/ Bakchich : Un amoureux de la grande boucle peut-il suivre le Tour de France 2015 avec un peu plus de confiance sur le fait que le nom des coureurs qui monteront sur le podium final à Paris ne soit plus effacé des tablettes, comme il y a dix ou vingt ans, pour cause de dopage ?
- Dr de Mondenard : L’amoureux du Tour de France peut suivre l’épreuve avec, peut-être, un peu plus de confiance que lors des années Lance Amstrong au niveau de l’intensité de la pratique et du nombre. Mais vous savez, il y a toujours eu du dopage dans le Tour de France. Et ce, depuis sa création, en 1904. La quasi-totalité des vainqueurs du Tour se sont plus ou moins dopés. Sans oublier ce paradoxe que les anciens dopés se trouvent ensuite aux manettes d’équipes. Aujourd’hui, il faut savoir que l’on peut toujours se doper sur le Tour de France sans se faire prendre. Toutes les substances interdites ne sont pas détectables lors des contrôles, qui sont trop souvent inefficaces. C’est la réalité. Et c’est la même chose en rugby, en football…
Dans l'émission « Stade2 », une enquête récente a démontré que l'on pouvait ingérer un cocktail de produits dopants (hormones de croissance, EPO) permettant d'augmenter ses performances de 3%, ce qui est énorme au plus haut niveau, et de passer à travers les mailles des contrôles.
/ Bakchich : Mais peut-on quand même affirmer que le dopage n’est plus institutionnalisé au sein des équipes de cyclisme comme dans les années 90/2000, mais uniquement le fait de « brebis galeuses » ?
- Dr DM : Une commission a démontré qu’il y avait encore une équipe qui avait organisé et encadré le dopage dans un passé récent. A ce sujet, j’aimerais évoquer ce curieux paradoxe de voir une commission indépendante sur le dopage mise en place par…. l’UCI, Fédération internationale du cyclisme. Quand on parle de sport et d’indépendance, je rigole. Je n’aime pas non plus que les fédérations sportives soient chargées du combat contre le dopage, à la place de la justice. Tant que la lutte antidopage est entre les mains du monde du sport, il n’y a pas d’espoir.
Le pouvoir a voulu, après 1967, protéger l’image des sportifs auprès de la population, pour éviter qu'on les compare à des voyous, à des délinquants. Aujourd’hui, pourtant, dans certains pays, comme au Kenya, la justice s’occupe du cas des dopés et réclament même de la prison pour les coupables. En France, Bernard Hinault a lui aussi réclamé des sanctions de prison pour les fautifs. A son époque, il aurait dû y aller !
/ Bakchich : Parlez-nous de la première loi contre le dopage votée en 1965 ?
- Dr DM : J’ai rencontré récemment Maurice Herzog, ancien ministre des sports du Général De Gaulle (il est aussi surtout entré dans l’histoire de France après avoir dompté le sommet de l’Annapurna) qui m’a confié que sa loi « anti-stimulant » de 1965 n’avait servi à rien ! Il est vrai qu’il fallait prouver que les personnes s’étaient dopées sciemment. Les avocats avaient vite trouvé la parade et avançaient que leur client avait avalé le contenu d’un bidon offert par un spectateur sans, bien sûr, savoir ce qu’il y avait dedans. A l’époque, les anabolisants étaient aussi considérés comme des vitamines ! On ne se doutait pas encore de tous leurs méfaits (cancer, amputation) sur la santé.
/ Bakchich : L’éradication du dopage sur le Tour de France est-elle une utopie?
- Dr DM : C’est une fumisterie que de croire qu’un jour le monde du sport éradiquera le dopage. Se doper fait partie de la nature humaine depuis la nuit des temps. La triche est consubstantielle à l’homme et pas seulement dans le sport mais aussi dans le monde de la politique, du commerce, des études. Il y aura toujours des tricheurs.
/ Bakchich : Estimez-vous que les décès de certains coureurs dopés, les déboires judiciaires, médiatiques d’autres coureurs ont marqué les esprits de la jeune génération du peloton ?
