Dans quelle galère Jean-Claude Juncker a-t-il embarqué l’Union européenne ? Manifestement, le président de la Commission n’avait pas une idée claire de la personnalité fantasque – pour rester poli – de Donald Trump, lorsque, le 25 juillet, il a conclu un armistice commercial avec lui. A cette époque, après avoir frappé de droits de douane prohibitifs l’acier et l’aluminium européen, l’occupant de la Maison-Blanche menaçait de récidiver sur les voitures européennes – entendez allemandes – si les obstacles tarifaires et non tarifaires (les normes) aux importations de biens industriels américains n’étaient pas levés afin de réduire le déficit commercial avec l’Europe.

   Juncker, pour complaire à Berlin, a donc promis d’engager des négociations en ce sens. Une capitulation puisque Juncker acceptait de discuter avec un pistolet sur la tempe : l’Union n’a non seulement pas obtenu la levée préalable des droits sur l’acier et l’aluminium, mais Trump s’est réservé le droit de déclencher les tarifs sur l’automobile à tout moment s’il n’était pas satisfait du déroulement des négociations… Une belle victoire pour le président américain à quelques mois de midterms disputées.

   Si la Commission espérait gagner du temps, c’est loupé. Wilbur Ross, le secrétaire au commerce américain, et Gordon Sondland, l’ambassadeur américain auprès de l’UE, après avoir rencontré la commissaire européenne chargée du commerce, Cecilia Malmström, le 16 octobre à Bruxelles, ont donné une conférence de presse au ton d’une rare violence.

   D’entrée, Ross a martelé : «Le but de notre rencontre [avec Malmström] était de l’alerter sur le fait que nous avons besoin d’aller vite et d’aboutir à court terme» à un résultat. Mais, «les choses n’avancent pas. Elles n’avancent même pas du tout», a surenchéri Sondland, accusant la Commission d’avoir un «plan pour attendre intentionnellement la fin du mandat du président Trump. Or […] son mandat court jusqu’en 2024. C’est donc un exercice futile de faire cela.» D’autant que «la patience du Président a ses limites». Pour bien se faire comprendre, Sondland a prévenu qu’il pourrait bien finir pas imposer des droits de douane sur les voitures européennes si les négociations n’avançaient pas plus vite.

   Manifestement, Washington semble totalement ignorer les procédures européennes qui veulent que la Commission prépare avec le pays tiers un mandat de négociation en passant en revue tous les sujets qui seront dans le champ de la négociation puis qu’elle demande l’accord des Vingt-Huit Etats membres avant d’entamer les négociations proprement dites. A moins qu’ils ne veuillent obliger les Européens à bâcler la négociation pour obtenir ce qu’ils veulent. Et là, il y a de quoi se faire du souci :

   Ross et Sondland n’ont pas caché leur intention de démanteler les normes européennes – des «obstacles aux échanges» – et de mettre sur la table la question de l’agriculture, alors que Trump et Juncker avaient convenu de l’exclure (comme les voitures, allez comprendre pourquoi). «L’agriculture a été incluse dans les discussions du 25 juillet», a crânement affirmé Sondland. Et Ross ne cache pas ce qu’il veut obtenir : «Les normes sanitaires et phytosanitaires européennes [sur les produits agricoles] ne sont pas basées sur la science…» Bref, Trump veut faire avaler aux Européens poulet au chlore et OGM. Quand on négocie avec le diable, il vaut mieux avoir une longue cuillère…