Voilà plusieurs jours que l’histoire de l’amitié entre le tigre Amour et le bouc Timour – le prédateur et sa proie – génère un flot de commentaires et de réactions sur les réseaux sociaux et dans les médias russes.

   Dans le parc animalier de la région du Primorié (Extrême-Orient russe), un tigre a refusé de manger un bouc qui lui était donné en pâture et s’est littéralement entiché de l’animal. Un sentiment réciproque, qui a conduit les employés du parc à laisser dormir le bouc près du carnassier, finalement, comme le rapporte le site d’information russe Vzgliad. Désormais, les deux amis sortent chaque matin se promener ensemble dans la réserve. (...)

   (...) Une idylle touchante, “qui nous en dit plus long sur nous-mêmes que sur les miracles de l’insondable monde sauvage”, commente, désabusé, le quotidien en ligneGazeta.ru. En effet, “l’histoire de cette amitié entre un prédateur et sa proie fait figure de rareté dans le paysage médiatique affolé du moment. Il s’avère que le positif peut aussi générer de la demande, du moins quand il s’agit du monde animal”.

   C’est plus difficile quand il s’agit du monde des humains, surtout en Russie, constate, amer, le journal. Et de filer la métaphore du tigre et de sa proie, pour opposer la violence du pouvoir russe à la faiblesse des citoyens, que cela concerne la taxe imposée aux routiers, la guerre contre la Syrie, contre l’Ukraine, ou l’interdiction de partir en vacances en Turquie.

   “Notre pays, balayé par le vent de la propagande guerrière où dominent l’agressivité et la haine, est ébranlé par cette manifestation de sentiments simples, naturels, ‘humains’.” (...)

   (...) “Si cette histoire nous plaît tant, c’est parce que les gens ordinaires ne peuvent vivre en permanence dans le mensonge, la haine et l’humiliation – or, la victime se sent toujours humiliée. Nous aspirons tous à la chaleur humaine. A l’amitié. Nous voudrions tous que le plus fort ne dévore pas toujours le plus faible, et au contraire l’aime, le défende, partage avec lui sa nourriture et son toit.”

   “Mais, de toute façon, nous n’arrivons pas à croire à la fin heureuse de ce beau conte de fées sur l’amitié d’un tigre et d’un bouc. La plupart des gens qui ont laissé des commentaires sur le site de la réserve sont convaincus que le tigre Amour, tôt ou tard, mangera le bouc Timour, parce que ‘ainsi va le monde’, conclut Gazeta.ru.   

 http://www.courrierinternational.com/article/russie-le-conte-du-tigre-et-du-bouc