• "Et pourtant le Petit Poucet buvait des boissons d'Homme...". Jacques Damboise in "Pensées à contre-pet".

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    Pensées pour nous-mêmes:

    (L'ART EST DANS TON SOURIRE)

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    LONG RÉCIT AU LONG COURS (1/35)
    pcc Benoît Barvin et Blanche Baptiste

       Angélus Galin devient lentement un expert en onguents capables de guérir les blessures de la peau...

    ANGÉLUS 
    ou 
    LES SECRETS DE L’IMPALPABLE


    grand-pierre-quthe-apothicaire-clouet-francois

       Fin novembre, alors que les ventes étaient toujours en progression, Angélus sortit coup sur coup deux autres produits, « Cheveux d’Ange », un savon liquide donnant un éclat naturel aux chevelures les plus ternes et, pour le corps, un masque aux vertus raffermissantes qu’il baptisa « Encore ».

       Sur ce, il annonça à son patron qu’il voulait mettre au point, avant le printemps, d’autres crèmes et qu’il lui serait nécessaire de se rendre à Florence chez Maître Pavèse. Monsieur Fumel ne trouva rien à redire à cela, d’autant plus qu’avec les fêtes de Noël qui approchaient le chiffre d’affaire ne cessait d’augmenter. Il dépêcha donc son employé surdoué en Italie et lui fit faire par la Mairie des laissez-passer en bonne et due forme.

       Le voyage fut un enchantement dans un cadre bien différent de celui de son enfance. Qu’elles lui semblaient loin ces années de misère et de bassesse ! Bien sûr, Camille avait toujours fait pour le mieux, mais cela n’avait rien à voir avec ce qu’il vivait maintenant. Il ne sentait plus le joug de l’interdit, des « on-dit » et autres médisances. Il ne sentait plus peser sur lui la loi d’un Dieu omniscient mais bien plutôt la légèreté d’une conscience, débarrassée de tous préjugés. 

       Une seule chose le faisait souffrir : il ne pouvait plus effleurer les corps satinés qu’il croisait sans éveiller chez l’autre un mouvement de recul dû à son apparence encore étrange, à ses traits du visage bizarrement agencés.

       Le bateau qui l’emportait vers Livourne longeait encore suffisamment la côte pour qu’on puisse voir le rivage accidenté qui séparait Nice de Menton. L’atmosphère était joyeuse, pleine d’une insouciance enfantine. Tout à coup, il lui sembla incroyable qu’il ait pu vivre pendant toute son enfance dans un milieu fait de préjugés et de bondieuseries. Cependant il pouvait le comprendre, car ses yeux d’enfants vivaient alors dans un imaginaire perpétuel d’où il ne sortait que lorsque s’offrait à lui une réalité douce à palper et à étudier. 

       Par contre, comment faisait Camille pour supporter une telle ambiance ? Il ne s’était jusqu’alors jamais posé la question. Était-elle vraiment sotte pour accepter toutes les niaiseries que ses supérieures et le Père Grangeais lui avaient mises dans la tête ? Fallait-il que sa condition lui semblât incontournable pour n’avoir trouvé que ce pauvre refuge ?

       Camille était la seule personne pour qui il eût un sentiment durable et il savait qu’elle disposait, elle aussi, d’une belle intelligence qui n’aurait demandé qu’à s’épanouir, si elle avait connu ne serait-ce que l’ambiance qui régnait chez les Fumel. Au lieu de cela, elle allait se scléroser à Fontseranne, et le fait qu’il soit absent ne ferait certainement qu’empirer son état. Dans quelle condition morale et physique la retrouverait-il, après les dix ou quinze années qu’il pensait devoir passer hors du bourg ? Aurait-il seulement envie de la revoir, et ne serait-elle pas, pour lui, qu’une anonyme au milieu de ces misérables ?

       Le regard du jeune homme se posa sur les gens qui naviguaient avec lui. Bien que l’on soit en décembre, presque tout le monde était sur le pont car il faisait un ciel clair et une mer d’huile. Il y avait là des visages paisibles de personnes à qui la vie n’avait pas amené son lot de souffrances. 

       Visiblement, l’usure due au temps n’était pas la même chez ceux qui ne travaillaient pas de leurs mains ni de leur corps. Ils étaient moins sujets que les autres aux épidémies et aux attaques de la vermine, moins exposés aux vapeurs pestilentielles des cloaques, moins tributaires d’un habitat insalubre. Il y avait là une injustice, dans ce qu’il avait cru être autrefois une différence naturelle entre les nantis et les pauvres. Il en venait presque à excuser ses congénères de l’avoir rejeté, lui qui, en raison de son physique, ressemblait à tous ces individus privilégiés par le sort. Comment ces ouvriers et ces paysans auraient-ils pu, compte tenu de leur mentalité et de leur vécu, l’accepter ?

       « Et moi, Angélus, pourquoi est-ce que je cours après mon apparence d’autrefois qui m’a valu tant d’ennemis parmi les miens ? » se demandait-il en posant son regard sur ses mains gantées, ses mains dont une seule à présent pouvait jouir du contact de la peau de daim qui l’habillait. Il s’en voulait de ne pas pouvoir pardonner, de ne pas faire bloc avec ses compagnons de misère, de les mépriser et de vouloir, coûte que coûte, exercer sa vengeance. Contre eux tout d’abord, puis contre les autres, tous les autres qui ne valaient pas mieux.

       « Je dois cesser de me poser des questions, songea-t-il et aller vers le but que je me suis fixé. Mon intuition seule doit me guider au milieu de cette foule de gens insipides, vers ceux qui sont pour moi les seuls êtres dignes d’intérêt : les fous de science et tous les chercheurs d’Absolu. Rien d’autre ne doit me guider que le désir de perfectionner mon art... »

       Exalté, le jeune homme cherchait chaque signe susceptible de lui confirmer qu’il était réellement un Elu, et il en aperçut un dans les rayons du soleil qui illuminaient les flots bleus, rendant l’eau pratiquement transparente à hauteur de la Corse. 

       L’île de Beauté n’avait-elle pas recelé, dans son sein, un homme extraordinaire bien que tourné entièrement vers le métier des Armes ? En cette fin d’après-midi, elle ressemblait à un joyau qui lui était offert, comme l’emblème d’un destin exceptionnel qui lui ferait retrouver sa légèreté natale...

       Imbu de lui-même, hautain, Angélus resta à l’écart pendant tout le reste de la journée, goûtant, sur son visage, la gifle des embruns. Vers le soir, cependant, une sensation cuisante apparut. A l’endroit où le sel s’était déposé, les parties malades de son visage l’élançaient, comme brûlées de l’intérieur. Le jeune homme dut user de quelques-unes de ses mixtures afin d’apaiser ces brûlures, et encore n’y réussit-il qu’à moitié. Cet incident réduisit un peu le plaisir qu’il avait pris à ce voyage et c’est impatient et nerveux qu’il vécut le reste de la traversée.
    ***
    (A Suivre)

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    (Le fameux homme-oiseau à l'entraînement)


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    (La tordeuse de cou de poulet en pleine action)

    Aline Bergman, 1910s

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    (La femme dynamite se préparant pour son ultime répétition)

    vintage hair perm, 1929 (www.retronaut.com)

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    Jacques Damboise
    « "Ses mots de tête avaient un humour très particulier". Benoît Barvin in "Pensées pensées"."Le sédentaire avait pourtant des idées très mobiles". Benoît Barvin in "Pensées pensées". »

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