Un homme a tué sa femme. C'est à peu près tout ce que l'on sait, en dehors des noms des protagonistes, Jonathann et Alexia Daval. En elle-même, pourquoi cette affaire est-elle jugée plus médiatisable que tous les autres meurtres de femmes par leurs conjoints ? Toujours est-il que c'est cette affaire-là, qui obsède BFMTV depuis de longues heures. C'est à propos de ce meurtre-là, que Ruth Elkrief, de sa cellule de crise permanente, demande en duplex au maire d'un village voisin, s'il était au courant de tensions dans le couple. (...)

   (...) Autour de Ruth Elkrief, le criminologue Alain Bauer donne un cours d'enquête criminelle. La cheffe du service police-justice Sarah-Lou Cohen synthétise les 427 interventions des avocats de la défense au micro de BFMTV, rappelant que le mari était parfois écrasé par sa femme. Un représentant de la "fondation des femmes", sans doute appelé en catastrophe, appelle à ne pas oublier les femmes victimes de violences. Une ancienne procureure rappelle sans rire que le mari, dont on débat à l'antenne depuis des heures, et dont l'écran partagé diffuse non-stop des images en larmes, lors de l'enterrement de sa femme, est présumé innocent. 

   Aucun de ceux-là ne sait rien des rapports entre le mari et la femme, ni de la manière dont le mari a tué sa femme. Mais ils sont tout de même rassemblés là, au rendez-vous des parleurs de rien, parce que quelqu'un (mais qui ?) a décidé que cette affaire dont on ne sait rien serait le sujet du jour, au détriment d'autres affaires dont on ne sait pas grand-chose non plus. Par exemple, celle du ministre Darmanin accusé de viol par une femme qui, neuf ans plus tôt, était venue lui demander un service.

   Pourquoi ce rien-ci et pas ce rien-là ? Celui-ci fait-il à celui-là un paravent providentiel ? Ou bien est-ce au mouvement de grève dans les EHPAD, le même jour, que ce rien fait paravent ? Eternelles questions. (...)

   (...) Plus tard dans la soirée, la procureure de Besançon donne une conférence de presse, très professionnelle. Elle est très en colère contre les avocats, qui ont déjà divulgué tout ce qu'elle avait à raconter. Elle épargne cependant BFMTV, qui tend tous ses micros aux avocats depuis des heures. Peu importe : cette colère est unanimement louée sur Twitter, où l'on apprécie le professionnalisme et la sérénité.

   La procureure est filmée dans la bibliothèque du Palais de justice de Besançon. Derrière elle, de majestueuses étagères de recueils de jurisprudence. Ce cadre est mûrement réfléchi, comme l'avait raconté la procureure, quelques jours plus tôt, dans une (excellente) enquête de Franceinfo sur la communication des procureurs.

   Au moins, dans la débâcle des parleurs de rien, il reste cette compensation : donner une bonne image de la Justice.