- Dr DM : Là encore, il ne faut pas être naïfs. Lorsque Tom Simpson meurt sur la route du Mont Ventoux, pendant le Tour 1967, un autre coureur est pris une semaine plus tard avec les mêmes produits. Cela ne l’avait pas effrayé. C’est pour vous dire que même la mort ne l’avait pas freiné. Les affaires ont toujours existé comme Pollentier, PDM, Puerto, Festina... (Voir livre Dictionnaire du Dopage aux Editions Masson) et cela n’a pas empêché d’autres coureurs de recommencer.
/ Bakchich : Si tout le peloton était dopé, les différences seraient quand même présentes entre les coureurs, non ?
- Dr DM : Je suis d’accord avec vous. Le dopage est une partie de la performance. Cela ne suffit pas. Le cyclisme est un sport mental extraordinaire. A l’entraînement, c’est 90% de caisse et 10% de mental. C’est tout l’inverse lors des compétitions officielles. Le cycliste espagnol Alberto Contador a, par exemple, un mental extraordinaire.
/ Bakchich : Le matériel, l’entraînement, l’alimentation ont aussi leur importance dans l’amélioration des performances des coureurs actuels ?
- Dr DM : A mes yeux, seuls le matériel et la qualité des infrastructures routières permet de vraiment changer la performance. Je pratique le cyclisme assidument avec 15 000 à 18 000 km parcourus chaque année, je viens juste de fêter le passage des 300 000 kms, d’ailleurs, et je peux vous affirmer que rouler sur du bitume de qualité, cela joue beaucoup sur la performance. C’est pour cela que les routes du Tour de France sont toujours refaites. Et saviez-vous qu’au-delà de 30 degrés, les organisateurs arrosent la route !
/ Bakchich : Que vous inspire l’adage suivant « ah si les Français gagnent aujourd’hui des courses, cela prouve bien que le dopage n’existe plus ou presque » ?
- Dr DM : Cela me fait rigoler. A un certain moment, la France n’a pas eu la maîtrise du dopage comme on a pu le voir en Italie (Pendant des années, les équipes italiennes raflaient toutes les courses même les classiques) ou surtout en Espagne. De nombreux laboratoires ont vu le jour, certains même sous l’aval de l’agence mondiale anti-dopage.
/ Bakchich : Pensez-vous qu’il existe en 2015 un produit dopant inconnu utilisé par certains sportifs dont on apprendra l’existence dans quelques années ?
- Dr DM : Non, aujourd’hui, les scientifiques sont, selon moi, au courant de ce qui peut se faire. Il y a trop de gens impliqués dans la recherche. Après, tous les produits utilisés par les dopés ne sont pas tous, aujourd’hui encore, décelables. Même l’EPO, sous ses nouvelles formes élaborées en Chine par exemple, n’est pas toujours reconnu. Il y a aussi tous ces produits qui ne sont pas encore placés sur la liste des produits interdits faute d’avoir obtenu un accord scientifique global.
/ Bakchich : Malgré toutes ces affaires de dopage, le Tour de France semble toujours connaître un joli succès populaire. Cela vous surprend-il ?
- Dr DM : C’est normal qu’il y ait du monde sur le bord des routes, même si, à ma connaissance, le nombre de spectateurs présents est incalculable. Depuis 1952, on nous ressort d’ailleurs le chiffre de 15 millions de Français sur les routes. C’est un chiffre bidon ! Mais c’est logique qu’il y ait un public puisque c’est un beau spectacle. Une étude démontrait que 70% des personnes venaient suivre le Tour pour le bruit, les couleurs, la caravane publicitaire, la foule… Les gens aiment venir en famille avec « la grand-mère, le pique-nique et le saucisson ».
/ Bakchich : Sur un plan personnel, comment suivez-vous le Tour de France ?
- Dr DM : Déjà, je ne regarde pas les étapes de plat. Je suis, par contre, les étapes de montagne avec beaucoup d’intérêt. Je regarde la course comme un spectacle. J’apprécie les confrontations entre les leaders, les bagarres tactiques entre les équipes de cyclistes, notamment le travail des équipiers. Bien encadré, un leader peut économiser 30% d’énergie avant l’arrivée finale si son équipe fait un travail efficace. A mes yeux, certains équipiers ont parfois le potentiel pour prétendre au podium final mais préfèrent endosser le costume de « coéquipier de luxe ». Cela correspond mieux à leur équilibre personnel.