky : https://www.legrandsoir.info/nous-sommes-tous-remplir-ici.html


    https://www.legrandsoir.info/dieu-que-la-guerre-est-jolie-que-sont-beaux-les-profits.html

    ***

    Luc Desle

    « "Ce Maître pitre était résident dans un palais présidentiel". Jacques Damboise in "Pensées bof"."Elle effleurait sensuellement un page par jour, je crois, je ne me souviens plus bien". Jacques Damboise in "Pensées ho ho". »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :