Auran Derien, universitaire ♦
Au mois d’août a commencé la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA, TLCAN en anglais) entre les USA, le Canada et le Mexique. Tout a commencé avec des mouvements de menton signifiant que l’un des pays pourrait se retirer de la table des négociations quoi qu’il n’y ait que 10% de chance en faveur de cette hypothèse.
Le représentant étatsunien, Robert Lighthizer, a affirmé que le traité n’avait pas été favorable aux USA. Mais depuis quand ces traités ont-ils vocation à favoriser un peuple ou un pays ? Au temps de l’inhumanité globalitaire, ils doivent enrichir les ploutocrates contrôlant les multinationales. Rien de plus.
La position du Mexique est assez simple : le peso flotte librement, donc aucune accusation de favoritisme à travers le change n’est possible. Le travail des enfants est officiellement interdit, ce qui élimine les accusations de concurrence déloyale. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes et les négociations peuvent continuer d’autant que le matamore mexicain chargé de la négociation, Ildefonso Guajardo, affirma disposer d’un plan B en cas de malheur. (...)
(...) Selon la délégation mexicaine, en cas d’échec il en résulterait seulement des différences de droits de douane, en moyenne 5% de plus pour les produits mexicains, exceptés quelques fruits et légumes ainsi que des véhicules assemblés. Pourtant, chacun sait à quel point d’autres aspects comptent beaucoup plus: les services financiers, les patentes, la santé.
Derrière les portes des hôtels de passe où les négociateurs décident du trépas des peuples et des filières, quelques 25 tables rondes se réunissent, avec l’ambition de terminer la négociation avant la fin de l’année 2017. Les thèmes simples, une dizaine, avancent à l’unisson: règles phytosanitaires, PME, obstacles techniques au commerce, homologations, télécommunications. Sur une dizaine d’autres sujets, les points de divergence ont été identifiés : le travail, le commerce électronique, les franchises. L’harmonisation des conditions de travail, par exemple, suppose que le cadre institutionnel de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) serve de référence.
Celui-ci est fondé sur 8 principes qui ont tous été entérinés par le Canada, alors que 7 l’ont été par le Mexique et que seuls deux l’ont été par les USA. Bien évidemment, l’idée d’un salaire décent est obscène, en conséquence jamais discutée, car tout doit aller aux actionnaires et autres profiteurs dont la voracité n’a plus de limites depuis que la globalisation s’est accélérée avec la chute du mur de Berlin.
Il reste quatre à cinq sujets qui fâchent : comment définir les produits d’origine, comment résoudre les conflits, quelle limite de temps accepter pour les patentes, etc. Le secteur de l’énergie, privatisé désormais, n’entrerait-il pas dans le traité, avec la possibilité d’attaquer l’État Mexicain devant des “tribunaux privés” puisque les multinationales ont désormais tous les droits ?
Heureusement pour l’oligarchie, tous les fonctionnaires qui se réunissent ont été formatés dans les mêmes écoles, de sorte qu’ils savent bien ce que souhaitent leurs dirigeants. Par exemple, en matière financière, le Ministre mexicain Meade Kuribeña parle de l’Amérique du Nord, non de Mexico, comme d’une région compétitive et dynamique où les services financiers sont contrôlés, depuis l’origine, par Wall Street et la Banque de Réserve Fédérale.
On ne voit pas encore clairement ce qui sera signé mais ce sera en faveur du pillage de la population par les banques avec plus ou moins de brutalité. Quelle pourrait être l’ambition d’un Ministre comme le Ministre des Finances mexicain Jose Antonio Meade qui répète, béatement, les niaiseries apprises dans les écoles de commerce d’où sortent ses amis anglo-saxons?
De toutes façons, le Ministre des Affaires Étrangères, Luis Videgaray Caso, n’a pas oublié d’aller visiter le Président de la Banque Interaméricaine de Développement pour lui confirmer que la collaboration financière de Mexico ne serait pas affectée… (...)
(...) La renégociation laisse apparaître que des ignominies ont été promues, discrètement, par des mexicains corrompus au profit de multinationales. Le sucre est un bon exemple. En 2014, l’importation massive de fructose fut autorisée, vendue à un prix de dumping, pour remplir la bourse sans fond de coca-cola et pepsico, au détriment du sucre mexicain. L’accord fut signé par Francisco de Rosenzweig, Vice-ministre mexicain au Commerce extérieur sans aucune autre raison que la plus vieille du monde…
Les élites mexicaines du secteur agricole affirment que ces méthodes sont très répandues et caractérisent la renégociation actuelle. L’Association nationale des entreprises distributrices de produits agricoles (ANEC) ne cesse de rappeler qu’en 23 ans de traité, le monde agricole mexicain a été ruiné car le traité n’organise pas la concurrence équitable mais favorise les multinationales de l’agriculture étatsunuienne, lesquelles vendent à Mexico 45% de ce que celui-ci importe. Beaucoup de semences sont transgéniques et les producteurs étatsuniens sont subventionnés. Ces multinationales détruisent des millions de paysans mexicains qui ne reçoivent aucune aide.
Le contre-feu habituel de ces entreprises consiste à affirmer qu’en 2016 le secteur agricole méxicain a connu un excédent commercial au détriment des USA et du Canada. D’où vient-il ? De la bière, des tomates, des avocats, des piments, de la tequila….Quand à la viande vendue par le Mexique, elle sert à alimenter une chaîne hallal à travers l’Occident.
Enfin, on ne saurait renégocier un traité entre trafiquants sans faire l’apologie de la pureté, sans parler de lutter contre la corruption. Les trois larrons du continent nord américain se rengorgent d’autant plus que la corruption est légalisée à travers les labyrinthes des paradis fiscaux, des sociétés écrans et connivences mafieuses.
La question sociale, articulation entre le politique et l’économique, a disparu du champ sémantique pour un temps indéterminé. Finalement, on peut parier sans risque que rien ne changera d’ici la fin de l’année 2017, sinon à la marge. Le pouvoir totalitaire des financiers veille à ce que le concept de bien commun en régime kleptocratique, se réduise à la solidarité économique des factions en possession d’État.
Le niveau zéro de la civilisation est installé pour longtemps.
https://metamag.fr/2017/09/19/accord-de-libre-echange-nord-americain-la-farce-de-la-renegociation/